En 1934, John Maynard Keynes disait à Virginia Woolf qui nous l’a rapporté : « Notre génération […] doit beaucoup à la religion de nos aïeux […] Et les jeunes […] qui sont élevés sans elle, ne retireront jamais autant de la vie. Ils sont prosaïques : comme des chiens avec leurs impulsions. Nous avons bénéficié du meilleur de deux mondes. Nous avons détruit le christianisme mais nous avons bénéficié de ce qu’il apportait » (Robert Skidelsky, John Maynard Keynes II, 1992 : xx).
Je repensais à cela quand je faisais hier de quelques propos tenus récemment par le pape François un « billet invité » improvisé. François a déjà été cité par moi élogieusement à plusieurs reprises, au point d’attirer l’attention du quotidien La Croix à ce sujet, qui me commanda en mars Le pape François face à l’anesthésie des esprits.
Quand ai-je, au contraire, cité pour la dernière fois en bien un dirigeant de parti politique ? C’est Michel Leis qui exprimait ici en mars ses espoirs à la naissance d’un nouveau parti pour relater ensuite sa désillusion quand, assistant à une réunion de lancement de celui-ci, il entendit surtout des « moi je… moi je… », ponctuant un discours essentiellement électoraliste.
Ce sont les Saint-simoniens – qui n’étaient pas les derniers des imbéciles – qui se convainquirent dans la première moitié du XIXe siècle que faire advenir une nouvelle façon de voir le monde ne demande pas un parti mais une religion.
Pourquoi ? Parce que changer le monde est irréalisable à partir des impulsions immédiates et très prosaïques des chiens qu’évoquait Keynes (vous avez dû en rencontrer, comme moi, confondant votre jambe avec une chienne en chaleur). Changer le monde requiert (gaspation !), un effort sur soi-même. Comme le disait Aristote, qui n’était pas lui non plus un imbécile, pour être vertueux, il faut avoir la volonté de faire des choses vertueuses (l’autorégulation ultralibérale en prend ici aussi pour son grade !).
Une religion, si l’on en croit l’étymologie (qui ne nous apprend pourtant pas grand-chose en général), c’est ce qui connecte les gens entre eux. Ceci reste vrai un siècle ou deux après son invention. Ensuite cela se métamorphose en une machine à tuer les autres (croisades, djihad et tutti quanti) à la tête de laquelle se recrutent des minus habens n’ayant pas la moindre idée de ce qu’avait prôné le fondateur de la religion en question.
Un siècle ou deux, vous me direz, c’est beaucoup mieux que les quelques dizaines d’années d’état de grâce à tout casser des révolutions, ou les dix ans d’un Reich destiné à durer mille ans.
Oui, par comparaison, un siècle ou deux avant que n’ait lieu la chute dans le dogmatisme imbécile et belligérant, ce n’est pas mal du tout.
L’ennui avec les religions, c’est qu’elles exigent de nous que nous croyons à des fariboles défiant l’imagination. Que nous sommes encore en vie après que nous sommes morts par exemple, ou qu’il y a un Grand Horloger qui règle dans sa bienfaisante sagesse tout ce bordel. Mais une religion qui réclamerait simplement la survie de l’espèce sur sa planète ?
Bon d’accord, il n’y a aucune justification rationnelle à une telle exigence, il y a surtout des arguments contre, et il faudrait en faire un dogme : « La survie de l’espèce humaine à la surface de sa planète est une bonne chose ». Mais, en matière de dogmes, on a vu bien pire, non ?
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…