Emprunts toxiques : l’État, l’intérêt général, les banques et nous
Première partie : L’art difficile de minimiser les pertes
Deuxième partie : « Motif impérieux d’intérêt général », quésaco ?
Billet invité.
Or ces fameux ’emprunts structurés’ dont il est question dans la seconde loi de validation (loi rétroactive) sur les emprunts toxiques, n’ont aucune définition juridique stricte ! C’est le rapport du projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, lui-même, qui en fait état dès l’introduction (p. 9) : « Les emprunts structurés ne bénéficient pas d’une définition réglementaire stricte mais la Cour des comptes note dans son rapport annuel pour 2009 (…) ».
Le rapport précise :
« La notion d’emprunts structurés recouvre en réalité deux pratiques commerciales, à savoir les « crédits structurés » et les « swaps structurés ».
Dans le premier cas, le crédit lui-même comprend une structure. Ce type de produit a été largement commercialisé par Dexia.
Dans le second cas, les collectivités souscrivaient un emprunt à taux fixe puis, éventuellement auprès d’une autre banque, elles contractaient un « swap de taux d’intérêt », c’est-à-dire un contrat d’échange de taux d’intérêt pour passer d’un taux fixe à un taux structuré. Dexia n’a pas commercialisé ces produits. En revanche, Crédit agricole Corporate and investment banking était le premier acteur sur le marché français, aux côtés de BPCE, RBS, Société générale, Deutsche Bank et Depfa.
Dans les deux cas, les taux d’intérêt ont pu fortement augmenter. Néanmoins, cette distinction emporte des conséquences juridiques importantes car les « crédits structurés » relèvent de la législation relative au crédit, tandis que les « swaps structurés » relèvent de celle régissant la vente d’instruments financiers. Les obligations des banques, notamment en termes d’information, de mise en garde et de conseil ne sont alors pas identiques » (pp. 10-11).
On voit donc que, selon les cas, les responsabilités des banques ne sont pas les mêmes et le texte de loi rappelle bien dans son article 3 que seuls ceux relevant du premier cas de figure (crédit structuré) sont concernés par la loi de validation, ce qui explique effectivement qu’une partie seulement et non la totalité des risques encourus par les ’emprunts structurés’ pourront être éteints, le législateur faisant apparemment la distinction entre les deux (le crédit structuré et le swap structuré), parce que ces deux types d’instruments relèvent chacun d’un code différent : le premier, le crédit structuré, relève du Code de la consommation, et le second, le swap structuré, du Code monétaire et financier. Et selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre, comme le dit le rapport, les responsabilités des banques ne sont pas identiques : dans un cas, c’est un manquement au contrat, un manquement ‘formel’ (ce que souligne d’ailleurs le rapport, qui en en prend prétexte justement pour proposer un troisième article sur la modification de la mention du taux effectif global [*]), tandis que dans l’autre, c’est un manquement aux obligations liées à l’exercice de l’activité bancaire.
Tout ceci explique sans doute l’absence non-accidentelle d’une définition juridique des ’emprunts structurés’ qui obligerait le législateur à poser la question de la nature et surtout de l’objet de ces instruments financiers, à savoir le fait que la finalité de certains d’entre eux en tout cas était de faire des collectivités locales bénéficiaires (si l’on peut dire !), les assureurs de fait des banques qui accordaient ces prêts. Des assureurs d’un genre un peu particulier toutefois car, comme on va le voir, les collectivités locales s’engageaient souvent à couvrir plusieurs fois le montant du risque auquel les banques étaient exposées de leur côté.
C’est d’ailleurs ce que reconnaît le rapport implicitement dans sa présentation de ces instruments dans l’encadré suivant (p. 10) mais sans bien entendu en tirer les conséquences.
Les différents types d’emprunts structurés
« Les emprunts structurés se répartissent en trois grandes familles :
« – les produits à ”barrière désactivante” : le taux fixe bonifié acheté par la collectivité est ”désactivé” au profit d’un taux variable dès lors qu’une ”barrière” (seuil défini préalablement dans le contrat de prêt) est franchie. Le risque résultant de ce type de produit est très faible. […] ;
« – les produits ”de pente” : le taux d’intérêt payé par la collectivité est calculé en
fonction de l’évolution de l’écart entre les taux courts et les taux longs, et donc de la pente de la courbe des taux. Les taux longs (correspondant à un risque à long terme) sont en principe plus élevés que les taux courts. Tant que la courbe des taux est pentue, elle garantit des taux bonifiés à l’emprunteur. Or, entre 2006 et 2008, la courbe des taux s’est aplatie, augmentant fortement les taux payés par les collectivités concernées. L’effet en a pu être d’autant plus désastreux sur certaines collectivités que la formule de calcul comportait des coefficients multiplicateurs (par 5, 7 voire dans certains cas extrêmes par 10). […] ;
« – les produits à ”barrière de change” : le taux bonifié initial est susceptible d’évoluer en fonction d’une parité monétaire qui dépasserait un seuil prédéfini dans le contrat. Il est alors remplacé par un taux composite intégrant l’écart constaté et est souvent affecté d’un coefficient multiplicateur. Le risque pour la collectivité est ici très élevé. […] ;
« Les deux derniers types de produits structurés […] sont spéculatifs. Cette situation tient au fait que leur construction repose sur des variables exogènes à l’activité des collectivités comme les taux de change ou la pente de la courbe des taux. Seuls ceux-ci peuvent être qualifiés de ”prêts toxiques”. Avec le recul dont nous disposons début 2013, on peut considérer que les risques les plus importants sont concentrés dans les produits à ”barrière de change” ».
Source : Eric Portal, « Risques et maîtrise de la dette volatile des collectivités locales françaises », in Revue française de Finances Publiques, 1er septembre 2013 n° 123, p. 73.
À leur corps défendant, les collectivités locales devenaient donc par ces emprunts structurés, les assureurs de fait des banques qui leur accordaient ces prêts puisque le risque de taux ou de change auquel ces banques étaient par ailleurs exposées était déplacé (et son montant souvent délibérément démultiplié) de la banque à la collectivité locale – en échange d’une bonification du taux de l’emprunt par celle-ci. Ceci revenait à faire des deux partenaires, de simples spéculateurs, l’un à la hausse et l’autre à la baisse d’un taux d’intérêt ou d’un taux de change arbitrairement choisi, mentionné au contrat ! Le garant de ces paris était dans le meilleur des cas les administrés de ces collectivités locales et dans le pire des cas, en dernier recours et comme on le constate aujourd’hui, le contribuable français.
==================================
[*] « Le calcul du taux effectif global repose sur l’hypothèse que le contrat de crédit restera valable pendant la durée convenue et que le prêteur et l’emprunteur rempliront leurs obligations selon les conditions et dans les délais précisés dans le contrat de crédit » Article R313-1 du Code de la consommation
« Vladimir Poutine montre qu’il cherche à évoluer dans un cadre légaliste écrit normatif » Mais oui bien sûr ! Louis XIV…