STAGNATION SÉCULAIRE DU CAPITALISME ASSISTÉ ? par François Leclerc

Billet invité.

La Commission de Bruxelles a rendu hier son verdict en critiquant l’Italie en raison de la faiblesse de l’amélioration de sa productivité (et de la réalisation de ses réformes), après avoir placé la France sous « surveillance renforcée ». Et, pour faire bonne mesure, relevé que l’Allemagne ne renforce pas assez sa demande intérieure afin de contribuer aux exportations des autres pays européens et de les soulager. Un constat qui vaut signe d’impuissance devant l’évidence : la politique déflationniste poursuivie en Europe ne donne toujours pas signe du résultat escompté, c’est à dire du retour d’une croissance présentée comme salvatrice.

La bataille fait rage en Grèce pour déterminer le montant de la recapitalisation des banques, le FMI voulant en plaçant haut la barre faire la preuve qu’il va falloir employer les grands moyens et ne pas se contenter d’un replâtrage financier. Illustrant que le FMI est plus généralement convaincu des méfaits de la politique poursuivie en Europe et qu’il utilise le cas de la Grèce comme un moyen de le faire savoir. Le gouvernement portugais hésite de son côté sur la conduite à tenir à la sortie de son plan de sauvetage, car la preuve n’est pas faite qu’il va pouvoir faire face aux conditions accordées par le marché, qui en tout état de cause imposeront la poursuite de l’austérité budgétaire et salariale pour en faire un état permanent.

La diminution des salaires (du coût du travail) a été choisie en Europe en raison de la rapidité présumée de son effet sur une relance par l’exportation, mais c’est raté ! Coup double, la disette budgétaire fait obstacle au financement de la transition écologique, qui reste un vœu pieux, et plus particulièrement la transition énergétique. Ce qui fait l’affaire de l’industrie électronucléaire. Comme l’industrie financière, elle n’est pas avare en lobbying, accréditant l’idée de leur appartenance au même monde.

Sous couvert de recherche de la compétitivité, l’objectif de la politique poursuivie est de stopper la poursuite de l’endettement – dont l’augmentation brutale doit aux conséquences de la crise du système financier – mais il répond derrière à une autre priorité : solidifier la dette publique, sur laquelle ce dernier repose en dernière instance. Il va en avoir bien besoin, si l’on en croit Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui pronostique dans l’euphorie que la taille additionnée des bilans des banques de la City pourrait atteindre neuf fois celle du PIB britannique en 2050, résultat de projections prenant en compte la croissance du système financier (et non pas celle de l’économie qui reste à la traîne).

La Banque d’Angleterre devrait décider aujourd’hui de maintenir à 0,50% son principal taux directeur, en dépit de l’amélioration du taux de chômage officiel sur lequel s’appuyait à l’origine sa politique de forward guidance, et du niveau atteint par la croissance britannique (qui intègre les activités de la City). Pour quelle raison cette assistance du système financier est-elle maintenue, si ce n’est qu’il n’a pas toujours pas retrouvé son équilibre ? Succédant à la grande perdition s’annonce une stagnation séculaire et l’avènement pour une longue durée du capitalisme assisté. Mais un tel sur-place n’est pas viable éternellement.

Sur quoi la BCE fonde-t-elle ses espoirs pour la zone euro, dans ces conditions ? Sur la revitalisation du marché de la titrisation, qui est très loin de retrouver son niveau des années précédentes, condition selon elle au rebond du crédit aux entreprises. En préconisant l’émission d’ABS (Asset-backed securities) de modèle standard et à risque limité. La relance de la titrisation devrait permettre d’éviter que les banques coupent dans leur bilan afin ne pas augmenter leur fonds propres tout en respectant les ratios réglementaires. Ce qui créerait sur le papier les conditions d’une relance du crédit aux entreprises.

Expression du caractère chronique de la crise financière européenne, sur les 180 milliards d’euros de produits titrisés en 2013, 104 milliards auraient été utilisés comme collatéral afin de garantir les emprunts des banques à la BCE, selon une analyse du Financial Times. Poursuivant sa logique, l’Institut de Francfort considère qu’il serait utile d’assouplir la réglementation du Comité de Bâle, afin qu’il ne soit pas nécessaire pour les banques de détenir du capital en contrepartie de certaines catégories d’ABS. Offrant la démonstration par le contraire que la clé de la situation réside dans le nettoyage du système bancaire et que la déflation intérieure (la contrainte salariale) prend la question à l’envers.

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