Billet invité.
Imaginons un jeu de 4 personnes qui ne se connaissent pas et qui disposent chacune de 20 jetons. Un projet leur est proposé qui nécessite qu’elles investissent dans un « pot commun » autant de jetons qu’elles voudront. Cet investissement est secret. Une fois les 4 décisions prises par chaque individu, l’ensemble du groupe perçoit un « retour sur investissement » du nombre total de jeton versé dans le pot commun affecté d’un facteur 0,4.
Si par exemple, trois des quatre joueurs choisissent d’investir un jeton chacun, les quatre joueurs recevront 1,2 jetons à l’issue du tour. Les tours sont répétés 10 fois.
Pour gagner il faut donc :
– Soit investir en espérant que le plus grand nombre investisse.
– Soit profiter des investissements des autres sans y participer.
On peut alors distinguer trois typologies de comportements :
– Les coopératifs, qui investissent systématiquement en espérant que le reste du groupe en fasse de même
– Les égoïstes qui refusent d’investir, récoltant le fruit de l’investissement des autres (rééditant le comportement défini en économie comme celui du « passager clandestin »)
– Enfin les « consentants conditionnels » qui en général commencent par investir mais qui cessent s’ils s’aperçoivent que le retour sur investissement est inférieur à la somme investie
Le troisième type de comportement étant majoritaire, la tendance observée est la baisse tendancielle des jetons investis dans le « pot commun » (qui profite à tous rappelons-le). Elle commence entre 6 et 7 jetons investis au premier tour pour finir à 2 jetons dans le pot commun au 10ème tour.
Cet exercice peut connaître deux variantes :
– La première est de rendre publics les investissements de chacun à chaque tour : dans ce cas, les tendances observées se confirment avec des amplitudes plus importantes (commencée entre 9 et 14 jetons au premier tour, elle finit entre 3 et 4 jetons)
L’application d’une transparence ne change pas les tendances fondamentales donc.
– La deuxième option est d’instaurer la possibilité à chaque joueur de dépenser ses jetons pour « punir » un autre joueur qui devra alors perdre des jetons. Le ratio choisi est clairement déséquilibré puisque pour retirer à un autre joueur 1/3 de jetons, il faut se priver d’un jeton.
Les deux options étant cumulables, nous aboutissons à quatre séries de résultat (les fourchettes étant l’ordre dans lequel chaque groupe applique l’option de la « punition », d’abord ou après).
Sans punition possible Jeu « secret »
Investissement moyen : 3,7
1er tour : 6-7 jetons
10ème tour : 2 jetons
Sans punition possible Jeu « public »
Investissement moyen : 7,5
1er tour : 9-14 jetons
10ème tour : 3-4 jetons
Avec punition possible Jeu « secret »
Investissement moyen : 11,5
1er tour : 8-11 jetons
10ème tour : 12-13 jetons
Avec punition possible Jeu « public »
Investissement moyen : 17
1er tour : 11-12 jetons
10ème tour : 18 jetons
Ces exercices ont été effectués en 1996 auprès de 118 étudiants par deux économistes spécialisés dans l’étude du comportement coopératif, Simon Gächter et Ernst Fehr (le texte complet est ici).
Leurs conclusions rejoignent un certain nombre d’observations empiriques sur la propension des individus à sanctionner les comportements non-coopératifs publics, peu importe le coût personnel de cette sanction ou sa « rationalité ». il s’agit notamment des cas de violences, voire de meurtres commis à l’égard de personnes ne respectant pas une file d’attente (les conséquences d’un crime étant pour son auteur sans commune mesure avec l’intérêt de perdre une place dans une file d’attente).
Pour autant, ces exercices paraissent, ce que n’avaient pas nécessairement prévu ses auteurs, mettre à mal l’adage cité en titre selon lequel el rendement de l’impôt n’est lié qu’à son taux.
En effet, si l’on remplace le « pot commun » par l’impôt, servant à couvrir des dépenses qui profitent à toute la collectivité, et dont le caractère obligatoire est de plus en plus difficile à soutenir au regard des dispositifs d’optimisation fiscale, et dans un cadre de libre circulation des capitaux (et aussi de réduction des moyens des services de contrôles fiscaux), il est évident que les leçons de cet exercice paraissent éclairante :
– D’une part en rappelant qu’il existe une proportion de la population, certes minoritaires, qui sera réticente à toute idée d’impôt quel que soit son taux (les anglais les nomment « free riders ») ;
– d’autre part que la majorité (« consentants conditionnels ») entrera dans des manoeuvres pour y échapper ou le réduire dès lors que la publicité des comportements échappant à l’impôt augmentera.
Le rendement de l’impôt est donc lié à deux critères :
– L’existence d’une menace de sanction
– La publicité des comportements cherchant à échapper à l’impôt, d’une manière légale ou non.
Par rapport à ces deux critères, il est évident que le taux d’imposition est une donnée marginale, et bien peu décisive.
Pour finir, je citerai ce blog qui pose une question « fâcheuse » : « Imaginons maintenant un pays où la moitié des adultes ne paye pas d’impôt direct (ou plus exactement ne paye pas l’impôt visible), qu’il existe autant de niches fiscales qu’il existait de pensions royales sous Louis XV, que les plus fortunés disposent de moyens légaux de payer peu (ici) et que la mondialisation leur donne de nombreux moyens de s’exiler ou de cacher leur fortune, qu’un ancien ministre du budget nage dans la piscine d’un fraudeur notoire ou, pire, qu’un autre ministre du budget fraude lui-même, que la charge se reporte finalement essentiellement sur une seule catégorie qui en vient à considérer cela comme injuste et dissuasif. Combien de temps faudra-t-il pour que le système implose ? »
Pour ma part, je préfère conclure en rappelant que trop d’impôt ne tue PAS l’impôt, trop d’échappatoires et trop d’exonérations accordées aux vues de tous, oui.
OpenAI o3 est-elle une IAG (ou AGI) ? Il semble que tous les spécialistes ne soient pas d’accord, tel François…