La démocratie réclame une science économique authentique

Comme le geai qui se pare des plumes du paon, la « science » économique actuelle se donne, à l’aide d’un objectivisme dévoyé, les caractères extérieurs de la scientificité mais elle échoue à en capturer véritablement l’essence. Comme certains d’entre vous le font remarquer : elle se trahit en n’étant pas, comme il le faudrait, descriptive et explicative mais normative : elle parle de ce qui se passerait dans des situations irréelles : si les agents économiques étaient rationnels, si les prix tendaient vers un équilibre, si toute l’information était disponible sur un marché, et ainsi de suite.

En lisant vos commentaires sur la « science » économique, je me suis rappelé un article intitulé « Reprendre à zéro », que j’avais lancé il y a une vingtaine d’années comme un pavé dans la mare aux canards de mes collègues anthropologues. Peu de temps après, je m’étais proposé le même programme pour bâtir une authentique « science économique ». Il n’a heureusement pas été nécessaire de repartir véritablement à zéro parce qu’il existait déjà chez Aristote une théorie scientifique du prix et j’ai pu rebâtir un édifice entier sur cette base. Ce que j’ai découvert – une fois la tentative aboutie – c’est un tout autre paradigme que celui qui sert de cadre à la « science » économique actuelle : rien de normatif par exemple, et les mêmes critères de scientificité que ceux qui ont cours dans les sciences authentiques.

C’est à partir de ce nouveau paradigme que j’interpelle certains de vos propos en vous disant « Non ! Ce que vous me proposez là, c’est encore la même vieille soupe refroidie ! » Un exemple : j’ai lu quelque chose du genre : « l’intérêt constitue la rétribution de l’investisseur pour l’inconvénient de s’être temporairement départi de son capital ». Je sais : vous avez entendu répéter cela quelque part, mais vous êtes-vous jamais demandé ce que cela voulait dire ? J’explique – à l’aide d’une véritable démonstration – dans Monnaie – intérêt – croissance que l’intérêt est la « part » que reçoit dans un système de métayage celui qui a fait les avances, c’est sa rétribution pour avoir consenti des avances, et à ce titre, ce n’est pas du vol (à moins que la propriété privée ne le soit) : c’est une part de la nouvelle richesse qui a été créée par la combinaison des avances faites par le prêteur, du travail fourni par l’emprunteur et de l’énergie dispensée par le soleil. Relisez ce billet et la question de l’intérêt vous apparaîtra plus clairement. De même, relisez Comment les banques centrales triomphent de l’inflation et la question de l’inflation vous apparaîtra plus clairement.

Nous cherchons à déterminer le rapport entre monnaie et démocratie, et il nous faut reconnaître que la « science » économique est impuissante à nous aider : elle n’a rien à nous offrir ici que des remarques sans pertinence et des cul-de-sac de la pensée. Aucun raccourci n’est malheureusement possible : pour réaliser cette tâche, une science économique authentique s’avère indispensable.

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6 réponses à “La démocratie réclame une science économique authentique”

  1. Avatar de Jean-Michel

    + 1 pour contribuer à ce programme d’anthropologie économique, i.e. d’anthropologie tout court.

  2. Avatar de Jean-Michel

    PS. Ceci dit, l’argument d’irréalisme des suppositions (« assumptions’) de départ ne gêne pas forcément la « science » économique, qui trouve à s’appuyer sur M. Friedman et son essai « Methodology of positive economics » .
    http://academic2.american.edu/~dfagel/Class%20Readings/Friedman/Methodology.pdf
    Cf. p. 15  » To put this point less paradoxically, the relevant question to ask about the « assumptions » of a theory is not whether they are descriptively « realistic, » for they never are, but whether they are sufficiently good approximations for the purpose in hand. »
    On y trouve aussi l’inévitable association de l’objectivité au modèle des sciences physiques (qui est resté « l’idéal du moi » de la plupart des économistes dans leur « désir de faire science ») : « In short, positive economics is, or can be, an « objective » science, in precisely the same sense as any of the physical sciences » (p. 2). Et c’est bien le problème !

  3. Avatar de Bernard
    Bernard

    Je suis surpris de voir que l’on peut reprocher à une science d’être normative, c’est sa vocation, si on veut pouvoir lui attribuer le caractère prédictif qui fait son intérêt.

    Si elle ne le peut pas, et que l’on peut entendre chaque matin des zozos expliquer doctement la logique imparable du mouvement du marché de la veille vers le zag alors que les « fondamentaux » l’entrainaient vers le zig, c’est bien que la matière sur laquelle elle est censée s’appliquer ne peut s’inscrire dans ce cadre normatif.

    Soyons honnête cela nous priverait d’une bonne tranche de rigolade journalière.

    Quant à l’analogie historique avec le metayage de l’intérêt dû au prêteur, je propose d’aller encore plus au fondamental anthropologique en examinant la légitimité de la somme réclamable par la mère à son enfant pour l’avoir mis au monde et amené à l’âge adulte.

    Il me semblait que, jusqu’à maintenant, les enfants avaient l’habitude de rembourser leurs parents dans leurs vieux jours, par plein de prestations privées du domaine du don qui ne relevaient pas de la monétisation (non prises en compte dans la science économique, en attendant peut-être que cela devienne un délit de détournement de fonds?) , et aussi par leur contribution financière à la solidarité intergénérationnelle réalisée grâce à l’impôt, ce qui est largement rendue nécessaire par l’éclatement des cellules sociales de proximité, et la délocalisation liée à la mondialisation.

    Et il me semble que cela se poursuit heureusement encore, même chez nous, même aux USA, et que les participants à ces échanges y trouvent un enrichissement (certainement non rationnel puisque non comptabilisé dand le PIB).

    Il est vrai qu’on nous explique que c’est intolérablement ringard, et que ça ne peut plus durer!

    J’engage tous les participants potentiels à lire aussi « Condition de l’homme moderne » de H. Arendt ou un des bouquins de J Généreux qui donnent une vision beaucoup plus haute et détaillée de cette problématique anthropologique.

  4. Avatar de fnur
    fnur

    La science économique, on aimerait ça, mais vu les divergences considérables sur beaucoup de sujets de la part des économistes eux mêmes, on ne voit pas le début d’une convergence.

    D’ailleurs en physique, réputée science exacte en raison des expérimentations possibles, ce qui est plus difficile en économie, on relève pas mal de divergences. En témoignent les débats sur la théorie des cordes et même sur la théorie de la relativité générale d’Einstein.
    Parfois, sur des sujets techniques à peine théoriques, il y a bien des occultations, ainsi j’ai pu m’en apercevoir de façon amusée car ça ne manque pas de sel d’assister à certains débats enflammés sur des sujets relativement simples, tout compte fait. Alors pour des sujets complexes, l’histoire est plus longue.

  5. Avatar de martins

    je voudrais savoir comment les phénomènes économiques peuvent-ils apréhender les caractères généraux de la science économique. merci

  6. Avatar de johannes finckh

    @ Paul
    je lirai le textes que vous proposez, mais vous me devez aussi une lecture approfondie de la théorie de l’intérêt de Silvio Gesell (la cinquième et meilleure partie de l’ouvrage)!
    Il me semble qu’un homme comme vous ne sera plus le même après cela.
    D’accord pour l’expression « métayage »!
    Mais Gesell va plus loin, il démontre autant que faire se peut à quel point l’intérêt monétaire net qu’il appelle « intérêt fondamental » (URZINS en allemand) est en fait lié à la nature même de la monnaie tant qu’elle reste RESERVE DE VAEUR!
    Gesell et les geselliens exposent on ne eut plus clairement que la monnaie actuel, générant intérêts et intérêts composés est le capital originel en toute circonstance.
    Et nous questionnons comment une institution publique, la monnaie peut-elle à ce point être détournée de l’usage général pour être appropriée par quelquesuns qui en trient une rente!
    En un mot, l’intérêt monétaire ne saurait être en rien légitime!
    Vous souhaitez fonder nouvellement l’économie, eh bien ,il ne me semble pas que cela soit possible sans connaître Silvio Gesell d’une façon approfondie!
    jf

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