Billet invité.
L’INTROUVABLE REGULATION SYSTEMIQUE
A Washington, un deuxième coup vient d’être frappé annonçant l’entrée en scène la future régulation financière, sans que l’on sache par quoi il sera suivi. Le sénateur démocrate Chris Dodd, en charge de la commission bancaire, vient de rendre public un nouveau projet de loi, allant dans le sens durcissement, celui proposé par l’administration Obama déjà en cours d’amendement au sein de la commission des finances de la Chambre des représentants présidée par Barney Franck. Avant même que les 1.136 pages du projet Dodd aient pu être épluchées et leurs nouveautés inventoriées, il en est immédiatement ressorti que la Fed était dans le collimateur. Laissant croire que ce nouvel épisode pouvait se résumer à une lutte de pouvoir au sein de la myriade des institutions et agences gouvernementales chargées de la régulation financière sous tous ses aspects. Ou bien à l’expression d’une tentative du sénateur Dodd de préparer sa réélection de l’an prochain, qui s’annonce difficile, en prenant la tête du mouvement d’opposition à la Fed, qui cristallise le profond ressentiment qui se manifeste dans l’opinion publique vis-à-vis des banques.
Sans doute ne faut-il pas s’en tenir à ces deux explications. Non pas qu’elles soient fausses, mais parce qu’elles éludent la véritable dimension de ce débat, qui vient de rebondir encore. La régulation financière, cette question pourtant si technique (telle qu’elle est présentée et étudiée), suscite en effet de fortes prises de position qui viennent de toutes parts. Des rangs des républicains et des libertariens, très en pointe dans la mobilisation de l’opinion publique et des membres du Congrès, mais également chez les démocrates, insatisfaits du cours des événements, notamment dans l’appareil syndical. Mais cette dimension politique-là, à son tour, doit être dépassée, si l’on veut bien comprendre la pièce qui est en train d’être jouée. La fausse piste de la régulation systémique se révèle, en réalité, dans toute sa splendeur. Car à peine des mesures sont elles envisagées, pesées et soupesées, qu’elles sont déjà dépassées dans le cours des débats et polémiques par les objections qu’elles soulèvent, par les problèmes qu’elles ne règlent pas. D’autant que la poursuite de la crise, dont il est de plus en plus clair que la reprise n’en sonne pas la fin comme espéré, quand bien même elle se préciserait enfin, exacerbe ces mêmes discussions. Amenant certains des acteurs majeurs de la partie à prendre des prises de position inattendues, pris dans ce qu’ils ressentent être des sables mouvants qui les entraînent vers le fond.
C’était hier le cas des Britanniques, les Américains prennent aujourd’hui le relais. Sur les terres des deux principaux centres financiers de la planète, la City et Wall Street, ce qui est symptomatique et confirme bien que c’est au centre des cyclones, apparemment calmes et désormais apaisés, que se jouent les phénomènes. Certes, les critiques les plus radicaux ont beau jeu, à juste titre, de relever que toute cette agitation et ces propositions de taxe, d’empilage de dispositifs divers et variés, continuent d’effleurer la surface de ce qu’il faudrait profondément atteindre et modifier. Mais il n’en reste pas moins que ces discussions au sommet, entre grands, plus ou moins à fleuret moucheté, ont un répondant dans les opinions publiques, même si celui-ci ne trouve que peu l’occasion de se manifester. Ce qui amène les plus perspicaces des commentateurs, qui ont appris à se méfier des eaux dormantes dans ce domaine, à en scruter les plus petites des manifestations, les consommateurs s’exprimant aujourd’hui plus que les citoyens, pourrait-on remarquer. Mais ceci est un autre débat.
Pour revenir au projet de loi du sénateur Dodd, il diminue donc les prérogatives envisagées pour la Fed, cette entité opaque qui continue de se refuser obstinément à toute forme d’audit par le Congrès et à dévoiler les bénéficiaires de ses largesses, au sein du futur dispositif de régulation et de contrôle des activités financières. Pire, du point de vue de ceux qui mènent ces dernières, il envisage de créer une structure unique, centralisée, là où l’administration Obama ne voyait qu’une sorte de coordination. Un montage leur laissant espérer d’incessants conflits internes de pouvoir et de préséance, dont ils bénéficieraient pour se faufiler afin d’accéder au casino. Celui-ci poursuivant son activité grâce aux trous béants laissés dans le dispositif de régulation. Sans pouvoir entrer dans tous les détails (dont le diable est à juste titre friand), les autres grandes têtes de chapitre du projet doivent être énumérées. A tout seigneur, tout honneur, il est envisagé que les produits dérivés, sans doute le doute le plus important de ces trous, soient davantage réglementés, ainsi que les structures qui permettent de jouer avec, les hedge funds (qui devraient être obligatoirement enregistrés à partir d’un certain seuil financier). Ou que l’agence de protection des consommateurs soit créée, sans tergiversations. Ou bien que la SEC acquière son indépendance financière vis à vis du Congrès et que ses moyens soient renforcés, ou encore que les banques soient dans l’obligation pour renforcer leurs fonds propres d’utiliser la formule du capital contingent, cet instrument de dette qui se convertit en fonds propres en cas de difficulté.
Un autre rebondissement est plus discrètement intervenu au Congrès, faisant suite à la sortie de Sheila Bair, responsable du FDIC, qui s’est opposée à Tim Geithner en pleine séance publique de l’audition organisée par la commission des finances de la Chambre des représentants sur une question qui n’est pas innocente. Défendant avec véhémence qu’un fonds de soutien aux banques soit créé par le Congrès, abondé par celles-ci sans attendre une nouvelle crise, ce qui reviendrait à l’instauration d’une taxation, quel que soit le nom qui lui serait donnée (prime d’assurance semble être préféré, afin de ne pas heurter trop de susceptibilité, en plus de frapper au porte-monnaie). Le sénateur Dodd est également favorable à cette approche. Mais il semblerait que Barney Franck, le président démocrate de cette commission, se soit également finalement rendu aux arguments de Sheila Bair, peut-être également sensible aux pressions de ses collègues, eux mêmes revenant de leurs circonscriptions.
Ce même Barney Franck, dont un article du Washington Post explique qu’il cherche à sauver la mise de la Fed, plus que bousculée à la Chambre des représentants par l’offensive originellement menée par Ron Paul, le représentant libertarien, auquel de nombreux de ses collègues se sont ralliés. Tout en obtenant, paraît-il, que Ben Bernanke (qui fait lui-même son propre lobby de manière très active au Congrès), accepte un compromis pour sauver l’essentiel, c’est à dire le secret. On se dirige, à ne pas en douter, vers une formule de secret défense et d’habilitation délivrée au compte-goutte, à la sauce de l’information financière. L’idée est donc, dans ces deux domaines, de reculer un peu, mais dans l’ordre. Une manière de faire que ne partage pas Bernie Sanders, le sénateur socialiste démocratique du Vermont, qui a déposé son propre projet de loi, d’autant plus radical qu’il tient en un seul feuillet et quatre articles et qui va droit au but. Il demande le démantèlement pur et simple des grandes banques dans les douze mois ! Une proposition qui aurait été ignorée en d’autres temps, mais qui lui vaut les honneurs des médias dans le contexte actuel.
On pourrait se dire que ces jeux sont vains et qu’ils ne vont pas au coeur du problème. Que les décrire est perdre son temps ainsi que celui de ses lecteurs. Ce serait sous-estimer ce qui est en cours. On constate certes les levées de bouclier que suscitent ces nouveaux projets de réforme, téméraires en dépit de leurs limites, les mégabanques, dont le chef de file public est Loyd Blankfein, le CEO de Goldman Sachs, faisant savoir qu’elles ne veulent rien de tout cela, avec peut-être un peu trop d’assurance aux yeux des politiques, qui souhaiteraient plus de discrétion de leur part. Ce qui pourrait donner raison à ceux qui considèrent que les dés sont jetés et les jeux sont faits. Mais ne resterait-il qu’une chance pour que cette issue ne soit pas garantie, pour que les choses aillent plus loin qu’elles ne paraissent destinées à aller, qu’il faudrait la rechercher. Parce que c’est cette faille, agrandie, qui donnerait l’occasion de se manifester à ceux qui, aujourd’hui, ne croient pas possible de le faire. Ou, aux Etats-Unis, prêtent attention à de dangereuses et malfaisantes sirènes politiques.
En attendant, le tableau de la conjoncture est reconnu par d’éminents membres de la Fed comme n’étant pas spécialement rose. Janet Yelle, présidente de la Fed de San Francisco, une autorité membre du comité de politique monétaire, vient à cet égard de délivrer son verdict: les Etats-Unis connaissent une reprise lente et prolongée en forme de « L », selon une inclinaison ascendante progressive. Une variante peu encourageante de la déclinaison des lettres de l’alphabet, qui était depuis quelque temps interrompue, ses ressources épuisées. Plus important encore, elle a suggéré que plus que l’inflation, c’était le danger déflationniste qui était à redouter, appuyée en cela par Richard Fisher, le président de la Fed de Dallas, qui s’était jusqu’à maintenant fait remarquer par ses prises de positions contraires, n’arrêtant pas de demander l’arrêt des dispositifs de la Fed en raison du danger inflationniste de celles-ci. Se contentant de demander que la Fed prenne des « dispositions appropriées », non identifiées parce qu’antinomiques, afin que soit combattu le carry trade et ses effets néfastes sur le dollar (s’il était ainsi alimenté par les taux directeurs de la Fed, a-t-il ajouté pour manier l’euphémisme). Dennis Lockhart, le président de la Fed d’Atlanta, n’était pas en reste pour sa part, envisageant sous un autre angle la situation. S’inquiétant des conséquences pour les petites entreprises, et donc pour le niveau de l’emploi auquel elles contribuent énormément, des difficultés persistantes d’accès au crédit, conséquence du fait que le système bancaire n’a toujours pas réglé ses problèmes. Faisant face à la crise du crédit hypothécaire commercial. Janet Yelle, enfin, n’y allant pas quatre chemins, à propos du chômage estimant qu’il « pourrait bien rester élevé durant un certain nombre des années à venir ». Voilà le tableau que dressent les principaux membres de la Fed, quand Ben Bernanke ne prend pas la parole pour couvrir leur voix.
Cette crise, déjouant les attentes de tous ceux qui ont voulu n’en faire qu’un accident vite dépassé, tout redevenant au plus vite comme avant, est loin encore d’avoir été reconnue dans son ampleur et ses conséquences. Mais l’on s’en approche. On va ainsi beaucoup parler de l’Asie et des rapports américano-chinois, à l’occasion du prochain déplacement de Barack Obama. Il a été jusqu’alors de rigueur, dans la plupart des milieux, de considérer qu’un rééquilibrage du commerce international était une des clés de l’avenir. Résultant d’une diminution des excédents commerciaux chinois et des déficits américains correspondants, à la suite d’une réévaluation du yuan. Cette thèse officielle vient d’être remise en cause par Justin Yifu Lin, chef économique de la Banque Mondiale, qui a expliqué dans les colonnes du Wall Street Journal qu’une telle appréciation de la monnaie chinoise ne ferait que renchérir les importations américaines d’un côté, mais que sa stabilité soutiendrait les exportations chinoises et conforterait la reprise mondiale de l’autre !
Les uns après les autres, les poncifs – ces idées toutes faites qui arrangent bien les choses, il est vrai – s’écroulent d’eux-mêmes. Jusqu’où ira l’affaissement en cours de la philosophie actuelle de la régulation financière, reposant sur la maîtrise introuvable du prochain jeu de domino systémique qui nous attend ?
61 réponses à “L’actualité de la crise: l’introuvable régulation systémique, par François Leclerc”
Bonjour à tous
Cela fait presque 6 mois que je passe sur ce blog quand je trouve un cybercafé sur ma route.
Merci a tous pour la foule d’info et de commentaires que je rumine parfois en chemin.
Mais une quetion me turlupine toujours et je n’ai nulle part trouvé la moindre ébauche de réponse, comme si j’étais le seul à me la poser.
Voilà :
Fin 2002, l’invasion de l’irak était déjà sans alternative dans le discours officiel = la guerre ou notre destruction massive.
Fin 2008, avec la Crise, même discours : « le plus grand hold-up du siècle » ou l’apocalypse, présenté comme un théorème.
Est-ce que quelqu’un ici pourrait écrire le scénario : si les too big too fail avaient failli… Quel impact sur le quidam moyen en france et ailleurs ?
Bonnes chances que ma petite question se perde dans un silence plein de mépris pour mon ignorance, mais ça serait dommage : je crois que la destruction de ce théorème aurait beaucoup d’effet sur la combativité des gens.
Alors, je repasserai par ici au prochain cybercafé
« Ne pas se poser de question est déjà une réponse mais qui n’apporte pas de réponse aux questions qu’on ne s’est pas posées « .
Si elles avaient, ou quand elles failliront vouliez vous dire ?
Beaucoup de désorganisation dans l’ordre établi, et qu’on vous jure le meilleur. Rétablissement d’un équilibre ad hoc entre ceux qui ont quelque chose à échanger.
La sortie du prochain gadget inutile peut être différé. Le salaire de star du football peut baiser, mais vous pourriez aller jouer au foot vous-même avec vos voisins de quartier, pour savoir à quoi ressemble la pratique.
A ce stade, je ne décrypte pas la question
Déjà « avoir failli » cela dépend du point de vue où on se place.
Pour la topTopBanque qui profite de l’occasion (par elle créée) pour ceci :
(a) Récupérer des banques pour rien, (b) prendre davantage d’emprise et de suretés réelles sur les Etats et leurs banques centrales, (c) prendre à la gorge des milliers d’entreprises en leur fourguant ainsi des prêts spéciaux et obligations convertibles qui seront autant de noeuds coulants autour du cou, (d) se refaire en montants les marges et commissions un peu partout que les taux de base bancaires (TBB) soient fixés par les xenDynastOgres à un niveau quelconque (haut ou bas à leur convenance),
(e) … etc.
Vous avez qq topTopPirates assistés des gouvernements des uns et des autres (Brown, Obama, pantin Tartempion, …) assistés de leurs économistes patentés, d’une part, et les « C….. » (la plèbe et les cadres et experts spécialisés en ceci ou cela), d’autre part.
Pourriez-vous, si vous le souhaitez, reformuler votre question ?
Les forces de la spéculation sont bien plus puissantes que n’importe quelle tentative de régulation systémique. Les choses ne pourront être modifiées que lorsqu’elles auront épuisé la force qui les anime (un krach majeur peut-être, et encore…).
Nous lisons ceci ce jour sur Boursorama (Cercle Finance) : « Les marchés redoutent par dessus tout de bons chiffres qui valideraient le scénario d’une reprise en ‘V’: fort ‘heureusement’, il n’y a eu que des statistiques médiocres à se mettre sous la dent tout au long de la séance, laquelle s’est achevée dans l’euphorie générale grâce à un très mauvais indice de confiance des ménages américains au mois de novembre ».
Le dilemme :
Une amélioration de la conjoncture signifierait une remontée des taux directeurs de la FED, la fin de l’argent gratuit, l’érosion des marges spéculatives et un alourdissement des charges de remboursement pour les emprunteurs. Cette remontée des taux signifierait donc le début de l’éclatement des nouvelles bulles apparues depuis 2008, une nouvelle crise des subprimes… « Le marché » salue donc avec des débordements de joie toutes les informations démontrant que la conjoncture de l’économie étasunienne se dégrade encore.
Mais le maintien de taux nuls est le puissant créateur de bulles spéculatives. Plus ils sont longtemps maintenus artificiellement proches de zéro plus la bulle se gonfle et prend de l’ampleur, et plus son dégonflement, inévitable, sera dévastateur.
La FED semble désormais coincée. C’est pratiquement le même scénario qu’en 2007, à ceci près que la FED ne peut plus réduire ses taux. La seule sortie possible, à court terme, est donc bien un transfert de l’insolvabilité du système (via l’ « assouplissement quantitatif ») vers le secteur privé. L’issue logique c’est la transformation d’une insolvabilité du secteur bancaire privée en une insolvabilité globale, généralisée, des Etats-Unis. Ces derniers sont en réalité déjà insolvables. Mais ce niveau d’insolvabilité, en quelque sorte latent, n’a pas dépassé le seuil au-delà duquel les croyants du système renonceront à leur croyance en sa solidité magique. Puisque ce seuil relève de la croyance (la superstition statistique) il n’est pas possible de le connaître aujourd’hui. Mais on s’en rapproche forcément. Le doux scénario à la japonaise n’est pas si évident…
La finance au service de la destruction de l’économie.
Voilà, ce qui se passe, les bourses montent par les mauvaises nouvelles qui lui font savoir qu’elle continuera à avoir de la monnaie gratuite à travers les banques centrales et leur taux qui s’il n’y a pas de reprise resteront au plus bas.
On a changé de schéma ce n’est pas les profits de entreprises à attendre qui font monter les bourses mais le contraire.
Dans cette crise et tant que cela dure, la finance a trouvé un moyen supplémentaire pour faire de monnaie à partir de rien par la plus odieuse des spéculations de tous les temps. La finance s’enrichit en vase clos, excluant l’économie réelle les entreprises et les particuliers des aides qu’elle a reçu et qui ne lui serve qu’à faire monter la mayonnaise de la richesse virtuelle.
à Boukovski [22:23]
Où êtes-vous allé recopier ce missile-pirate mensonger de bankster ?
auprès de quel économiste (âne-nourri et/ou cynique-profiteur) ? dans quel média sous habile tutelle ou université viciée ?
@P.-Y. D
La survenue d’une crise majeure ne doit pas être considérée dans une perspective lugubre.
Serait-ce à dire que la voie serait toute tracée qui conduirait à une redistribution non-négligeable des cartes ?
Notre monde est ouvert. Sa caractéristique majeure fait que ni progrès, ni régression ne sont inéluctables.
Cependant, nous devrions faire preuve, compte tenu des circonstance actuelles, d’optimisme concernant nos capacités collectives à infléchir le cours des choses.