Les banques centrales : LA QUESTION A 4.000 MILLIARDS DE DOLLARS, par François Leclerc

Billet invité.

Le comité de politique monétaire de la Fed a décidé hier de continuer à diminuer ses achats mensuels de titres, sans plus se soucier des conséquences sur les devises des pays émergents, qui plongent en dépit des interventions de leurs banques centrales respectives. Son communiqué final l’ignore même superbement. Le rand sud-africain, la roupie indienne, le rouble russe, la livre turque et le réal brésilien ne résistent pas au retrait brutal des capitaux résultant des décisions de la Fed, qui persiste et signe. L’Euro se renforce vis à vis de la monnaie des pays émergents, contribuant aux pressions déflationnistes. Le troisième programme d’assouplissement monétaire de la Fed se poursuit néanmoins, au rythme encore substantiel de 65 milliards de dollars mensuel, annoncé pour à nouveau se réduire « à pas mesurés ».

Cela conduit néanmoins à poser une question dérangeante : les politiques monétaires de la Fed et de la Banque du Japon – qui impriment leur marque au plan mondial – sont-elles vraiment réversibles ? Les promesses d’assèchement ultérieur des liquidités déversées par les soins de la Fed sont-elles crédibles ? Pour mémoire, ces deux banques centrales, ainsi que la Banque d’Angleterre et la BCE, ont ensemble injecté quelques 4.000 milliards de dollars dans le système financier.

Les conséquences d’une poursuite seraient fortement négatives en raison de l’accroissement de la base monétaire et de la masse des actifs financiers qui en résulterait. Ces derniers trouvant de moins en moins leur répondant dans une économie dont la croissance globale augmente à un rythme bien inférieur. Le déséquilibre structurel du système financier en sortirait aggravé, tandis que la fragilisation du socle que constitue la dette publique se confirme, la menace d’un défaut n’étant plus réservée aux pays émergents mais se manifestant au sein de la zone euro. Les flux de capitaux exprimant les espérances de gains ou les craintes de pertes des investisseurs en seraient de plus en plus imprévisibles, massifs et nocifs.

L’éventualité de voir la Banque du Japon aller au-delà de ses objectifs initiaux de doublement de la taille de son bilan – la Fed ayant seulement entamé la décélération de son programme, son bilan continuant de croitre – accrédite une poursuite. Certes le bilan de la BCE se dégonfle actuellement, à la faveur des remboursements de ses prêts aux banques. Mais c’est à contre-courant de la tendance générale et pourrait être provisoire, lié à son examen des bilans de banques voulant afficher une meilleure santé, en attendant qu’un nouveau programme d’achats de titres de la BCE se concrétise et qu’une aide soit apportée aux banques placées devant le refinancement de crédits qu’elles ne peuvent rembourser.

Mais d’un autre côté, une sortie sera lourde de conséquences. Manifestant à nouveau un fort appétit au risque, les investisseurs cherchent à tirer leur épingle du jeu – ou a profiter des bonnes occasions – et font preuve à la fois d’une forte addiction aux flux de liquidités mis à leur disposition et aux faibles coût de financement dont ils bénéficient. Ce deuxième volet des politiques accommodantes est d’ailleurs destiné à se perdurer, est-il sans cesse réaffirmé afin de calmer le jeu, car une sortie des politiques monétaires expansionnistes aboutirait à des pertes massives pour les investisseurs, le maintien du prix des actifs boursiers et obligataires au niveau élevé est donc un puissant frein à la sortie.

Celle-ci accentuera également les problèmes de solvabilité des Etats, et compromettra la relance économique. Une étude estime qu’un retour aux taux obligataires de 2007 – sous l’effet de l’assèchement des liquidités – ferait croitre de 20% le montant des intérêts sur la dette souveraine. L’impact sur l’endettement des entreprises et des particuliers serait également très fort.

L’ensemble permet de prédire que la sortie de la politique actuelle sera dans le meilleur des cas très progressive et lente, afin d’éviter de brusques réactions des marchés. Entre les mains des banquiers centraux, le pilotage de la crise est très délicat, en raison des vents contraires auxquels ils sont soumis.

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