Penser l’économie autrement, Paul Jorion et Bruno Colmant, à paraître mercredi, le 10 septembre

Couverture choisiePenser l’économie autrement

(à paraître mercredi, le 10 septembre)

Paul Jorion : […] il existe une alternative qui avait été proposée par le philosophe économiste suisse Jean Charles Léonard de Sismondi (1773-1842). Ce qu’il avait proposé, c’est que tout individu qui est remplacé par une machine reçoive à vie une rente perçue sur la richesse que cette machine crée désormais à la place de celui qu’elle a remplacé.

C’est assez révolutionnaire. Mais qui va payer cette rente chère à Sismondi?

Paul Jorion : Il serait logique qu’en tenant compte de l’amortissement du robot, une partie du profit réalisé par l’entreprise irait, en sus d’aller aux actionnaires et à multiplier jusqu’à l’infini la rémunération des dirigeants comme c’est le cas aujourd’hui, à ceux qui ont été remplacés par la machine.

Bruno Colmant : C’est effectivement assez révolutionnaire. Cela signifie que les gains de productivité devraient être exclusivement versés aux travailleurs.
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La taxe « Sismondi » sur les gains de productivité est l’une des propositions phare de cet ouvrage. Je recopie ici les notes que j’avais prises durant ma lecture de « Sismondi et les origines de l’école critique », par Charles Rist dans le livre de Charles Gide & Charles Rist, Histoire des doctrines économiques depuis les Physiocrates jusqu’à nos jours, Paris : Sirey, 1909, pp. 197 à 229

Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi (1773-1842)

1803 : La Richesse Commerciale

1819 : Nouveaux Principes d’Économie Politique (par la suite : NP)

203. … un pays de fermage, comme l’Angleterre, risque de résister difficilement à la concurrence de pays de corvées comme la Pologne ou la Russie où le blé ne coûte au propriétaire « que quelques centaines de coups de bâton à distribuer parmi les paysans » (NP).

204. Sur les taux d’intérêt : « Les forces des bailleurs (de capitaux) et celles des demandeurs se mettent en équilibre, comme dans tous les marchés, ils tombent d’accord sur une moyenne proportionnelle » (NP).

Paul Jorion : Rist, qui ne comprend pas l’expression moyenne proportionnelle, cite ce passage comme un exemple des « termes vagues » qu’emploie souvent Sismondi. Il s’agit en fait de l’expression utilisée par Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, pour caractériser la fixation du prix par le statut réciproque (cf. Le prix 2010 : 69-94).

208. P.J. : Sur l’autorégulation : « Gardons-nous de la dangereuse théorie de cet équilibre qui se rétablit de lui-même. Un certain équilibre se rétablit, il est vrai, à la longue, mais c’est par une effroyable souffrance » (NP).

209. P.J. : Sur la mécanisation : « Personne ne contestera sans doute qu’il n’y a de l’avantage à substituer une machine à un homme qu’autant que cet homme trouvera de l’ouvrage ailleurs » (NP).

P.J. : La différence entre la richesse et le bien commun dans la question de la mécanisation : « Si l’Angleterre réussissait à faire accomplir tout l’ouvrage de ses champs et tout celui de ses villes par des machines à vapeur, et à ne compter pas plus d’habitants que la république de Genève, tout en conservant le même produit et le même revenu qu’elle a aujourd’hui, devrait-on la regarder comme plus riche et plus prospérante ? M. Ricardo répond que oui… Ainsi donc la richesse est tout, les hommes ne sont absolument rien ? En vérité, il ne reste plus qu’à désirer que le roi demeuré tout seul dans l’île, en tournant constamment une manivelle, fasse accomplir par des automates tout l’ouvrage de l’Angleterre » (NP).

210. P.J. : Le bénéfice de la mécanisation n’est pas partagé : « … ce n’est point le perfectionnement des machines qui est la vraie calamité, c’est le partage injuste que nous faisons de leur produit. Plus nous pouvons faire d’ouvrage avec une quantité donnée de travail, et plus nous devrions augmenter ou nos jouissances, ou notre repos ; l’ouvrier qui serait son propre maître, quand il aurait fait eu deux heures, à l’aide d’une machine, ce qu’il faisait auparavant en douze, s’arrêterait après deux heures, s’il n’avait pas besoin, s’il ne pouvait pas faire l’usage d’un produit plus considérable » (NP).

214. P.J. : Le rapport de force entre propriétaire des moyens de production et travailleur est biaisé du fait de la concurrence existant entre ceux-ci : « L’entrepreneur s’efforce de ne laisser à l’ouvrier que justement ce qu’il lui faut pour maintenir sa vie et se réserve à lui-même tout ce que l’ouvrier a produit par-delà de cette vie » (NP).

215. C’est dans une cause sociale, l’inégale répartition de la propriété entre les hommes et dans la force inégale pour les contractants, que Sismondi va trouver l’explication de la contradiction qui le frappe entre les intérêts privés et l’intérêt général.

217. P.J. : Le caractère fallacieux de la « main invisible » d’Adam Smith : la poursuite des intérêts individuels ne débouche pas sur l’intérêt général : « C’est une vérité sur laquelle les économistes ont beaucoup insisté, que chacun entend mieux son propre intérêt que le Gouvernement ne saurait le faire […] mais ils ont affirmé trop légèrement que l’intérêt de chacun d’éviter un plus grand mal doit être le même que l’intérêt de tous. Il est de l’intérêt de celui qui dépouille son voisin, de le voler ; et il est de l’intérêt de celui-ci de le laisser faire, s’il a la force en mains, pour ne pas se faire assommer ; mais il n’est pas de l’intérêt de la Société que l’un exerce la force et que l’autre succombe » (NP).

218. P.J. : Un précurseur de l’argument de Keynes sur la « viscosité » (inélasticité) des salaires à la baisse : les salaires ne peuvent être revus à la baisse qu’au prix d’une augmentation considérable du dissensus social : « Toutes les fois que le travail sera demandé et qu’un salaire suffisant lui sera offert, l’ouvrier naîtra pour le gagner. Si la demande cesse, l’ouvrier périra » (NP).

219. Sismondi introduit […] la célèbre opposition du produit net et du produit brut […] Si tous les paysans étaient propriétaires de leur sol, ils seraient sûrs de pouvoir trouver sur leur champ au moins l’entretien et la sécurité de la vie. Ils ne laisseraient jamais le produit brut descendre au-dessous de ce qui est suffisant pour les entretenir. Mais avec la grande propriété foncière, avec la transformation du paysan en ouvrier agricole, les choses changent. Le grand propriétaire n’a en vue que le produit net, la différence entre le coût de production et le prix de la vente. Peu lui importe, pour accroître le produit net, de sacrifier le produit brut. Voici un terrain qui, bien cultivé, rapportait 1.000 écus de produit brut au fermier et 100 écus de fermage au propriétaire, le propriétaire s’avise qu’il gagnerait 110 écus s’il le laissait en friche et s’il le louait sans frais pour la vaine pâture, « Il renverra son jardinier ou son vigneron et il gagnera dix écus, mais la nation en perdra 890, elle laissera sans emploi et par conséquence sans profit, tous les capitaux employés à faire naître cette production si abondante ; elle laissera sans travail et, par conséquent, sans revenus, tous les journaliers dont ce produit représentait les labeurs » (NP).

220. Ce problème du produit net et du produit brut a préoccupé Sismondi de tout temps. Il le pose déjà dans son premier ouvrage : le Tableau de l’Agriculture toscane (Genève 1801) […] : « Pourquoi considérerait-on comme plus utile à l’État le profit considérable d’un seul riche fermier que le salaire mesquin de plusieurs milliers d’ouvriers et de paysans ? ».

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  1. @ Hervey Et nous, que venons-nous cultiver ici, à l’ombre de notre hôte qui entre dans le vieil âge ?

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