Pourquoi le Grand Tournant est automatiquement un Grand Défi et pourquoi nous serons probablement absents de la Phase II – (retranscription)

Retranscription de Pourquoi le Grand Tournant est automatiquement un Grand Défi et pourquoi nous serons probablement absents de la Phase II. Merci à Olivier Brouwer.

Bonjour, nous sommes le mardi 30 septembre 2014. Et ce dont je voudrais vous parler, je vais lui donner le titre [suivant] : « Pourquoi le Grand Tournant est automatiquement un Grand Défi et pourquoi nous serons probablement absents de la Phase II ». Ce qui m’a fait penser à cela, ce sont deux articles qui sont à la une du journal Le Monde en ligne.

Le premier article, c’est un article consacré à une fermeture éventuelle de la centrale nucléaire de Fessenheim. Il y a un rapport de deux parlementaires affirmant qu’une fermeture serait trop chère, en particulier du fait qu’une compensation financière très importante devrait être consentie à EDF au cas où une fermeture aurait lieu.

Et la seconde nouvelle, c’est une nouvelle relative à la situation en Chine, où un dirigeant chinois important a déclaré, à propos des manifestations essentiellement d’étudiants à Hong-Kong, que leurs exigences en matière de démocratie, d’extension de la démocratie, faisaient d’eux des « extrémistes politiques ». Et je ne sais plus si c’est le même ou si c’est un autre [dirigeant chinois] qui a ajouté un commentaire du type : « de toute manière, on sait exactement qui vous êtes. » Voilà.

J’ai pris l’habitude d’appeler « le Grand Tournant » les mesures qu’il faudrait prendre assez rapidement pour que la survie de notre espèce, l’espèce humaine, puisse se poursuivre à la surface de la Terre. J’ai employé aussi l’expression de « Grand Défi » quand, à la suite de la lecture d’un article de François Roddier, j’avais tiré la conclusion que les lois de la physique sont contre nous, jouent contre nous en ce moment, dans ce tournant qu’il s’agirait de négocier. Pourquoi ? Parce qu’il est très clair que la complexité des systèmes que nous avons mis au point les a rendus extrêmement fragiles, en particulier dans le domaine financier, et que la solution que prend la nature dans des situations comme les nôtres, c’est de détruire le système pour créer des unités plus petites, constituées bien entendu aussi de populations moins nombreuses, dans notre cas. L’exemple donné par Roddier, c’est celui de la disparition des dinosaures et leur remplacement par des mammifères plus petits et plus opportunistes, qui peuvent s’adapter d’avantage aux circonstances. L’image, dans notre cas, ce serait la constitution de ces machines intelligentes, que nous avons entreprise depuis quelques années et qui est en train de faire des bonds qualitatifs prodigieux. Nous disparaîtrions et un certain nombre de machines pourraient continuer les tâches dans lesquelles nous sommes engagés, moins nombreuses, non soumises à la mort naturelle, pouvant continuer à se développer dans des environnements qui seraient devenus invivables pour nous. Voyez la sonde martienne, qui se débrouille très bien dans un environnement où nous serions incapables de survivre même quelques secondes.

Alors, ce qui est remarquable dans la situation qui est la nôtre – et c’est pourquoi je dis qu’il est plus probable que dans cette seconde phase, qui sera celle du remplacement pur et simple de notre espèce par la machine – pourquoi sa probabilité semble augmenter, c’est à cause de ces effets de cliquet que l’on voit apparaître, qui existent, dont nous savons par exemple que ce qui rend quasiment impossible des modifications du jeu à l’intérieur de la Communauté Européenne, ce sont les effets de cliquet qui ont été mis en place, et qui prennent de nombreuses formes. Par exemple, que pour prendre des bonnes mesures, des décisions unanimes doivent être [prises], alors que pour prendre de mauvaises mesures, des majorités relatives sont acceptables, permettent de prendre la décision. Que des mécanismes de ce type-là aient été mis en place, ce n’est certainement pas accidentel. C’est lié à cette idéologie ultralibérale – que j’appelle parfois, en ne mettant pas de gants, et pour que les choses soient plus claires, je l’appelle souvent « le fascisme en col blanc » pour qu’on ne s’y méprenne pas –, [qui] a introduit un certain nombre de cliquets de ce type, pour empêcher les retours en arrière. On en voit aussi dans ce traité Transatlantique que l’on est en train de mettre en place, où toutes les mesures qui permettent une privatisation des biens communs est favorisée et tout retour en arrière est interdit. Dans le cas de la fermeture de Fessenheim, le fait de devoir payer des sommes tout à fait considérables à un organisme pour pouvoir prendre la bonne décision – puisque bien entendu, une centrale nucléaire n’a pas une vie éternelle et que les plus anciennes sont associées à des mesures de sécurité qui ne répondent plus aux standards actuels – ces pénalités extraordinaires jouent là aussi un effet de cliquet, puisqu’on est dans une situation où [le fait de] prendre la bonne mesure est rendu très difficile par le fait qu’il faut dégager d’abord des sommes tout à fait considérables.

Et ce sur quoi cela attire l’attention, dans le cas du Grand Tournant que nous sommes en train de négocier, [c’est que] quand un Grand Tournant n’est pas négocié comme il faut, on est dans une situation de type de « disparition de l’empire romain ». Et ce qui est très intéressant avec le nucléaire civil, c’est que nous ne pouvons même pas, apparemment, nous permettre le luxe, je dirais, d’une sortie relativement douce d’une situation devenue trop complexe, comme la fin de l’empire romain (avec l’invention du servage au passage, il faut quand même le signaler), c’est qu’avec une industrie nucléaire civile, on ne peut pas se permettre de laisser l’environnement autour trop se déglinguer. Il y a eu une alerte récemment en Ukraine, puisque des [combats] se déplaçaient vers la zone où se trouvait un barrage qui [aurait pu] sauter, mettant en péril une centrale nucléaire. Les retours en arrière sont extrêmement difficiles. Nous nous mettons dans des situations [où] nous nous empêchons de prendre les mesures qu’il faudrait prendre, ce qui augmente le risque que des centrales nucléaires se retrouvent dans une situation de ne plus être entretenues comme il faudrait le faire. L’effet de cliquet, avoir à payer des sommes considérables pour pouvoir prendre la mesure qui s’impose, sont là pour empêcher que ça marche.

Dans le cas de cet exemple de la Chine, où on voit qu’on menace d’interventions des gens qui réclament la démocratie, comme ça s’était passé à la place Tian’anmen il y a un certain nombre d’années [en 1989], et que c’est associé avec des menaces du type – il n’y a pas qu’en Chine qu’on nous produit ça, on produit la même chose en Occident – où toute personne qui a une opinion différente sur le système dans lequel nous sommes – donc ce système qui empêche en fait que des bonnes solutions soient prises – que toute personne qui proteste, qui conteste ce genre de choses, se voit automatiquement assimilée à un complice objectif d’entreprises terroristes contre lesquelles tout l’appareil d’Etat est mobilisé.

Alors, ce Grand Tournant, qu’il faut absolument que nous négociions si nous voulons que l’espèce survive, est un Grand Ddéfi puisque les lois de la thermodynamique ont une autre solution, qui consiste à envoyer tout ça à un état moins complexe et moins fragile, et que, si nous voulons maintenir les conditions dans lesquelles nous vivons, il faut absolument nous battre, non seulement contre des êtres humains qui sont pour le statu quo, ou qui sont, encore davantage, pour pousser l’option ultralibérale à ses ultimes conséquences – c’est-à-dire la reconstitution d’un système de type féodal fondé cette fois-ci, non pas sur la propriété foncière, mais sur l’argent –, contre nous également, les lois de la physique, qui proposent une solution plus simple contre ces systèmes hyper-complexes et devenus trop fragiles, et, en même temps, un appareil d’Etat qui peut mobiliser l’ensemble de ses moyens pour empêcher d’aller dans la bonne direction, d’essayer de résoudre les problèmes.

D’où ma conclusion, que la phase II se fera probablement sans nous, c’est-à-dire que le seul scénario optimiste qu’on puisse encore imaginer, si nous ne modifions pas de manière drastique la manière dont nous voyons les choses, le seul scénario optimiste encore, c’est celui du remplacement de notre présence sur la terre par les machines que nous avons mis en place, et que nous sommes en train d’équiper de tous les moyens nécessaires – en enlevant les effets de ratage qui sont quand même un handicap dans notre cas – pour qu’elles continuent sans nous à la surface de cette planète. Alors, le défi, il est là, il est absolument considérable : il faut que nous puissions remettre en place la démocratie, et pour pouvoir le faire, il faut absolument faire sauter ces effets de cliquet qui empêchent que l’on aille dans la bonne direction, qui sont des mesures que nous avons votées, que nous avons laissé passer, que nous avons admises pour des raisons diverses, parce que nous pensions à autre chose ou parce qu’on nous distrayait avec d’autres histoires, ou parce que, comme on le disait hier : pendant que nous avions le dos tourné, des juristes ont placé des petits mots ici et là dans les mesures qu’on a votées, qu’on a acceptées, des petits mots qui avaient des implications, en particulier, de rendre le monde dans lequel nous sommes invivable à l’espèce que nous constituons.

Voilà.

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