Billet invité, paru ce jour sur Atlantico.
Les rémunérations et les bonus du secteur bancaire sont indécents et montrés du doigt, l’opinion publique s’en émeut et les gouvernements s’en alarment par voie de conséquence, soucieux de montrer combien ils sont sourcilleux de la moralité. Cet angle qui revient périodiquement dans l’actualité est-il pour autant un des leviers efficaces d’une régulation financière qui continue à se chercher et à ne pas se trouver ? Ou bien peut-il se résumer à des gages donnés à peu de frais ? Deux grandes banques européennes, Barclays et Commerzbank, viennent à cet égard de prendre le devant, mais une hirondelle fait-elle le printemps ?
La question fait débat depuis un an et a été inscrite à l’ordre du jour de pas, moins de trente sessions successives au Parlement européen, où se joue la transposition en droit européen de la réglementation Bâle III et où les parlementaires bataillent pour obtenir des résultats. La question des bonus y est l’une des principales pierres d’achoppement et de discrets conciliabules se poursuivent, étant donné le caractère hautement symbolique des mesures, le britannique en pointe, le gouvernement allemand faisant désormais la sourde oreille et le français regardant ailleurs.
Il faut croire que le système financier est une très délicate horlogerie qu’il ne faut toucher qu’avec des pincettes. C’est en tout cas l’impression que l’on pourrait avoir à suivre les tentatives en cours pour le réguler. Qu’il s’agisse du renforcement des fonds propres des banques et de leurs liquidités, de la séparation de leurs activités spéculatives de celles de dépôt et d’intermédiation, ou bien encore de celle des produits dérivés (qui se précise – si l’on peut dire – aussi très lentement), c’est chaque fois la même chose. Il ne faut pas casser la machine, car on en attend d’elle encore de grands services – qui pourtant se font attendre – et les précautions sont de rigueur, imposant à chaque fois de longues concertations avec la profession dont il ressort des règles très assouplies. À l’arrivée, peut-on déplorer, prudence rime avec connivence.
Lorsque les banques se voient, comme en France, plafonner leurs facturations de frais bancaires, elles expliquent que cela aura comme conséquence un surenchérissement du crédit, pour compenser. Quand il est question, comme au Royaume-Uni, de plafonner les bonus, elles rétorquent qu’il en résultera une hausse des salaires pour la même raison et que cela nuira à la stabilité financière que l’on cherche par ailleurs à renforcer. Somme toute, ni les résultats des banques, ni la rémunération globale des banquiers ne peuvent être touchés, domaines strictement réservés.
Si le lucre est une forte incitation à des prises de risques dangereuses, des pratiques frauduleuses et des manipulations illicites, faut-il attendre de mesures restrictives sur les rémunérations du haut du panier de la finance de grands résultats ? Et comment faire ? Faudrait-il par exemple lier l’obtention d’aides, et notamment les garanties financières publiques en cours, que l’on oublie, au mode de rémunération des banquiers ? Donner aux actionnaires qui peuvent se considérer dépossédés un droit de contrôle et de décision que dans la pratique ils n’ont pas ? Ce serait toujours bon à prendre, mais le cimetière des bonnes idées enterrées est déjà plein aux États-Unis ou en Europe. Les banquiers seraient-ils donc intouchables, comme l’a dernièrement laissé entendre la nouvelle sénatrice américaine Elisabeth Warren, s’étonnant faussement qu’ils ne soient jamais traduits devant les tribunaux ?
Les échappatoires ne manquent par ailleurs pas au sein d’entreprises connues pour disposer de multiples filiales dans les paradis fiscaux, de savoir-faire éprouvés dans la gestion de fortune et qui sont des maîtres en matière d’ingénierie financière. On se rappelle comment elles ont su accroître tout simplement les rémunérations lorsque la distribution des stock-options – du temps où le mécanisme valait la peine – posait problème… Les bonus ont succédé aux stocks-options, quelle sera la succession des bonus ? Des formes sophistiquées d’intéressement grâce à des instruments financiers probablement déjà à l’étude ? Le problème posé en général par la taxation sous une forme ou sous une autre des banques est qu’elles en répercutent le coût sur leurs clients, rendant nul son effet dissuasif.
Dans un autre domaine, mais en mettant à profit la même science, la loi française de séparation des activités bancaires sera plus tard dans les livres d’histoire quand il s’agira de montrer comment derrière les mots mis en avant se cachent bien peu d’actes. La communication gouvernementale est substituée à l’action. Pris de grandes pudeurs, les régulateurs installent des paravents. Pourvus des talents que l’on a pu mesurer, les banquiers n’ont pas à craindre pour leur rémunération si le sujet revient sur le tapis, car ils fréquentent ceux du casino où la banque gagne toujours au détriment des autres.
Rectif : Poutine (pas Cicéron) : i