L’actualité de demain : LES AUDACES LIMITÉES DU FMI, par François Leclerc

Billet invité

Les sherpas du G20 finances de Washington qui s’ouvre aujourd’hui continuent de rechercher des périphrases pour évoquer la situation américaine dans le communiqué final. Alors qu’en avant-première de son assemblée générale, le FMI vient de pénétrer dans des territoires inconnus, sa directrice générale ayant déjà signalé leur existence fin août dernier. Inventoriant les inquiétudes que l’on pouvait avoir à propos de la stabilité financière, après avoir analysé les conséquences sur les pays émergents de la brutale relocalisation aux États-Unis des capitaux, ainsi que le risque de hausse des taux américains qui pourrait se poursuivre si la Fed diminuait ses achats de dette, le fonds s’inquiète également de la progression de l’endettement dans les économies avancées, une nouveauté.

Les chiffres sont là : en dépit des exhortations et des coupes budgétaires, la dette continue d’augmenter dans les pays avancés et les discours n’y peuvent rien, pas plus que les restrictions budgétaires. C’est à ce dernier propos que le FMI se lance et fait preuve d’audace, jugeant « possible » que les plus hauts revenus et les grandes entreprises contribuent d’avantage au désendettement. Aux seuls États-Unis, il chiffre à 60 milliards de dollars annuels le fruit de l’optimisation fiscale des entreprises, ce qui lui permet d’identifier des marges de manœuvre.

Le FMI n’a pas encore pénétré sur un autre terrain miné, sauf dans le cas de la Grèce pour laquelle toute décision est repoussée à fin décembre (pour le moment), afin de déterminer la soutenabilité de la dette à une plus vaste échelle. Les économistes s’accordent pour considérer que c’est le cas lorsque le taux auquel un pays se finance sur le marché est inférieur ou égal à sa croissance, lui permettant alors de stabiliser sa dette, si ce n’est de la réduire. Comme ce n’est actuellement pas le cas dans de nombreux pays, ne faudrait-il pas conclure que la dette y est également insoutenable ? À suivre.

Il est fondé beaucoup d’espoir dans un relèvement du plafond de la dette américaine, non seulement pour éviter un défaut annonciateur d’une récession généralisée, annoncé par l’OCDE après d’autres qui prévoient pire encore, mais parce que la seule alternative serait de réduire drastiquement les dépenses budgétaires, avec pour conséquence de faire également plonger le pays dans la récession. Dans ces conditions, il ne peut être question que de continuer à s’endetter. Mais l’on en oublie de s’interroger sur qui possède cette dette et par qui elle va pouvoir être financée.

Au 30 septembre dernier, elle était de 16.738 milliards de dollars, dont 9.857 milliards (65 %) étaient détenus par la Fed, les banques américaines utilisant ses liquidités, les États confédérés et le fonds de sécurité sociale (qui finance notamment les programmes Medicare et Medicaid, ainsi que l’assurance vieillesse et l’assurance chômage). Les deux principaux créditeurs étrangers étaient la Chine (1.277 milliards de dollars, soit 7,5 % de la dette) et le Japon (1.135 milliards, soit 6,8 %). Ces deux derniers pays ont donc beaucoup à perdre d’une hausse des taux obligataires qui diminuerait la valeur de leurs réserves en dollars, et ils ne se privent pas de le faire savoir. Mais il en résulterait également d’importantes pertes pour le fonds de sécurité sociale, mettant en cause ses programmes. Il détient 4.762 milliards de dollars de la dette (28 %), soit davantage que la Fed et les banques commerciales réunies (4.470 milliards, soit 26,30 %).

Qui va continuer à financer la dette américaine ? Les Chinois ont en tout cas cessé et, sans percer ce mystère entretenu, il est à noter que les 85 milliards de dollars mensuels d’achats de titres actuels de la Fed représentent annuellement un montant équivalent au déficit de l’exercice 2012, soit 1.087 milliards de dollars, et nettement plus que le prévisionnel de l’exercice 2013 (845 milliards de dollars). Dans ces conditions, il est tentant d’en conclure que la Fed finance au moins le déficit, compte-tenu qu’elle achète également des titres hypothécaires, le marché n’étant mis à contribution que pour faire rouler la dette. On comprend alors mieux que diminuer ses achats suppose que le marché prenne le relais et, comme il l’a montré, qu’il n’y est pas prêt vu les risques.

La crise de la dette européenne a relégué au second plan celle des États-Unis, dont il est simplement reconnu qu’elle ne peut pas indéfiniment grossir, en espérant que cela interviendra le plus tard possible. Mais, à défaut d’un vertueux taux de croissance économique supérieur aux taux consentis sur le marché obligataire, comment pourra-t-elle être stabilisée sans coupes budgétaires inévitables afin d’y parvenir et contrecoup économique correspondant, qui se répercutera ensuite dans le monde entier ? Comment la Fed pourra-t-elle cesser de la financer et jusqu’où cette fuite en avant pourra-t-elle se poursuivre ?

Une chute du dollar intervenant, c’est son statut qui sera au bout du compte mis en cause, avec pour incidence – dans l’ordre ou dans le désordre – une réforme du système monétaire international longtemps retardée. Le déclin américain s’en suivra. Aujourd’hui, les analystes se rassurent en constatant qu’aucune tension particulière ne se manifeste sur les taux longs, accroissant le coût du service de la dette, ce qui n’est pas le cas pour les taux courts. Émise en dollars, la dette américaine est toujours considérée comme une valeur refuge, disent-ils, aidée par la Fed qui pèse sur ses taux longs. Ils feraient bien de se demander quel autre choix les investisseurs ont à leur disposition, avant de tirer de telles conclusions… L’intervention de la Fed crée une distorsion du marché, s’offusquent les analystes, mais elle masque également les signes avant-coureurs de la crise de la dette américaine et du dollar qui n’en forment qu’une. Si elle est finalement passée dans moins d’une semaine, l’échéance du 17 octobre ne sera que partie remise. Sinon…

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