Billet invité.
« Chez Michel Foucault, le fourvoiement fondateur n’est pas marxiste : c’est le soutien qu’il apporte au projet de théocratie iranien. Engagement ‘ fondateur’ bien que tardif – parce qu’il éclaire rétrospectivement le parcours intellectuel antérieur. Il intervient si tard dans le cours de sa vie que le temps lui manquera pour entamer son autocritique – au cas où tel aurait été son désir. »
Pardonnez-moi, mais on ne peut pas écrire cela. La première « cause » défendue par Foucault a été celle de ses étudiants tunisiens de 1966 à 1968. Foucault arrive à Tunis en 1966 : peu après, les étudiants se mettent en grève et manifestent pour protester contre le prix du transport à l’Université. Leur professeur les admire : « Il n’y a probablement qu’au Brésil et en Tunisie que j’ai rencontré chez les étudiants tant de sérieux et tant de passion, des passions sérieuses et ce qui m’enchante plus que tout, l’avidité absolue de savoir. » confie-t-il au journal La Presse le 12 avril 1967. De mars à juin 1968, l’agitation étudiante reprend, cette fois contre la visite du Secrétaire d’Etat US : manifestations violentes, attaques des ambassades américaine et britannique, boycott des cours, arrestations en nombre. Foucault est indigné par l’invasion constante des policiers dans les salles de cours ou par les arrestations pour la détention d’un tract, qui radicalisent les étudiants et leur professeur lui-même (il se fait casser la figure par un policier au cours d’une manifestation). Par comparaison, il déteste le mouvement français de 1968 : de petits branleurs qui ne risquent rien. A l’époque, Foucault n’est pas « de gauche » : il coopère avec le ministre français de la Recherche et enseigne à l’ENA, je le dirais plutôt gaulliste ou centriste, mais c’est une ex-gauchiste qui parle.
Sa seconde cause, qui l’a engagé pendant des années, a été le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP), sous l’influence de son ami Daniel Deferre, devenu maoïste, puis le Comité d’Action des Prisonniers (CAP). Cette action est suffisamment connue pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y insister.
Quant au voyage de Foucault en Iran, il n’a pas été pour lui un événement « fondateur » : il lui a seulement permis de se confronter à « l’énigme du soulèvement » — qui ne s’épuise nullement dans l’instauration de l’Etat islamique. Olivier Roy propose une analyse intéressante des articles de Foucault pour Libération dans le numéro de Vacarme qui lui est consacré (n° 29, 2004).
Au début septembre 1978, le philosophe se rend à Téhéran, juste après le « Vendredi Noir », le massacre de la place Jaleh, qui conduira au renversement du Shah et au changement de régime. L’aspect des événements qui le fascine le plus est la « grève de la politique », que pratique le peuple iranien. Je n’essaie certainement pas d’accréditer l’idée que la lecture, par Foucault, de la révolution iranienne est la bonne, mais elle n’est pas ce qu’on a voulu dire : un philosophe qui sort pour la première fois de sa bibliothèque, et qui croit rencontrer dans les rues le peuple unanime soi-même. Selon Olivier Roy, « Foucault ne s’enthousiasme pas pour un ordre nouveau qui s’instaurerait à la suite de la révolution, mais bien pour la révolte en soi, celle du refus total et général du pouvoir en place, de ses annexes et de ses substituts possibles. Foucault n’est pas un naïf, un compagnon de route, un thuriféraire des lendemains qui chantent ou qui psalmodient. C’est l’événement qui l’intéresse, comme rupture avec l’ordre établi et non pas comme indicateur du sens de l’histoire. » Foucault n’est pas là pour rêver, mais pour observer très attentivement la réalité iranienne, dont Olivier Roy montre la pertinence sur de nombreux points.
Si je me permets cette critique de Jorion, c’est que j’ai assez bien connu Foucault à cette époque-là, parce que je participais au travail sur « Moi, Pierre Rivière ».
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…