Billet invité, en réponse au texte de Jacques Seignan sur la complexité
En bon Jésuite, je réponds à une question de Jacques Seignan par une question.
Le grand Tolstoï, que je vénère, s’est longuement interrogé sur la condition humaine et sur les ressorts de l’histoire, notamment dans son formidable roman « Guerre et Paix ».
Au travers de son œuvre, on sent percer une réflexion subtile sur la complexité de notre univers, et celle du fonctionnement de nos sociétés et en conséquence sur l’irréductible impossibilité de la maîtriser, alors même que nous éprouvons déjà des difficultés à maîtriser nos propres existences. Sa réflexion sur le libre arbitre et l’histoire en font un penseur et surtout un vulgarisateur indispensable de la complexité.
Extraits choisis de Guerre et Paix [de nombreuses versions de cette œuvre existent et je n’ai pu retrouver toutes les perles qu’elles recèlent en termes de pensée de la complexité et de la réalité du libre arbitre] :
« Le mouvement, concentré le matin dans le quartier général des Empereurs, en se répandant de proche en proche, avait atteint et tiré de leur immobilité jusqu’aux derniers ressorts de cette immense machine militaire, comparable au mécanisme si compliqué d’une grande horloge. L’impulsion une fois donnée, nul ne saurait plus l’arrêter : la grande roue motrice, en accélérant rapidement sa rotation, entraîne à sa suite toutes les autres : lancées à fond de train, sans avoir idée du but à atteindre, les roues s’engrènent, les essieux crient, les poids gémissent, les figurines défilent, et les aiguilles, se mouvant lentement, marquent l’heure, résultat final obtenu par la même impulsion donnée à ces milliers d’engrenages, qui semblaient destinés à ne jamais sortir de leur immobilité ! C’est ainsi que les désirs, les humiliations, les souffrances, les élans d’orgueil, de terreur, d’enthousiasme, la somme entière des sensations éprouvées par 160 000 Russes et Français eurent comme résultat final, marqué par l’aiguille sur le cadran de l’histoire de l’humanité, la grande bataille d’Austerlitz, la bataille des trois Empereurs ! »
Et plus loin :
« On pense généralement que plus le pouvoir dont on dispose est grand, plus on est libre. Les historiens, relatant des événements qui ont eu lieu dans le monde, affirment que tel ou tel fait s’est produit de par la volonté d’un homme, qu’il s’agisse de César, de Napoléon ou de Bismarck, alors qu’affirmer que cent mille hommes périrent en Russie en s’entre-tuant de par la volonté d’un ou deux hommes est aussi absurde que de prétendre qu’un montagne de millions de tonnes qu’on a excavée s’est écroulée à cause du dernier ouvriers qui lui a donné un coup de pelle. Napoléon n’a pas entraîné l’Europe en Russie: ce sont les Européens qui ont entraîné Napoléon avec eux, le forçant à les gouverner. Afin de s’en convaincre, il suffit de penser que l’on attribue à cet homme le pouvoir de contraindre cent mille hommes à s’entre-tuer et à mourir. On comprend qu’il peut exister une loi zoologique, identique à celle qui régit les abeilles, et qui les force, sans doute, à s’entre-tuer et contraint les mâles à se massacrer les uns les autres, et même l’histoire confirme la réalité de cette loi; mais croire qu’un homme ordonne à des millions de ses semblables de s’entre-tuer est dénué de sens, car cela est inconcevable et impossible. […]
Et plus on a de pouvoir, plus on a de liens avec les autres hommes, moins on a de libertés. En agissant sur lui-même, un savant, un artiste, un penseur est libre; en agissant sur les autres, le chef de guerre, le roi, le ministre, le mari, le père n’est pas libre et relève des lois instinctives et, en s’y soumettant, à l’aide de l’imagination et de l’esprit, il contrefait inconsciemment sa liberté, et parmi les innombrables causes coïncidentes de chaque phénomène instinctif il choisit celles qui lui semblent justifier sa liberté. C’est là que réside tout le malentendu. »
« Biden vient de soulever un peu la planche de son côté. » « L’élargir hors de l’Ukraine. Zelensky s’y est employé » Ah…