PROJET D’ARTICLE POUR « L’ENCYCLOPÉDIE AU XXIème SIÈCLE » : Compétitivité, par Michel Leis

Billet invité.

–       Compétitivité: issue du verbe latin « petere » (chercher à atteindre), le mot compétitivité partage cette étymologie avec compétition, compétence et pétition : tout est dit ou presque. De quoi s’agit-il ? D’une compétition, où l’essentiel n’est pas seulement de participer, mais bien d’être parmi les gagnants, une course dont l’enjeu reste en dernier ressort le profit. Elle mobilise des compétences au sens le plus large, celles qui sont nécessaires à l’atteinte de cet objectif. Si celui-ci n’est pas atteint, on demande le changement des règles en recourant à l’une des armes favorites de tout groupe de pression qui se respecte : la pétition.

–       La compétitivité pourrait se définir comme la capacité à participer à une compétition avec de bonnes chances de succès. Appliquée aux entreprises, elle exprime à la fois l’aptitude de l’entreprise à répondre aux attentes de profit dans un univers de marchandisation généralisée et la combinaison des moyens engagés pour arriver à ce résultat. L’élévation de la norme de profit ces dernières décennies rend la compétition plus âpre et redonne une deuxième jeunesse à cette sentence sans appel : malheur aux vaincus !

–       De fait un grand nombre d’entreprises en sont déjà exclues, travaillant dans le domaine de la sous-traitance, elles subissent de plein fouet les rapports de force imposés par les entreprises dominantes. Elles sont facilement interchangeables et leur cadre de travail est avant tout celui de la survie. Cette dualité dans la réalité des entreprises ne se retrouve pourtant pas dans leurs discours.

–       Comme il existe un consentement d’une majorité des individus à une répartition inégalitaire des revenus et du patrimoine, il existe une approbation de fait de l’ensemble des entreprises à un discours qui ne bénéficie pourtant qu’à une minorité d’entre elles. Les stratégies des entreprises dominantes dans cette compétition généralisée se répercutent durement sur une grande partie du tissu économique. On peut en dresser une typologie autour de deux axes : la création de valeur par le produit et la baisse des coûts de production, ces deux démarches n’étant pas exclusives l’une de l’autre mais complémentaires en vue de maximiser le profit.

–       La création de valeur au travers du produit, que ce soit par l’innovation ou l’image, est une stratégie difficile à mettre en œuvre. Dans un univers très concurrentiel, tout le monde a l’œil rivé sur ce que fait la concurrence et les innovations sont rapidement copiées sous des formes équivalentes par l’ensemble des marques proposant des produits similaires. Pour échapper à cette règle, il faut que le développement du marché, l’investissement publicitaire et le rythme d’innovation soient tellement rapides que l’avance prise au départ demeure un avantage. Ce fut le cas pour les OS d’ordinateurs (Microsoft) et les processeurs (Intel), conduisant ces marchés à une situation d’oligopole où le gagnant a une longueur d’avance sur tous les concurrents. Seule, l’obsolescence de l’outil peut contribuer à rebattre les cartes, c’est une des composantes de la stratégie d’Apple vis-à-vis d’un de ses concurrents de toujours, Microsoft.

–       La création de valeur par l’image de marque du produit n’est pas une stratégie plus facile. Le facteur temps est essentiel, c’est une denrée rare quand l’on recherche des résultats immédiats. Les nouveaux entrants peuvent difficilement construire l’image de marque qui nécessite des investissements élevés (si ce n’est sur le produit, au moins en communication) et répondre aux attentes de retour rapide sur investissement. Enfin, elle s’adresse aux marchés de haut de gamme qui ne sont pas extensibles à l’infini.

–       Comme les marchés solvables se réduisent comme peau de chagrin, la création de valeur par le produit n’est pas une stratégie adaptée pour le cœur du marché. Quelques grandes entreprises s’intéressent donc à l’entrée de gamme ou au milieu de gamme. Si les marges unitaires sont faibles, une situation d’oligopole combinée avec une position dominante dans la chaîne de valeur permet à quelques entreprises de réaliser des profits confortables (dans la grande distribution par exemple).

–       Quelles que soient les stratégies retenues, il arrive toujours un moment où la pression finit par retomber sur les coûts de production. Dans la plupart des domaines, des gains de productivité importants ont été réalisés par des ruptures technologiques qui ont eu lieu pour la plupart d’entre elles il y a plus de 20 ans (encore qu’en matière de commerce, les gains restent importants).

–       Les processus de production ou de mise en œuvre du service sont bien établis et on se situe dans une phase d’optimisation plus que de rupture technologique. La combinaison des facteurs de production est relativement standard pour une opération donnée, c’est ce qu’on peut appeler la norme de production. La productivité physique ou la cadence de la ligne de montage sont des mesures à peu près objectives de cette norme. Cette productivité physique s’élève moins vite que la productivité classiquement mesurée par la valeur ajoutée rapportée au travail ou au capital. Celle-ci prend en compte à la fois les stratégies d’augmentation de valeur du produit, mais aussi l’ensemble des rapports de force dans le processus de production.

–       Nous y voilà ! L’élément fondamental de la compétitivité, c’est l’expression brute des rapports de force, la capacité qu’ont certaines entreprises, et singulièrement les entreprises dominantes, à exercer ces rapports de force à leur seul bénéfice. Vis-à-vis des sous-traitants, en imposant leur prix d’achat pour des composants du produit ou du service.

–       C’est la grande « réussite » de l’industrie allemande qui a réussi à combiner la création de valeur par le produit et le développement d’une arrière-cour industrielle de sous-traitants dans les anciens pays de l’Est.

–       Les taux de chômage élevés ont permis d’étendre le champ d’application des rapports de force. La pression sur les salaires se partage entre des régressions sociales et les pressions indirectes (salaire d’entrée en baisse, mise en pré-retraite des anciens, etc.) dans les pays où l’austérité n’a pas encore balayé les derniers remparts sociaux. Mais là où ces derniers remparts sont tombés, elle s’exerce de manière bien plus violente, illustrant la fameuse maxime de Paul Jorion sur l’alignement des salaires sur ceux du Bangladesh.

–       Il arrive parfois que la délocalisation soit effective, si l’alignement des salaires ne se produit pas assez rapidement. À ces dimensions purement économiques s’ajoute un autre rapport de force, celui qui s’exerce sur le monde politique. La place centrale accordée à l’économie par le monde politique rend celui-ci très sensible aux demandes des entreprises. Parmi ces demandes, celles qui touchent à la compétitivité occupent une place prépondérante parce que le solde de la balance commerciale reste un enjeu d’État, surtout quand une monnaie unique et un système de compensation inadéquat ne permettent pas de contrebalancer les effets d’une balance commerciale déficitaire*.

–       Le paradoxe apparent, c’est que dans cette course à une hypothétique compétitivité, les entreprises mettent à mal la solvabilité de leurs clients, et donc de leur marché. Mais en réalité, venant d’entreprises dominantes très internationalisées, ce paradoxe n’est qu’apparent. Le transfert d’une part croissante du travail de l’Occident vers le reste du monde, quand il atteint une taille critique dans certains pays, entraîne l’apparition et le développement d’une classe moyenne, reproduisant mutatis mutandis la configuration des trente glorieuses. Cette situation est bien plus porteuse pour les multinationales que celle qui prévaut en Occident, coincé entre austérité et concurrence acharnée. On pourrait toujours souhaiter à ces nouveaux pays émergents d’éviter nos erreurs passées, mais rien ne permet de se laisser aller à l’optimisme. Reste donc à changer les règles du jeu. À court terme, on peut toujours ralentir le rythme de la course, en modérant fortement les attentes de profits par une fiscalité adaptée taxant de près ou de loin tout ce qui pourrait ressembler à un surprofit. Mais dans un monde idéal, la coopération pourrait très avantageusement prendre la place de la compétition.

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