LA LIVRE STERLING ET L’ÉTALON-OR (I) LES MISES EN GARDE DE KEYNES

La Grande-Bretagne émergeait exsangue de la Première guerre mondiale. Elle s’était considérablement endettée au fil des quatre années de guerre, essentiellement vis-à-vis des États-Unis (l’histoire se répéterait dans les mêmes conditions durant la Seconde guerre mondiale et Keynes serait une fois encore, comptable en chef officieux de l’économie de guerre au Trésor britannique). D’autres éléments que le soutien de ses propres troupes expliquaient cette situation financière catastrophique : la Grande-Bretagne avait personnellement entièrement financé l’engagement de l’Italie aux côtés des Alliés, elle assurait les deux tiers de la dette française et la moitié des dettes belge et serbe (S I : 333), elle avait aussi comme partenaires au sein de l’Empire, des nations telles le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou l’Afrique du Sud qui faisaient jouer à plein leur autonomie relative pour négocier le montant de leur participation, en faisant clairement comprendre que celle-ci n’était pas automatiquement acquise.

Pour éviter une hémorragie de ses réserves d’or, la Grande-Bretagne dut dénoncer en 1919 la parité de la livre sterling avec le métal précieux. L’abandon de l’étalon-or ne devait être qu’une mesure provisoire de la durée la plus courte possible. Il fut restauré par Churchill le 25 avril 1925.

Durant les six années qui séparent ces deux dates, Keynes lutta contre un tel retour de la parité de la livre avec l’or. Il publia en décembre 1923, pour justifier sa position, un livre intitulé : A Tract on Monetary Reform. En 1925, lors de la restauration de l’étalon-or, il publia un pamphlet intitulé : The Economic Consequences of Mr. Churchill, dont le titre faisait écho à celui de son succès de librairie sorti six ans plus tôt : The Economic Consequences of the Peace.

Dans les années qui suivirent le retour à l’étalon-or, chacune des mises en garde de Keynes devait se vérifier, si bien que l’abandon définitif de la parité en 1931 fut considéré comme le triomphe des arguments qu’il avait avancés huit ans auparavant dans A Tract on Monetary Reform.

Les arguments de Keynes s’articulaient selon trois axes :

1) Le premier souci des autorités financières doit être d’assurer la stabilité des prix, or la parité avec l’or encourage soit l’inflation, soit la déflation ;

2) L’étalon-or n’est qu’une survivance, dont la principale justification est la tradition ; dans une nation moderne, la monnaie doit être purement fiduciaire, gérée par l’autorité indépendante qu’est sa banque centrale ;

3) L’emploi est considéré par les politiques et les économistes comme une variable d’ajustement comme une autre, ce qu’il n’est pas. Et d’autant moins aurait pu ajouter Keynes que je suis personnellement absolument opposé, pour des raisons d’ordre moral, à ce qu’il le soit. Keynes écrivait lors de la grève générale de 1926 : « … mes sentiments, qui sont distincts de mon jugement, sont du côté des travailleurs » ; l’article où se trouvait cette phrase ne parut cependant pas : Leonard Woolf, mari de Virginia Woolf et éditeur de The Nation dans lequel devait paraître l’article, interrompit la publication du journal… en témoignage de solidarité avec les grévistes !

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Skidelsky, Robert, John Maynard Keynes. Vol. I. Hopes Betrayed 1883-1920, London : MacMillan, 1982

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