Billet invité
Le Monde a jeté hier un pavé dans la marre médiatique, du moins francophone, en titrant : « Alerte à l’arme chimique en Syrie ». Sachant qu’au début du mois dernier, les réactions des pays occidentaux avaient été très claires (« la ligne rouge à ne pas franchir »), ce type d’affirmation est pour le moins très sensible.
Le journal fait état d’informations issues de services de renseignements occidentaux. D’autres médias (anglophones) en ont déjà parlé quelques jours auparavant, précisant que l’information serait issue d’un câble diplomatique d’un consul général américain en Turquie. Ces informations parlent d’un gaz hallucinogène (BZ ou Agent 15), gaz incapacitant et non létal mais arme chimique néanmoins. D’autres informations, issues de journalistes syriens, en font aussi état mais dans une autre région qu’Homs, à Daraya, au sud de Damas. Le journaliste qui en rend compte parle lui de la sempiternelle tactique du régime de tester les lignes définies par les occidentaux, en utilisant certes une arme chimique mais non létale.
Si l’utilisation de telles armes était avérée, ce serait un « suicide politique » pour le régime d’El Assad, selon les dires mêmes du chef de la diplomatie russe. Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, vient de démentir aujourd’hui ces faits mais d’une façon très spécifique : « Cela avait été affirmé, donc nous avons demandé une vérification par nos services, pas seulement nous d’ailleurs, d’autres pays aussi. Et on nous a dit non. » Le Monde, lui, parle de tentatives d’étouffements de ce cas par les pays occidentaux, qui ne souhaiteraient pas intervenir. Si on ajoute à tout ceci le fait qu’aucun observateur étranger (notamment journaliste) n’a pu corroborer ces informations et que le risque de manipulation est un risque partagé dans tous les sens dans ce conflit, nous nous trouvons bien sur une (fine) ligne rouge, reste à avoir si c’est la bonne.
Il est néanmoins certain que ce genre de dossiers survient au plus mauvais moment pour la France, en plein conflit au Mali, et pour les USA, en pleine cérémonie d’investiture du second mandat d’Obama, mais aussi alors que les troupes américaines ne sont toujours pas désengagées de l’Afghanistan (pas avant fin 2014). Il est certain aussi que l’utilisation, si elle est avérée, d’un tel gaz ne permet pas à la Thin red line définie au préalable d’opérer de manière aussi radicale qu’avec une utilisation d’un gaz létal. Mais il est aussi certain que dès lors que de telles lignes rouges seront définies, tous ceux qui sont concernés par cette définition, que ce soit la Syrie d’El Assad hier, des djihadistes aujourd’hui en Algérie ou de terroristes demain ailleurs, joueront avec cette ligne rouge.
Que celle-ci soit ténue, tout le monde en est conscient. Reste à savoir si celle-ci a une bonne définition, suffisamment robuste pour qu’elle ne prête pas le flanc au jeu pervers avec lequel tous les pervers du monde voudront jouer. C’est aussi valable pour le monde financier : quelle « (fine) red line » ? Et immédiatement après, la question de savoir si nous avons encore les moyens de faire respecter ces définitions ou bien si nous ne sommes là encore que dans le même immense théâtre d’ombres qui nous plonge dans un clair-obscur depuis le début de la crise, tentant de dissimuler les fils de l’intrigue ?
Ah, parce qu’un coup de semonce, ce n’est pas une escalade militaire ? Régulièrement, Poutine rajoute un degré de plus…