Un entretien donné au quotidien La Libre Belgique.
La BCE a fait des promesses et sorti les “grands moyens” en septembre. Le soufflé n’est-il pas déjà retombé ?
Mario Draghi s’exprime toujours avec extrêmement de précision. Son langage est très prudent et compréhensible par les financiers, pas toujours par les observateurs. Il ne s’est jamais engagé autant qu’on ne l’a interprété dans l’opinion publique et sur les marchés. Il tente d’instiller de la confiance. Deux ou trois semaines plus tard, les gens s’intéressent aux notes en bas de page et comprennent mieux ce qu’il a voulu dire. Il y a aussi des nouvelles. La rue manifeste en Espagne, les mouvements autonomistes reprennent du poil de la bête et tout le monde se souvient du mini-krach à Wall Street du 6 mai 2010. Les émeutes à Athènes ont longtemps conditionné les marchés qui tiennent compte d’événements extérieurs. Les taux d’intérêt recommencent à monter sur les marchés des capitaux. Rien n’est réglé. C’est le problème majeur de la crise de la zone euro.
Tant que l’Espagne n’aura pas lancé un appel à l’aide, la BCE n’ira pas plus loin ?
C’est en effet une épée de Damoclès. Quand l’Espagne va-t-elle se déclarer ? Vu les problèmes internes, le gouvernement Rajoy s’efforce de gagner du temps. Cela fait la Une des journaux. Les marchés des capitaux s’interrogent et demandent des primes de risque à nouveau en augmentation.
Quand M. Draghi voit “des raisons d’être positif”, vous le suivez ?
Bien entendu. Ce que l’on veut savoir, c’est s’il y a au sommet de l’Europe (Commission, BCE, etc.) une détermination totale de sauver la zone euro à n’importe quel prix, avec l’accord d’Angela Merkel et de François Hollande.
Que va faire la BCE ce jeudi à votre avis ? Baisser un peu plus les taux, déjà proches du plancher ?
La BCE va tâter le pouls de l’opinion et examiner s’il faut prendre des mesures supplémentaires après le vaste programme de rachat de dettes. Elle va peut-être donner du poids à ce qu’elle a déjà fait et sans doute marteler le même message, à savoir que tout sera fait si nécessaire. Baisser un peu plus les taux ? Il faut être réaliste. Des taux aussi bas reflètent les faibles rendements que peut produire l’économie. Descendre encore les taux, ce serait jouer avec le feu. Il faut garder un minimum de rendement. On le voit avec les dettes allemande et française qui sont sur le court terme à des taux négatifs, c’est très dangereux. C’est uniquement la prime de sécurité qui est attachée à certains pays. On ne peut pas soutenir indéfiniment les marchés des capitaux avec des rendements négatifs.
Les dissensions au sein de la BCE sont-elles durables, à votre avis ? De quel côté vous situez-vous ?
Sur un plan intellectuel, je suis un très grand soutien de M. Weidmann, le patron de la Bundesbank. C’est le seul qui tient vraiment compte de nos acquis en termes de compréhension des mécanismes boursiers. On nous dit : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Cela fait maintenant cinq ans qu’on en prend, et de plus en plus audacieuses ! Cela conduit à des décisions de moins en moins maîtrisées. Les tensions inflationnistes et déflationnistes ne se neutralisent pas, elles se cumulent. Croire qu’on peut arriver à l’équilibre par ce biais, c’est de l’illusion.
On a souvent comparé la BCE à la Fed américaine. La BCE n’a pas de réels pouvoirs, n’est-ce pas le problème ?
La BCE est une banque qui correspond à une zone sans unité fiscale. Son vrai problème est qu’elle ne peut compter sur un ministre des Finances au niveau de la zone des dix-sept. Le cas de Bernard Arnault prouve bien qu’on ne peut pas gérer une zone économique sans unification fiscale. Sans elle, tous les arbitrages sont permis. Ce problème revient comme le refoulé en psychanalyse. Il détruit tout ce qui avait été construit.
Pensez-vous que l’on soit parti pour une crise de très longue durée ?
Non. Une crise comme celle que nous connaissons ne peut pas rester dans un état larvé. Si elle se transformait en crise de longue durée, ce serait un moindre mal. Comme entre 1929 et 1933, si on ne fait rien de radical, les choses vont encore s’aggraver. A l’époque, aux Etats-Unis, on n’a pas eu d’autre choix que de prendre des mesures exceptionnelles. D’autres pays ont résolu leurs problèmes en se tournant vers des régimes autoritaires. Ainsi, Degrelle a décrété que la population était le pays réel. C’est extrêmement dangereux.
Vous dénoncez le fait que nul n’ait vu venir la crise de 2007. Les choses seraient-elles différentes aujourd’hui ?
Depuis 2 500 ans, des gens réfléchissent à nos problèmes en tant qu’espèce et aux solutions à apporter. Il y a un clivage entre cette réflexion et les décisions qui sont prises, pas la moindre communication entre les deux ! Paul Krugman, Joseph Stiglitz et de grands éditorialistes financiers font des déclarations et les politiques font exactement le contraire. Si on ne règle pas ce point, notre espèce ira à sa perte.
A l’instar de Stiglitz, vous plaidez pour la solidarité et dénoncez “la machine à concentrer la richesse”. Etes-vous optimiste ?
Si ce déclic pouvait avoir lieu, oui. Mais si un prix Nobel, ex-conseiller de Clinton, ex-directeur de la Banque mondiale, n’est absolument pas écouté, on a un sérieux problème. Les minutes et les secondes commencent véritablement à compter.
Les mesures fiscales décidées par François Hollande sont-elles un pas vers plus de justice sociale ?
Cela joue sur des pourcentages après la virgule. Ce n’est pas un changement radical de compréhension du système. Des mesures vont dans le bon sens mais ne sont pas à la hauteur de la crise dans laquelle nous sommes plongés.
25 réponses à “LA LIBRE BELGIQUE, « Descendre encore les taux, ce serait jouer avec le feu », le 4 octobre 2012”
Capitalisme à l’agonie : Interdisons la Spéculation ! avec Paul Jorion -vidéo 10′
http://www.youtube.com/watch?v=_k0SUKUYR10&feature=player_embedded
Accessoirement, ce mail reçu de Amazon:
J’ai donc annulé…
Peut-on déjà le trouver en librairie, svp?
Merci.
il semblerait (une note précédente de PJ ) que cela soit prévu pour le 2 novembre
Fallait pas annuler, j’ai reçu le même message, ils ont ré-achalandé et c’est maintenant expédié..
En librairie ce samedi en Bretagne…Acheté et déjà entammé !
J’ai fait un saut page 302 pas le courage d’attendre. Merci Paul pour les heures de lecture et de culture. Le problème avec vos livres, cest que l’on passe plus de temps à « fouiller » sur Internet quà lire.
c’est bien plus qu’une crise financière, une véritable crise de civilisation qui nécessite une Révolution Copernicienne !!
-monnaie commune mondiale à partir des DTS,
-réforme des systèmes comptables pour imposer de nouveaux critères de gestion,
-refonte de l’OMC pour organiser les coopérations et la maîtrise du commerce mondial pour le co-développement,
-des biens publics mondiaux ont été proposé par le PNUD, l’environnement, l’eau, l’alimentation de base, l’énergie, les transports, mais aussi la monnaie et la finance partagé….
j’en oublie certainement : mais cela me parait un minimum pour dépasser le capitalisme !!
bonus :
HK & Les Saltimbanks – « On lâche rien »
http://www.youtube.com/watch?v=tN0ipJq9nac&feature=related
Bien entendu!
Le minimum, c’est d’exproprier tous les grands moyens de production,
fondement du capitalisme y compris la rémunération de forces considérables de répression,
et d’une armada de politiciens
dont aucun bien sûr ne veut entendre parler de cette révolution.
Ils sont tous libéraux ou keynésiens, autrement dit défenseurs du capital;
Il ne faut pas oublier une vraie réforme de la propriété…
Comme le disait Proudhon en son temps. Je n’ai jamais compris comment un individu pouvait se prétendre propriétaire d’une terre ?
Une sorte de téléologie divine certainement.
Cela vaut aussi pour les sous-sols d’un pays : en quoi le pétrole, par exemple, appartiendrait au pays locataire de notre planète ?
Et le vent ?…
@Albert III : la réponse est ici
http://www.futuropolis.fr/oh-les-beaux-titres-a-venir
distribution en librairie reportée au 2 novembre
Des taux aussi bas reflètent les faibles rendements que peut produire l’économie. Descendre encore les taux, ce serait jouer avec le feu. Il faut garder un minimum de rendement.
Pas possible de dire que le QE de la BCE d’un total de 4500 milliards d’euros a fait quoique soit à l’économie réelle. Nous sommes en recession.
Le QE ne réduit pas le chomage ni n’augmente les marges. Ca ne sert qu’a stabiliser le naufrage du Titanic banquaire.
En plus avec des euribor et libor truqués…
Le QE avec ses taux bas, ne sert qu’a la spéculation sur les matières premières, à la dépreciation des monnaies, dollar et euro.
Cette spéculation réduit donc les marges des entreprises…
Ces taux bas ne refletent donc pas de faibles rendements mais au contraire les provoquent.
Il n’y a pas de faibles rendement de l’économie, mais un délire financier demandant des rendement illusoires qui sont intenables.
Aucune économie ne peut y résister.
On nous mène en « bas taux »
» Degrelle a décrété que la population était le pays réel. C’est extrêmement dangereux »
Sans commentaire
« De la trollitude et des no-comment qui en disent long sur les commentateurs … »
Heureusement qu’il n’a pas dit que l’eau mouillait.
Mais oublions Degrelle et disons donc en toute généralité que proposer « que la population puisse être le pays réel, c’est extrêmement dangereux ». A partir de là, on sait ce qu’il reste à faire : enlever un des deux termes de la proposition, au moins.
Vous ne m’en voudrez pas de ne pas vouloir monter dans votre train .
http://www.le-parolier.net/paroles/b/Brassens_Georges/70844641.html
Tss tss, sans ou avec Degrelle ou Maurras ou qui tu voudras parmi tes potes, mon bichon, Pays réel c’est Pays réel, patate.
le puritain et le libertain habitent à la même adresse :
les libre-échangistes financiers et les hyper-orthodoxes économiques finissent pareils !
donc il y a un problème de fonds de roulement et de fonds de refoulement !
» Les mesures fiscales décidées par François Hollande sont-elles un pas vers plus de justice sociale ? »
» Cela joue sur des pourcentages après la virgule. Ce n’est pas un changement radical de compréhension du système « .
Et l’augmentation de la CSG, vous croyez Mr Jorion que c’est quelques pourcentages après la virgule pour le pouvoir d’achet des Français.?
@Michel P.
Non, parce que ce n’est pas de ce point de vue là que cette phrase est énoncée, mais du point de vue des finances publiques. Question d’échelle de grandeurs. C’est pourquoi la mesure est d’autant plus absurde, d’ailleurs.
Plaît-il Dissonance ? » du point de vue des finances publiques » ? Près de 90 milliards en 2011 la Csg.
2 à 4 % de hausse du taux c’est 20 à 40 milliards, » pourcentages après la virgule pour les finances publiques » 20 ou 40 milliards ?
Je serais plutôt nuancée à propos de cette mesure(c.a.d le taux des 75%) .Certes, si elle ne rapporte pas suffisamment à l’Etat, elle a le mérite de montrer que l’Etat prend note de l’indécence de certaines rémunérations. C’est un progrès pour l’éveil de certaines consciences…!
A ce sujet je vous conseille d’écouter le philosophe Patrick Viveret qui rejoint les propos de Paul Jorion et Joseph Stiglitz sur le problème de la concentration des richesses.
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4358819
« Et l’augmentation de la CSG, vous croyez Mr Jorion que c’est quelques pourcentages après la virgule pour le pouvoir d’achat des Français.? »
Dés qu’il s’agit de taxes, on entend parler du sacro-saint pouvoir d’achat…mais la CSG s’applique à la rente, à toute la rente. Et je crois que c’est ça qui énerve…les rentiers.
Par contre, augmenter le prix de l’energie pour satisfaire les actionnaires de EDF ou GDF, ce n’est pas attaquer le pouvoir d’achat, ni affaiblir la compétitivité…non …c’est promouvoir l’écologie.
A lire les réactions dans les gazettes financières, je trouve de plus en plus séduisant ce budget 2013, même si j’y laisse quelques plumes…
Les rendements qu’exigent la finance son de nature destructrice. La part de profit que se fixe pour s’enrichir, et à 2 chiffres, et se veut de plus en plus élevé, comme si il fallait accepter idéologiquement cet enrichissement, qui se fait au détriment de nombreuses espèces.
Pour expliquer les dérives on parle de court-terme, de vision à court-terme, mais la finance va encore plus loin puisqu’elle théorise ce concept d’accumulation des profits, comme une nécéssité de vie en civilisation. Comme si cette production de richesses constante était possible, et se devait d’être continue, ce qui est matériellement impossible dans un monde aux ressources limitées.
Les ressources naturelles ne peuvent suivre ce rythme de production qui génère de nombreux profits, et les êtres humains ne peuvent se protéger dans l’avenir avec la redistribution des revenus actuel, qui ne leurs permets pas de se stabiliser en société durant une période même minime, alors que le productivisme est et a été très élevé (moins de 20 heures par semaine dans les sociétés traditionnelles), et en plus par rapport au biotope naturel.
C’est l’attitude du train qui fonce dans le mur, si on ne décide pas de le ralentir, alors l’issue est inévitable. Il en est de même pour notre civilisation, au niveau écologique comme financier.
Cet accroissement des rendements sur des années n’est plus possible, il faut un temps d’arrêt et de redistribution des richesses, pour faire face aux défis comme le réchauffement climatique, la surexploitation des ressources naturelles ou la redistribution des revenus pour la cohésion sociale, a contrario de profits destructeurs.