Billet invité.
ROMS
ROMS – Groupe hétérogène de nomades pacifiques, partiellement en voie de sédentarisation, qui fait plus parler de lui dans l’Europe moderne que la horde hunnique menée par Attila du temps où l’Europe, c’était Rome. On imagine mal – et peut-être n’y a-t-il rien à imaginer d’ailleurs – à quelles contorsions généalogiques les aryanistes nazis se sont livrés pour justifier l’ostracisation puis l’extermination des Roms d’Europe (de 250 000 à 500 000 sur les 700 000 recensés) : les Roms sont les lointains descendants d’« authentiques » Aryens, comme l’examen de leur langue, le romani, suffit à le prouver. Un premier groupe de Roms, des réfugiés climatiques, quitta le Sind (embouchure de l’Indus) au VIIIe siècle après J.-C., fit étape en Mésopotamie, puis gagna la Grèce pour échapper aux sbires du calife abbasside Al-Mu’tasim, qui tranchait du païen à ses heures perdues. Un second groupe de Roms, parti de la région de Delhi et composé des débris de l’armée des Rajputs vaincue à Teraïm en 1192 par un corps d’archers à cheval musulmans, parvint en Europe à la fin du Moyen Âge et se fondit dans le premier pour former la communauté des Romané Chavé, « Fils de Ram », le héros de l’épopée Ramayana. Voilà pour les grands mouvements, sur de longues distances et en plusieurs vagues. Il y eut par la suite, au XIXe et au XXe siècle, d’autres mouvements de Roms dans l’enclos européen, dus pour l’essentiel à l’abolition du servage dans les territoires moldaves et valaques, avec des prolongements dans le Nouveau Monde[1].
Là où les Roms passent, et sans qu’ils l’aient provoquée nécessairement, la bêtise repousse plus dru chez le péquin aigri et lâche qui préfère marcher sur la roulotte du pauvre en haillons plutôt que sur la Bastille du riche à millions. En France, si l’on en croit les journalistes et les représentants politiques – une minorité honnie mais encore très courtisée de sédentaires incapables de décamper de leur(s) mandat(s) -, ce serait le second sujet des conversations de zinc après les impôts. Les Roms « visibles » (non intégrés) seraient entre 15 000 et 20 000 dans le pays de Tony Gatlif. On exige d’eux qu’ils se sédentarisent ou s’en aillent, mais s’ils font mine de s’établir, dans des conditions le plus souvent précaires, on leur donne de bonnes raisons de reprendre la route, quand on ne les y force pas en les délogeant manu militari de leur aire. D’un côté, depuis le 5 juillet 2000, la loi Besson oblige les communes de plus de 5000 habitants à viabiliser et à lotir des terrains d’accueil pour les gens du voyage et semble reconnaître un droit à l’itinérance, de l’autre les maires arguent de toutes sortes d’obstacles insurmontables pour ne pas avoir à l’appliquer[2], préférant étendre les surfaces dévolues au pavillonnaire et au commercial.
Bien des choses s’expriment dans l’obsession des Roms, dont peut-être l’antique, l’inoxydable défiance que suscite le vagabondage. Pour ne remonter qu’au XVIe siècle, on faisait en Suisse une différence entre le mendiant résidant en permanence dans le village et ayant une famille à charge, mendiant contrôlable, et les mendiants vagabonds, mendiants incontrôlables, coutumiers des larcins et des impostures dignes de la cour des miracles[3]. Or, semi-nomadisme[4] ne rime pas automatiquement et, de fait, rime rarement avec mendicité, maraude et misère. Du reste, de ce que le processus de sédentarisation des Roms était déjà bien amorcé au milieu du XIXe siècle pour qu’on puisse poser un premier rapport d’un (semi-)nomade pour trois sédentaires[5], il ne découle pas nécessairement qu’il est irréversible et que tous les Roms s’y soumettront pour échapper à la déchéance. Il n’est d’ailleurs pas certain que le risque de dessocialisation ou de déclassement soit conjuré par une domiciliation fixe, qu’on soit Rom ou pas. Si les conditions d’une nomadisation heureuse ou à tout le moins apaisée se trouvent réunies, il se pourrait même que des Roms sédentaires renouent avec la mobilité, comme cela s’observe en Italie[6]. Tout compte fait, nous devrions être reconnaissants aux Roms de nous inviter, par-delà la diversité des situations, à interroger la norme sédentaire. Nous devrions même les élire citoyens d’honneur au vu de leur seul bilan carbone.
La sédentarisation, dans le cadre de petites structures urbaines, elles-mêmes inscrites dans un territoire vaste, peu peuplé et bien nanti en ressources essentielles, est tout à fait viable. Lorsque plusieurs milliards d’hommes y aspirent en même temps, sur une planète dégradée en surface comme en profondeur, et viennent grossir de leur flot incessant la souillure de l’urbanisation en tache, c’est un pandémonium en construction. Les semi-nomades, dans cette configuration, sont moins à craindre que ces foules d’aspirants à la propriété qui préparent un enfer à leurs enfants pour avoir leur coin de paradis. La question n’est pas de savoir si nous avons encore le choix. Nous devons, sous peine de connaître une extinction de masse, revoir totalement notre rapport au sol.
Pourquoi ne pas envisager un semi-nomadisme, fondé sur un gel de l’occupation humaine, comme il existe un gel de l’exploitation agricole, qui laisserait respirer les sols quelque temps sans attendre qu’ils soient pollués ou épuisés ? Pourquoi ne découperions-nous pas les villes en secteurs de rotation de l’habitat, certains secteurs étant laissés volontairement en friche, jusqu’à la reconstitution de la biodiversité ? Au terme du processus, on pourrait y reloger les habitants d’un autre secteur rendu à la nature. Nous montrerions par là que nous avons compris qu’un sol vivant ne se possède pas mais qu’il se loue. Pour l’instant, il n’y a que les accidents nucléaires de type Tchernobyl ou Fukushima pour offrir un répit à la terre qui nous porte et nous nourrit. L’autre avantage du semi-nomadisme, avantage qui le rend insupportable au système marchand, est qu’il oblige à limiter le lest du superflu et à être plus soigneux de l’essentiel. Un sédentaire considérera toujours comme une catastrophe absolue la perte de ses biens consécutive à une inondation, à un incendie ou à une tornade. Un semi-nomade, qui, pour éviter l’encombrement dans un épisode de mobilité, accumule beaucoup moins de biens, souffrira bien un peu d’une telle perte, mais il n’aura pas l’impression d’y laisser trop de lui-même. Le secret du bien-vivre est de voyager léger et bien couvert. Voyager en grand arroi et couvert de biens vous fait une mort sociale, voire une mort tout court, d’une attaque de bandits.
Qui tient d’après vous le gouvernail de nos destinées, Mandrin ou Al Capone ?
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[1] Voir Elena MaruÅ¡iakova & Veselin Popov, « Les migrations des Roms balkaniques en Europe occidentale : mobilité passées et présentes », Balkanologie, vol. XI, n° 1, décembre 2008.
[2] On pouvait lire ceci dans un article du Monde.fr du 30 juillet 2010 : « Une fois le schéma validé (ce fut le cas pour la plupart en 2004), les municipalités avaient deux années pour réaliser les équipements programmés ou confier cette tâche à une structure intercommunale. Confrontés à de nombreuses difficultés, les maires ont demandé à l’État un délai supplémentaire de deux ans. Premier bilan en 2008. Selon un rapport ministériel, 42 % des 42 000 places nécessaires ont été aménagées. Ce qui a valu à la France d’être récemment épinglée par le Conseil de l’Europe. Rapporteur de la loi au Sénat en 2000, Pierre Hérisson dénonce aujourd’hui encore « les maires qui traînent les pieds ». « Trop d’aires d’accueil n’ont pas été construites sous prétexte qu’il y avait des oppositions des élus ou des habitants, déplore-t-il. Et la loi est inopérante. » En effet, elle ne prévoit pas de sanction à l’encontre des maires qui ne respectent pas la loi. C’est alors le préfet qui doit se substituer au maire pour réaliser l’aménagement aux frais des municipalités réfractaires. « Sauf que cette disposition n’a pas été appliquée une seule fois en dix ans », souligne le sénateur. »
[3] Le Liber vagatorum (1500-1510) répertorie tous les types et signale ceux auxquels doivent aller l’estime et l’aumône. Il a été étudié par BronisÅ‚aw Geremek dans Les Fils de Caïn. L’image des pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne, Flammarion, 1991.
[4] Semi-nomadisme parce que, hors épisode migratoire intense, l’itinérance des Roms qui ont fait ce choix est entrecoupée de stations plus ou moins longues, parfois en des lieux déjà fréquentés auparavant.
[5] Voir note 1.
[6] Ibid.
« Biden vient de soulever un peu la planche de son côté. » « L’élargir hors de l’Ukraine. Zelensky s’y est employé » Ah…