03/10/2009
« Rencontres avec des hommes remarquables » (I), le 22 octobre 2009 à 19h
Publié par Paul Jorion dans Histoire, Politique, Questions essentielles, tags: changement, destin, Histoire, monde nouveau,responsabilité
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Quand j’ai été contacté à propos du cycle de conférences « Rencontres avec des hommes remarquables », ma première réaction a été la défiance. Bien sûr, il s’agit d’une expression : c’est le titre de l’autobiographie de Gurdjieff, ainsi que celui du film que Peter Brook tira du même livre, mais s’y mêle en tout cas au compliment – éventuellement même mérité – la flatterie. Aussi j’ai d’abord réagi comme Robert de Niro dans « Taxi Driver » de Scorsese : « Are you talking to me ? To me », puis je me suis laissé convaincre par d’excellents arguments, en particulier que le bénéfice de l’événement irait à de bonnes causes (dont la moitié déterminé par moi).
Lors de la conversation que j’eus avec les organisateurs, Pascale Desnos et Michel Tardieu, nous avons parlé de l’urgence aujourd’hui d’idées nouvelles, et j’ai proposé que le thème que je traiterais serait précisément celui de « l’homme remarquable » mentionné dans le titre (« l’homme » ou « la femme », bien entendu : « l’être humain remarquable »). L’idée commençait à m’intriguer. En particulier du fait qu’on peut y inscrire un programme et que ce programme émerge des diverses manières dont on peut aborder la notion.
Il faut d’abord réfléchir à ce qui distingue « remarquable » d’« excentrique », car « remarquable » en français ne renvoie pas simplement au comportement que l’on remarque ou qui se fait remarquer. On peut aussi se demander ce que serait pour Musil, un « Homme à qualités » par rapport à l’« Homme sans qualités » dont il nous a dressé le portrait (j’aurais quant à moi plutôt traduit « Der Mann ohne Eigenschaften » comme : « L’homme sans particularités »). Ou bien encore, pourquoi « l’homme remarquable », n’est pas nécessairement un général, alors que « le grand homme » chez Hegel semble être surtout Alexandre ou Napoléon.
À Hegel, je reprendrai sûrement l’idée que « l’homme remarquable » appartient pleinement à son temps. Le taoïste appartient lui aussi pleinement à son temps, mais ayant découvert la voie taoïste – le cours nécessaire des choses tel qu’on peut l’extraire d’une compréhension profonde de leur nature essentielle –, il peut aussi bien choisir l’invisibilité que la visibilité : son adéquation avec son temps se manifestera alors dans le fait que son époque aurait été identique avec ou sans lui : il n’aura rien apporté à son temps qui, en retour, ne saura rien de lui. Celui-là ne méritera certainement pas le nom d’« homme remarquable » : il sera tout au contraire, « l’homme sans remarquabilité ».
Pour être « l’homme remarquable », il ne suffit donc pas d’appartenir à son temps, il faut encore, comme dit Hegel à propos du « grand homme », savoir lire dans son temps, ce qui de l’avenir y est déjà écrit. Mais cette connaissance peut elle aussi déboucher sur l’inaction, il faut encore qu’il veuille assumer le destin qui fera de ce monde « avec lui » un monde différent d’un monde sans lui et que le premier soit meilleur que celui dans lequel il aurait choisi d’avoir un rôle effacé. « Meilleur », selon l’un ou l’autre critère qu’il faudra encore définir – et il existera là différents choix, marqué chacun culturellement.
Cette identification à un destin singulier mû par un projet, suffira à faire de lui « l’homme remarquable » car sa singularité le fera nécessairement émerger du troupeau : tout destin susceptible de générer un monde meilleur s’éloigne par essence des comportements mimétiques (sans quoi les choses présenteraient une tendance automatique à s’améliorer – et ça se saurait !). Mais ce destin singulier n’est pas sans risque. Non pas risque de souffrance, car même le choix de l’invisibilité ne va pas sans son lot de souffrances, mais risque d’imprévisibilité : l’impossibilité de prévoir jamais si le jeu en vaudra la chandelle.
(à suivre…)
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
02/10/2009
Le temps qu’il fait, le 2 octobre 2009
Publié par Paul Jorion dans Economie, travail, tags: Ben Bernanke, prime à la casse, reprise
Je précise que le programme de « prime à la casse » que j’évoque, c’est le « cash for clunkers » américain qui a pris fin au mois d’août.
30/09/2009
Règlements de compte à OK Corral
Publié par Paul Jorion dans blog, tags: capitalisme, John Maynard Keynes, Karl Marx, Paul Krugman, science économique
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Les règlements de compte qui ont lieu en ce moment entre économistes ne me concernent pas : je n’appartiens pas à leur profession. Ce que je ne peux pas éviter cependant, c’est de me retrouver – tout à fait légitimement, dois-je ajouter – au sein de réunions où de telles empoignades éclatent (ce fut le cas hier), tant l’atmosphère est électrisée dans leur cercle.
Si les économistes sont mis en accusation en ce moment, la ligne de défense que je les vois invariablement adopter ne fera pas l’affaire. Je pense à « C’est la faute aux keynésiens ! » proférée par les monétaristes, et à l’accusation inverse : « Maudits monétaristes ! », clamée par les disciplines de Keynes. Pourquoi cette ligne de défense ne fait-elle pas l’affaire ? Parce qu’aux yeux du public, insensible aux distinguos subtils entre orthodoxes et hétérodoxes, c’est l’ensemble de la profession qui a failli.
Il est particulièrement décevant de ce point de vue que Paul Krugman, dans une pseudo-autocritique des économistes n’a précisément rien trouvé de mieux à faire. Appeler les keynésiens, « économistes d’eau salée » (parce qu’ils appartiennent essentiellement aux universités américaines des littoraux atlantique et pacifique) et les monétaristes, « économistes d’eau douce » (parce qu’ils appartiennent essentiellement aux universités américaines « continentales »), n’amusera que ceux qui trouvent drôle toute l’affaire. Lui aussi considère que le salut de la « science » économique ne pourra venir que d’elle-même. Or, je le répète, et il faudrait que les économistes en prennent bonne note : ce n’est pas là le sentiment commun.
Le salut ne viendra pas, comme on l’observe ces jours-ci, d’une chasse aux sorcières visant ceux parmi les économistes qui seraient « vendus à la finance », parce que c’est la « science » économique dans son ensemble qui s’est contentée d’être la voix de son maître. Le salut viendra d’une autre science économique, dont aura été éjecté l’homo oeconomicus, une caricature de l’être humain sous la forme du sociopathe, comme je le rappelais l’autre jour.
Les temps sont mûrs pour une science économique où l’on appelle un chat, un chat, et où l’on se remette à parler du capitalisme dans les termes qui lui conviennent : comme un système où le « capital » – à savoir l’argent qui manque là où il est nécessaire pour produire et pour consommer – se trouve concentré entre les mains de ses détenteurs : ceux que l’on appelle à juste titre, les « capitalistes ».
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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28/09/2009
America !
Publié par Paul Jorion dans Arts, Questions essentielles, tags: Etats-Unis
Je n’ai pas été tendre avec les États–Unis dans mon billet sur BFM. Et je viens d’envoyer au Monde ma prochaine chronique, et j’ai encore aggravé mon cas – très très sérieusement !
Et puis je descends de ma tour d’ivoire et Adriana et le bébé sont en train – chacun à sa manière – de regarder Oklahoma (Fred Zinneman, 1955), l’opérette de Rodgers et Hammerstein et je me dis bon : « Tu es allé en Amérique parce que tu n’avais pas le choix et, honnêtement, tu fus mieux traité là que partout ailleurs (beaucoup mieux qu’en Belgique, qu’en France et qu’en Angleterre) ! »
Alors, dans notre rubrique « Soyons chic ! », un petit hommage (critique, faut pas pousser) aux youèsofé.
West Side Story : America (Leonard Bernstein, with a little help from Robert Wise)
Ray Charles : America, the Beautiful (Bates & Ward)
Simon & Garfunkel : America
28/09/2009
BFM Radio, le lundi 28 septembre à 10h46
Publié par Paul Jorion dans blog, tags: Etats-Unis, G20, Iran
Dans le rôle de « la conscience », votre serviteur.
Le podcast ici.
Les États–Unis et leurs remords
Ce qui me frappe d’abord à la lecture des comptes-rendus du G20, c’est la totale absence de remords des États–Unis en ce qui concerne leur responsabilité dans la crise.
Quand je dis « totale », j’exagère peut-être un peu : « Nous avons été trop tendres vis-à-vis de la Chine ! », se reprochent-ils, « qui nous inondait de sa camelote, tout en se révélant incapable d’ouvrir son marché intérieur ! » Et on ajoute à Washington – en soupirant : « Si seulement on les avait mis en demeure de ne pas manipuler le renminbi (qu’on appelle encore le yuan), on n’en serait pas là ! »
Le navire que les États–Unis avaient bâti a sombré sous nos yeux en 2007 et 2008, et le radeau qu’ils ont construit à la place, et sur lequel ils dérivent aujourd’hui, n’a lui non plus pas belle allure. Cela ne les empêche pas de continuer à se poser en donneurs de leçons – comme si de rien n’était.
Il est très inquiétant qu’à part ces remontrances en provenance des États–Unis, la montagne du G20 n’accouche que de minuscules souris, alors même que tous les participants sont d’accord ! Et l’on doit du coup s’inquiéter de ce qui se passera quand apparaîtront entre eux des dissensions !
Le soupçon a dû les effleurer que le résultat semblerait bien mince à l’opinion publique du monde entier, alors qu’elle se pose toujours la question de savoir d’où viendra la reprise ? si tant est qu’une reprise doive un jour avoir lieu !
C’est pour cette raison sans doute que les vingt plus grands de ce monde s’étaient gardé sous le coude un scoop. Un scoop, bien qu’il soit vieux de deux ans et a donc dû atteindre la date de péremption ! Voici : dans une caverne creusée sous la ville sainte de Qom, l’Iran enrichit de l’uranium.
C’était donc là l’annonce la plus sérieuse faite au G20 de Pittsburgh : la reprise aura lieu selon une très vieille recette. Une recette qui – contrairement aux autres – a toujours fonctionné jusqu’ici : grâce à une relance de l’industrie de l’armement.
27/09/2009
Pour me faire une opinion
Publié par Paul Jorion dans Economie, Politique, tags: sociologie
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je vous consulte parfois sur ce qu’il convient de faire : aller ici ou aller là, écrire ceci ou bien cela. Parfois aussi vous me donnez votre avis – sans que je vous l’aie demandé. Je suis malheureusement souvent comme les enfants, ou plutôt comme les adolescents : l’expérience des autres, qui me serait pourtant fort utile, ne me retient pas : je veux pouvoir sur tout, à partir de ma propre expérience, me faire ma propre opinion.
Voilà pourquoi je me suis rendu ce weekend, à l’invitation d’un grand courant d’un grand parti français, à son université d’été.
On a applaudi quand j’ai dit des choses allant dans le sens de ce que mes hôtes affirment ordinairement. On a ri au contraire quand j’en ai dit d’autres allant à l’encontre de ce que leurs ennemis prétendent d’habitude. Mais s’est-on intéressé au reste de ce que j’ai pu dire ?
Je n’en ai pas le sentiment. Quelqu’un est venu dire qu’il lisait assidûment mon blog. Tous les autres m’ont adressé quand ils me croisaient un mince sourire vaguement gêné. On me fit l’honneur de la table des hommes prestigieux de ce grand mouvement – pour lesquels, je le précise, j’ai beaucoup de respect – mais il était parfaitement clair que l’on ne m’avait pas invité pour apprendre quoi que ce soit de ce que j’avais à dire mais au contraire pour m’entendre affirmer que je me ralliais à ce que l’on entend dire d’habitude dans ces quartiers-là. Si l’on m’avait demandé : « Êtes-vous croyant ou incroyant ? », j’aurais répondu : « Je suis venu là pour me faire une opinion », et l’on aurait coché tout aussitôt la case « Incroyant ».
J’ai déjà eu l’occasion de vous raconter que j’avais reçu il y a un an ou deux une pétition relative à la crise des subprimes, et comme elle contenait pas mal d’erreurs de fait, j’avais proposé à celui de ses rédacteurs qui me l’adressait, de les aider à remanier leur texte. La réponse avait été cinglante : « Vous n’êtes pas obligé de signer ». J’ai connu samedi un sentiment apparenté : que l’on essayait de me vendre un produit tout cuit tout emballé. Et qui ne relevait pas d’un nouveau paradigme – pour utiliser un mot qu’on emploie quelquefois ici – ni même du précédent : celui de la dérégulation et de la privatisation, mais d’un plus vétuste encore et qu’on avait le sentiment qu’avec la crise le moment était venu de l’évoquer à nouveau, en pouvant cette fois pousser le volume. Telle était dans l’esprit de ces militants la fonction de la crise : offrir enfin sa chance à ce vénérable paradigme. Que la crise a une fois pour toutes changé la donne et qu’il faut parler de tout en des termes nouveaux, aucun d’entre eux ne semblait le soupçonner. Alors, on martelait les mots, comme si la colère feinte ou authentique pouvait valablement se substituer à la qualité de l’argumentation.
Est-ce que je participerai encore un jour à un tel type de rassemblement ? Je ne sais pas : je dois encore me faire une opinion. Ah ! Vous avez immédiatement coché la case « Incroyant » ? Vous avez peut-être raison.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
@konrad oh, à vrai dire ça ne me préoccupe pas plus que ça . C’est surtout vis à vis des…