Billet invité.
La saga de l’eau contaminée se poursuit en s’amplifiant à Fukushima. Longtemps niés, les rejets dans l’Océan Pacifique ne peuvent plus l’être et ont été finalement reconnus le 22 juillet dernier par l’opérateur de la centrale. Ils ne sont devenus un problème « urgent » pour Shinzo Abe, le premier ministre, qu’au lendemain des élections sénatoriales qui ont vu la victoire de sa formation, le parti Libéral-Démocrate.
Les sous-sols et galeries souterraines inaccessibles des trois réacteurs en permanence aspergés pour être refroidis regorgent d’une eau hautement radioactive qui se déverse en continu dans la mer, probablement depuis longtemps. Cela arrangeait Tepco, l’opérateur de la centrale, qui préférait l’ignorer, déjà littéralement débordé par les quantités d’eau contaminée à stocker. Mais l’eau de refroidissement contaminée se mélange en effet à de l’eau provenant de la nappe phréatique, à son tour atteinte, accroissant son volume global estimé à 700 mètres cubes quotidiens. Au final, entre 20 et 40 mille milliards de becquerels ont selon Tepco fuit de mai 2011 (deux mois après la catastrophe) à juillet 2013, émanations d’un cocktail infernal de tritium, cesium et strontium.
Aujourd’hui, sur injonction de l’autorité nucléaire japonaise (NRA), Tepco a commencé à pomper l’eau et prévoit de mettre en place dans les jours à venir une capacité quotidienne de pompage de 100 mètres cubes. Le ministre de l’industrie (METI) estime toutefois que 300 mètres cube atteindraient la mer chaque jour. Cherchez l’erreur. Endémique, le phénomène passoire ne fait pas que se confirmer, il s’accentue. Toutes les tentatives de créer un circuit fermé digne de ce nom de l’eau de refroidissement, en la décontaminant après son passage dans les réacteurs pour y être à nouveau injectée, ont jusqu’à maintenant failli, les installations de décontamination successives incapables d’accomplir les performances pour lesquelles elles ont été conçues. Une nouvelle station de décontamination présentée comme plus performante est toujours en attente de mise en service depuis septembre 2012, les retards s’accumulant. Le stockage de l’eau contaminée dans des réservoirs a pris des proportions démesurées, des fuites ont déjà été signalées dans trois des gigantesques cuves, qui ont du être vidées. L’avenir de ces installations provisoires (créées en 2011, les cuves sont prévues pour durer 5 ans) et par nature précaires n’est jamais évoqué. Mais une pollution majeure pourrait résulter d’un séisme aboutissant à la rupture de réservoirs alignés sur de vastes étendues. Les sous-sols représentaient donc ce point de vue une capacité de stockage inavouée mais bienvenue…
Au 7 mai dernier, il y avait 290.000 m3 d’eau contaminée dans 940 cuves et environ 94.500 m3 dans les sous-sols. Tepco a pour objectif de mettre en place une capacité de stockage de 700.000 m3, pour laquelle l’emplacement reste à trouver, mais c’est sans fin… Ce volume donne aussi un avant-goût de la masse d’acier et de béton auquel il faudra trouver une destination pour l’entreposer, si d’aventure le démantèlement devait être effectivement entrepris comme il est toujours prévu.
Afin de minorer l’importance de la contamination de la mer, il est fait état de l’existence de forts courants marins la diluant, mais en contre partie l’océan est contaminé sur des centaines de kilomètres. Les déversements de la centrale ne sont pas seuls en cause, la pluie lessivant les terrains contaminés, rejoignant la mer via les rivières. Comme sur terre, la contamination est en tache de léopard et des points chauds ont été découverts à l’embouchure des fleuves, ainsi que dans la baie de Tokyo. Les fonds à leur tour contaminés, la flore et la faune le sont également, pénétrant progressivement dans la chaîne alimentaire.
Toutes les tentatives de l’opérateur de contenir aux abords immédiats de la centrale ce désastre ont échoué. Une barrière souterraine entre les réacteurs et la mer est en train d’être construite, mais elle sera inévitablement contournée par l’eau contaminée et il est impossible – faute de pouvoir y accéder – de stopper les fuites à la source, c’est à dire en obturant les cuves des réacteurs percés ou en scellant l’accès aux galeries souterraines. Aux dernières nouvelles, il est question de geler le sol avec une technologie utilisée par les tunneliers, tout autour des 4 réacteurs sur un périmètre de 1,4 km et selon une profondeur de 30 mètres.
Présenté faussement comme étant en arrêt à froid, la centrale de Fukushima n’est toujours pas sous contrôle, comme revendiqué. Son démantèlement reste aujourd’hui une pétition de principe, destiné à effacer les traces d’une catastrophe qui va en réalité être très longtemps indélébile. Le ministère de l’industrie a annoncé le 1er août dernier la création d’une structure intitulée « Organisation internationale et de recherche et de développement pour le démantèlement », dont l’intitulé est en soi tout un programme. La venue de renforts étrangers est recherchée devant l’immensité de la tâche et ses inconnues, tandis que les entreprises internationales brûlent d’accéder à ce chantier afin d’acquérir des savoir-faire en vue de se positionner sur un marché mondial du démantèlement qui s’annonce très juteux. Les coûts réels de l’électronucléaire n’ont pas fini de grimper.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…