Billet invité.
Qu’ils s’appellent Google, Facebook, Vodafone, Cisco ou Microsoft, les grands acteurs américains d’Internet cherchent tous à convaincre leurs clients qu’ils ne sont pour rien dans les agissements de la NSA. Mais ils rencontrent une même difficulté pour le prouver, ce qui les conduit à passer à l’offensive pour se défendre. Le ver reste toutefois dans le fruit.
Robert Litt, le principal conseiller du Directeur du Renseignement National (ODNI) – qui coordonne les dix-sept agences de renseignement américaines – a déclaré « que c’est sans aucun doute une perte pour notre nation d’enregistrer que des compagnies abandonnent leur disposition à coopérer légalement et volontairement [avec ces agences] ». En d’autres termes, que cela réduit l’importante zone grise qui permettait beaucoup d’arrangements sans qu’un mandat ne soit nécessaire, comme A.T.&T. et Verizon l’ont confirmé en déclarant ne plus vouloir s’y prêter.
Microsoft ne s’est pas contenté de réduire sa coopération et a décidé de s’opposer en justice à une décision judiciaire lui enjoignant de remettre des données stockées sur un serveur basé hors du territoire américain, recueillant le soutien de l’opérateur américain Verizon. La compagnie déplore que le gouvernement puisse obtenir un mandat afin d’« obtenir les correspondances privées de n’importe quel abonné, peu importe où les données sont stockées dans le monde, et sans que l’abonné ou le gouvernement étranger ne soit mis au courant ». Si la demande de la justice était maintenue et aboutissait – ajoute-t-elle – cela donnerait des pouvoirs « extraordinaires et sans précédent » aux autorités américaines, et aurait « un impact désastreux sur les relations commerciales des compagnies américaines avec l’étranger ».
La polémique se poursuit également à la suite de l’adoption par la Chambre des représentants d’une version émasculée de la loi baptisée « USA Freedom Act », en attente de son passage au Sénat. David Drummond, le vice-président de Google a déclaré en France le 5 juin dernier qu’elle n’était « pas du tout suffisante », c’est bien le moins que l’on puisse dire. Devant cette volonté de préserver quasi intact le champ d’activité de la NSA, jusqu’où les grands intervenants d’Internet vont-ils aller afin de préserver leur business ? L’important n’est plus de participer mais de prendre ses distances, mais avec quel effet ?
Google, qui avait déjà l’intention de mettre en place son propre réseau de câbles sous-marins afin de réduire ses coûts, a désormais une raison supplémentaire pour avancer dans ce projet et contrôler ainsi ses propres données. Microsoft s’engage dans le cryptage de tous ses produits, dont Hotmail et Outlook, avec une clé à 2.048 bits, et les données seront protégées dans leurs centres de stockage et lors des téléchargements. La compagnie a aussi annoncé la création de « centres de transparence » où les gouvernements et les experts pourront vérifier qu’il n’existe pas de portes dérobées (back doors) dans le code source de leurs produits.
On en avait une petite idée – notamment en France, en raison de la collaboration entre les services et l’opérateur historique révélé par Le Monde – mais il est confirmé que la NSA ne fait que pratiquer à l’échelle planétaire ce qui ne l’est partout ailleurs à l’échelle nationale de manière industrielle ou artisanale, statut américain de super puissance oblige. Prenant les devants, l’un des principaux opérateurs mondiaux de la téléphonie mobile, Vodafone, a mis les pieds dans le plat le 6 juin dernier. La compagnie a révélé l’étendue de la surveillance opérée par les gouvernements des 29 pays européens, asiatiques et européens où elle déploie ses activités, faisant valoir qu’elle ne peut faire obstacle à l’application de la loi dans ces pays. On a également appris, à l’occasion de cette opération de transparence et de dédouanement, que onze des pays concernés interdisaient de donner des informations sur les interceptions de contenu et que six autres d’entre eux, non identifiés, avaient « un accès permanent aux communications des clients via leur propre lien direct ».
La société de surveillance est déjà très avancée. Est-il nécessaire de relever que ce sont les grandes entreprises qui, craignant pour leurs affaires, tentent de s’en dissocier, et que les gouvernements se tiennent coi, se révélant être son ordonnateur ? Ceux-ci misent sur la discrétion, jouent sur le fait accompli et la banalisation d’une surveillance invisible, tout en affichant celle-ci avec des caméras et mesures multiples de surveillance ainsi qu’en déguisant de manière symbolique en robocops des forces de sécurité, les assimilants à des troupes guerrières. Tandis que les médias jouent leur partition anxiogène. L’heure n’est plus à avertir que « l’ennemi nous écoute », mais à pratiquer les écoutes à grande échelle, comme si l’ennemi était désormais intérieur…
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…