Billet invité.
Les mois et les années filent et une crise chronique s’est installée, comme si elle était destinée à ne pas connaître d’issue. Financière à l’origine, elle s’est depuis approfondie dans tous les domaines : économique, sociale et politique. Pour offrir aujourd’hui un panorama peu engageant, alliant l’hypertrophie grandissante d’une activité financière parasitaire à la raréfaction des ressources de la planète et du travail – de l’emploi de la ressource humaine – ainsi qu’à l’accroissement des inégalités qui l’accompagne. Mais rien ne semble pouvoir stopper la course d’un système en voie de perdition, si ce n’est ses propres contradictions.
Celui-ci témoigne d’une incapacité à se réformer, sauf à la marge, et les mutations dont il se prévaut dans le cadre de l’économie numérique de demain ne l’augurent pas davantage. Bien que semblant irréparable et toujours dans l’attente d’un prochain accès de crise financière aiguë, le capitalisme survit sur le mode d’une crise endémique, qu’il nous impose et dont il tente de s’accommoder, faute de l’émergence avec suffisamment de force d’une alternative. Pour la suite, les paris sont engagés.
Côté adaptation à la nouvelle donne, une régulation financière imparfaite se construit très lentement, dans l’espoir d’endiguer le prochain accès de fièvre financière qui ne saurait manquer de survenir. Matelas de fonds propres et coussins de liquidités sont empilés, afin de protéger un système bancaire dont un nouveau sauvetage n’est plus dans les moyens des États, sans pouvoir en faire autant de la partie immergée du système financier, le shadow banking. Insaisissable, le risque spéculatif se déplace sans que l’on sache le calculer, sans avoir non plus acquis la maitrise d’un risque systémique imparfaitement réduit à l’existence de mégabanques (que l’on se garde pour autant de démanteler).
Atteignant le dérisoire mais néanmoins significatives, dans l’espoir peu crédible d’induire un comportement vertueux, les amendes pleuvent sur des manipulations financières outrageantes présentées comme autant de cas d’espèce, tandis que de timides tentatives d’encadrement des bonus faramineux, de distributions de stock-options et d’octroi des retraites-chapeaux sont enregistrées. Doit-on s’interroger pour savoir si cela doit être porté au compte de la naïveté ou de la duplicité ? Le sort qui va être réservé à une évasion fiscale pratiquée par les entreprises transnationales à l’échelle industrielle apportera la réponse. Pour l’instant, pris au sein d’une contradiction, les gouvernements tentent de reconstituer des assiettes fiscales qu’ils ont eux-même ébréchées, tout en continuant dans cette même veine non sans incohérence.
Tentant de biaiser, les tenants du système n’en sont pas moins tenus en échec devant l’insoluble question d’un endettement qui le plombe, qu’il soit privé ou public après avoir été transféré. Paradoxalement, la dette est l’un de ses points d’appui, tout du moins tant qu’elle est assortie d’une garantie de remboursement, mais celle-ci s’effrite au fur et à mesure que l’endettement s’apparente à une spéculation sur une richesse future improbable car reposant sur une croissance économique introuvable. Et l’accroissement persistant des inégalités reposant sur la disparité des rendement des activités économiques et financières rend l’équation sans solution, car les deux questions sont étroitement liées. La dette soutien désormais le capitalisme comme la corde le pendu !
Assimilé à une troisième révolution industrielle, l’avènement de l’économie numérique est au centre des enjeux. Quelle sera l’ampleur et la nature de la métamorphose qui s’annonce, dont les prémices sont déjà observables ? Sous l’impact d’une innovation technologique présentée comme allant bouleverser tous les aspects de la vie économique et sociale, on assiste à des phénomènes contradictoires. D’un côté se profile l’opportunité de nouveaux business mirifiques, que les GAFA (*) préfigurent déjà, de l’autre émerge plus timidement une économie collaborative et du partage s’inscrivant dans la logique des Communs mais pouvant être dévoyée. Qu’est-ce que les Communs ? une ouverture vers un régime de gestion et d’usage des ressources qui dépasse leur appropriation privée ou étatique. Le business a une longueur d’avance dans cette compétition, mais les novateurs ont pour eux le développement des échanges pair à pair et le drapeau de Wikipédia. Le potentiel de l’économie numérique dépasse le cadre des échanges marchands, que les Communs ne récusent pas nécessairement comme en témoigne l’essor des logiciels libres dont ils sont l’une des illustrations. Qui des deux mangera l’autre ?
Une autre dimension menaçante s’est imposée et ne donne pas de signe concret d’être remise en question. Celle d’un contrôle social à grande échelle qui s’appuie sur la traçabilité de chaque individu, que la révélation des agissements pharaoniques et paranoïaques de la NSA ne permet plus d’ignorer. Comme si d’un côté nous étions dépossédés de nos données personnelles pour en faire un business, au sein duquel le rôle de consommateur nous est imparti, et de l’autre ces mêmes données participaient à notre corps défendant à l’instauration d’une société de surveillance. Ou comme si le contrôle social avait trouvé son instrument d’élection, complémentaire de ceux qui véhiculent et intériorisent les idées dominantes.
La société en gestation dont se prévalent les défenseurs du dogme, et de l’intérêt bien compris des 1% qu’ils représentent, est-elle viable alors qu’elle n’est pas encore née ? Sa configuration pêche par son conformisme et par le déni sur laquelle elle repose. Au nom du dépassement de ses propres archaïsmes, elle n’a pour objectif que de reproduire des rapports sociaux de domination et de servitude, ainsi que de poursuivre sa logique d’accaparement, fait-on valoir à juste titre. Avec nos données, elle va même et en quelque sorte au bout de la dépossession. Mais c’est sans compter avec des obstacles incontournables : la finitude des ressources ainsi que la nécessité de remédier aux désastres résultant de l’activité humaine, et les conséquences d’une raréfaction potentielle du travail qui sapent les bases de la société de consommation.
Victime de ses propres contradictions, disions-nous…
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(*) GAFA = Google, Apple, Facebook, Amazon.
Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…