Billet invité
Pour l’auteur, la parution de son œuvre serait déjà un aboutissement. C’est autant un moment de bilan alors nécessaire, voire un temps de la juste pause. Je dirais donc que la parution de mon essai cette semaine en France, relève d’un cas… presque conforme.
Presque, parce que vivre, survivre et ainsi rédiger « sous la direction » de la crise grecque, qui plus est dans un régime notoirement méta-démocratique, cela oblige à observer une certaine réserve, dans le sens où le temps événementiel maussade de la Grèce ainsi que du bilan seraient d’emblée et quelque part brouillés. Car cet essai (« La Grèce Fantôme – Voyage au bout de la crise 2010-2013 » – Fayard, parution le 23 octobre 2013), et chronique du temps interminable de la dite « crise », contraint le « sujet encore pensant » que je crois être, à surnager dans un océan de stimuli parasites, et ainsi péniblement trier pour en extraire le moins insignifiant possible, pour aboutir ainsi à une première exégèse et autant témoignage, issus du contexte que l’on connaît. Et en grec, le terme « témoignage » est utilisé pour signifier également « le martyre », ce n’est guère par hasard.
C’est (autant) et ainsi que mon blog www.greekcrisis.fr né en octobre 2011, fut d’abord un « témoignage martyrique », car justement opérant ce tri nécessaire au beau milieu de la « déchèterie » débordante de mauvaises nouvelles par essence accablantes, et qui déferlent de manière incessante depuis bien trois ans.
Nous voilà donc bien installés dans la « crise ». Elle nous paraît alors toute neuve, soudaine, « innovante » même pour un si vieux pays, de surcroît habité des frictions politiques et économiques récurrentes. Ce récit tient d’abord de la collecte d’informations brutes – terme qui est à prendre dans son sens propre, d’abord. Il s’intéresse à toutes les dimensions de la temporalité de la crise grecque : non seulement ses effets immédiats sur chacun, mais aussi ses conséquences à long terme sur les structures du pays et ses institutions. Sous nos yeux, nous avons vu le pays se transformer en laboratoire d’un régime en somme novateur : la méta- démocratie. On y observe mieux que nulle part ailleurs la mutation de nos régimes occidentaux, de nature oligarchique- libérale, autrement dit nos démocraties « gentilles », en des régimes oligarchiques- dictatoriaux.
Pour parvenir à ce stade abouti, l’évolution en Grèce aura pris moins de trois ans. C’est aussi cette histoire que j’ai voulu raconter. Une telle démarche est d’autant plus laborieuse (que) lorsque la nécessaire mise en distance relève alors et chaque jour davantage, d’un exercice d’acrobate. Les impressions physiques et noétiques de la dite « crise grecque » occupent de ce fait une place importante en paragraphes de mon blog, en plus d’un certain positionnement politique (de la « Politeia ») lequel sûrement se prêtera toujours et volontairement au débat. Donc de ce fait, le bilan n’est peut être que provisoire.
C’est à la suite du blog que ce projet éditorial – né vers la fin de l’année 2011 – se réalise en ce mois d’octobre 2013, s’agissant de la parution de La Grèce Fantôme – Voyage au bout de la crise 2010-2013.
« En mai 2010, le FMI, l’Union européenne et la BCE, ont missionné leurs experts et mis le pays sous leur tutelle : Trois ans plus tard, au lieu d’un redressement des finances, on assiste à un effondrement du pays et à une catastrophe humanitaire. La Grèce n’est plus que le fantôme d’elle-même. Panagiotis Grigoriou fait la chronique de la vie effroyable en temps de crise financière. Historien et ethnologue ayant longtemps enseigné en France, il choisit de vivre à Athènes en 2008 : dès le déclenchement des événements, il décide de rapporter le quotidien des Grecs dans un blog, Greek Crisis, qui connaît un succès immédiat. Ces histoires sont celles de la classe moyenne qui disparaît partiellement du monde du travail, des actifs tous touchés par le chômage et, pour les plus « chanceux » d’entre eux, contraints à prendre le chemin de l’exil. Il dit le désespoir des petits commerçants, des étudiants, des diplômés ou encore des retraités, à la recherche de stratégies de rechange, souvent dérisoires ou impossibles : quitter le pays, changer de secteur d’activité, se répolitiser, se dé-socialiser, ou encore se suicider ou se laisser mourir… Ce sont les seules alternatives laissées à une population totalement déstabilisée, qui n’a plus d’autre perspective que sa survie immédiate. La crise ne s’est pas abattue sur la Grèce à cause des errements réels et avérés de sa classe politique. L’explosion de la dette du pays n’est pas la seule cause : la Grèce a été choisie comme laboratoire des politiques d’austérité, elle est soumise à une expérience-limite. La Grèce fantôme se veut aussi une réflexion sur le projet européen et ses incohérences, voire ses faillites. Panagiotis Grigoriou a contribué à l’élaboration du film documentaire Khaos. Les visages humains de la crise grecque, réalisée par Ana Dumitrescu (2012) », peut-on lire sur le site de l’éditeur.
Ce n’est pas tout, et je tiens à le préciser, car le film d’Anna Dumitrescu n’est plus tout à fait un cinématographe de l’instant présent. Déjà ce qui est montré, appartient à la tout juste dernière minute historique ! Entre les dernières séquences du film tournées au moment des élections de mai 2012, et notre temps d’après, il y a eu toute une « éternité » en événementialité accablante. Cette événementialité impose cependant une effrayante déstructuration du temps présent et futur (en réalité de leur perception), comme la Grèce contemporaine n’avait connu depuis les années 1940. En Grèce en ce moment, toute eschatologie devient ainsi impossible.
À ce titre, « La Grèce Fantôme » propose un périple à travers « la crise historique », car si possible, fixée et inscrite dans le temps. Nonobstant, je considère aujourd’hui qu’il y a eu déjà trois grandes étapes dans l’instauration de ce nouveau régime en Grèce. D’abord, il y a la période du proto-mémorandum de 2010 à 2012, un moment alors de forte protestation populaire depuis un corps social encore presque entier dans son existence économique et symbolique.
Ensuite, la période suivante et inaugurée au moment dramatique des élections législatives de 2012 s’est achevée en juin 2013, c’est-à-dire, au pire moment de la « mort subite » de la radiotélévision publique ERT. Ce fut une accélération dans « l’accomplissement » du plagiat du régime démocratique, ce dernier étant certes déjà très improbable pour l’exprimer ainsi… gentiment. Effectivement sur ce point, je reprends l’essentiel de l’analyse de Cornelius Castoriadis sur ce sujet, au demeurant plus éclairante que jamais.
Depuis juin 2013, le régime du plagiat se met en marche forcée pour ainsi aboutir à un autoritarisme de type inédit pendant lequel pour l’instant, seule la (presque) libre expression demeure possible, d’ailleurs bien surveillée et autant insidieusement parasitée par le discours imposé par les (multi) medias de cette même « gouvernance ». C’est autant le règne des « algos », et « parce que la manière dont les automates agissent sur les marchés en chasse les hommes », comme nous est (aussi) répété par Paul Jorion. Je remarque simplement que le terme « algos » désigne en grec « la douleur », ce qui dans l’étymologie stricte n’a évidemment rien de commun avec les « algorithmes ».
Et en ce moment de la fin octobre, nous redoutons une éventuelle reprise du siège de la radio-télévision ERT (devenue autogérée et ainsi presque libre), d’un assaut des forces de l’ordre du régime, pendant que l’impasse dans l’économie réelle et dans la presque vie de tout un chacun en Grèce ne fait plus aucun doute. Sauf que la… nouvelle économie, celle du « capitalisme du désastre organisé » exige d’abord la déréalisation des existences pour ainsi poursuivre dans sa démarche téléologique, un finalisme alors aboutissant dans une hasardeuse aporie. Aporie qui en grec, signifie autant « la pauvreté ». La dite « crise » fait surgir un nouveau « modèle de civilisation et autant un cas anthropologique », ce qui n’est pas forcement rassurent, Aube dorée comprise. Sauf que c’est déjà fait.
Et même si trop souvent (à défaut de comprendre ou de décrire nos réalités) nous faisons encore allusion à une certaine « culture politique » ou « culture de guerre », or issues du 20ème siècle (Weimar, nazisme, entre-deux Guerres…), de toute évidence, nous sommes dès lors « façonnés » par le tout premier court 21ème siècle athénien et de la Grèce fantôme.
Envoyer un mail pour prévenir d’une panne de messagerie, c’est à peu près aussi malin que vous écrire pour vous…