J’ai commencé d’écrire à propos de la crise du « grand tournant » comme je l’appelle depuis quelques années, à l’automne 2004. À l’époque, je ne faisais bien entendu encore que la prévoir. L’ouvrage que je rédigeais à ce moment-là : La crise du capitalisme américain a paru en janvier 2007. Depuis, j’ai écrit de manière quasi-ininterrompue sur le sujet, sur le mode du reportage et de l’analyse.
Sur ces presque huit ans, j’ai absorbé énormément d’informations au fur et à mesure de leur disponibilité. Comme le savent les lecteurs de ce premier livre ainsi que de ceux qui l’ont suivi : L’implosion (2008), La crise (2008), L’argent, mode d’emploi (2009) et Le capitalisme à l’agonie (2011), ou ont lu sur le blog les ébauches de leurs chapitres au moment de leur conception, ce qui constitue le cadre théorique de ces livres était « auto-généré ». Je veux dire par là que j’ai bien sûr lu avec un très grand intérêt et en en tirant la substantifique moelle tout ce qu’ont écrit sur le développement de la crise des frères d’armes comme, pour ne citer que deux noms, Emmanuel Todd ou Frédéric Lordon, ainsi que les auteurs de « billets invités » sur le blog, mais mon cadre de réflexion est resté essentiellement celui que j’avais défini dans les articles et rapports que j’avais rédigés sur des sujets économiques ou financiers durant la période 1985 à 2003, et dont la teneur a été intégrée dans mon livre intitulé Le prix, publié lui en 2010.
Ce que j’ai fait au cours des derniers jours, c’est rassembler une demi-douzaine de textes écrits par des auteurs dont la totalité (ou la quasi-totalité d’entre eux) n’a probablement jamais entendu parler de mes propres travaux (ils ne les citent pas en tout cas) et qui ont mis sur le papier leurs réflexions relatives à la genèse de la crise du « grand tournant » et en ont offert une explication. Il y a là des mathématiciens, des physiciens, des biologistes, des économistes et un paléontologue, et je m’apprête à comparer les conclusions auxquelles nous sommes parvenus eux et moi de manière indépendante.
Sans dévoiler la fin de l’histoire et sans en déflorer la leçon, je peux vous signaler déjà que le tableau qui en émerge converge et qu’il m’a paru personnellement saisissant.
27 réponses à “ÉCLAIRAGES CONVERGENTS SUR LE « GRAND TOURNANT » (I) INTRODUCTION”
[…] Blog de Paul Jorion » ÉCLAIRAGES CONVERGENTS SUR LE « GRAND TOURNANT » (I) INTRODUCTION. […]
Des noms!
Joseph Stiglitz ! Nobel d’économie.
Que voila une bonne idée !
Je constate de plus en plus que les seules personnes que je rencontre qui ont conscience de la situation actuelle sont celles qui sont sorties des sentiers battus (dans leur vie professionnelle) et qui ont fait l’effort de s’intéresser à des domaines qui n’étaient pas les leurs.
Autrement dit pour » relier les pointillés », il faut avoir fait un sacré bout de chemin !
Ce blog y participe grandement.
@ Bérouzat
Réflexion très très juste; pour relier les pointillés il faut sans doute être soi même un peu en pointillés. Ce genre d’état d’esprit, nécessaire à la compréhension d’une globalité me fait penser à l’approche chinoise de la compréhension de l’univers. Ainsi les grandes et éternelles questions métaphysiques qu’abordent Jorion et ses pairs peuvent être comprises, ou plus exactement « appréhendées » par des non universitaires. Il suffit d’avoir observé le monde, de s’être confronté à ses multiples facettes, d’avoir lucidement accepté les multiples vérités qui se sont à chaque fois dégagées des expériences vécues. Etudier un problème à distance n’apporte pas de vraie connaissance et là se trouve la limite de nos experts. Il faut avoir appréhendé le problème, il faut en avoir été, en avoir constitué une partie, même infime, il faut donc accepter d’être le jouet de forces qui nous dépassent pour pouvoir entrevoir le fonctionnement d’un mécanisme qui nous dépasse. C’est ce que le Taoïsme nomme « la Voie », laquelle est plus observable, et donc plus importante que le but.
L’ouvrier, l’éleveur de chèvres, le pêcheur, l’artiste, la lavandière peuvent ainsi partager la même vision du monde en marche que les plus éclairés des princes ou les plus lettrés des philosophes. Votre remarque, Berouzat , met, selon moi, l’accent très exactement sur ce qui relie les hommes « par le haut »! C’est un VRAI encouragement à ne pas être constamment pessimiste. Je vous en remercie.
Il faudrait donc que les discours à prétention scientifique qui apportent des explications dont les choses se sont passées et comment elles pourraient évoluer, contiennent également en eux la trace du cheminement intellectuel, et autres, qui a conduit à leurs conclusions. Plus le nombre de dimensions de ce qui fait notre humanité, l’humanité (affectivité, imagination, intuition, raison, vécu …) seraient associées, intégrées, plus le discours serait alors susceptible d’entrer en résonance-dissonance avec nos esprits (au sens où il est la résultante de toutes les dimensions sus-mentionnées), de telle sorte que ceux-ci se trouveraient comme trans-portés, hors du cadre.
Bref il s’agit que s’anime un monde, pour refaire le monde ! Paul y parvient assez souvent.
Un style de prose philosophique ou scientifique caractéristique de ce genre de discours est par exemple celui que l’on trouve chez le philosophe Hegel. Dans sa prose l’exposé de l’ordre des raisons philosophiques ne se distingue pas du processus de prise de conscience par lequel l’esprit chemine jusqu’à l’esprit absolu. C’est manifeste et revendiqué chez Hegel avec sa phénoménologie de l’Esprit, mais il me semble que beaucoup grands penseurs et grands inventeurs scientifiques procèdent de la sorte.
C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle il ne me semble pas faux de dire que tel grand écrivain saisit si bien un monde qu’il n’a rien à envier aux analyses sociologiques les plus pointues, parce que dans le Réel il n’y a pas une objectivité qui s’opposerait à une subjectivité. Le présupposé de base c’est bien entendu ici que science sans conscience n’est que ruine de l’âme, j’ajouterais même, qu’une science authentique ne devrait pas occulter la part de subjectivité (au sens générique) qui entre dans sa constitution.
Aussi je doute que le mode d’exposé (je pense ici aux articles cités par Paul dans la partie II) qui consiste à tracer des droites ou des courbes pour en venir hâtivement à certaines conclusions puisse nous permettre de comprendre (prendre avec — saisir) un enjeu, en l’occurrence celui relatif à la survie, la mutation d’une civilisation, la notre.
Devant l’énumération de ces crises, moments critiques, sous forme linéaire, seulement objectivée, nous nous trouvons encore trop en position d’extériorité par rapport à des phénomènes dont nous sommes pourtant les héritiers et dans lesquels nous sommes impliqués, totalement. Ce qui nous manque ce ne sont plus tant des preuves que l’expression d’une dynamique, des éléments de compréhension immédiate qui nous permettraient précisément de prendre conscience de notre implication en tant qu’être sociaux, pour sortir du cadre, enfin !
Dès qu’on touche à la politique, le problème c’est que les solutions sont choisies avant qu’on examine les problèmes à résoudre.
Croissance, compétitivité, confiance des investisseurs sont les solutions choisies par ceux qui qui sont les spécialistes reconnus des questions économiques et financières. Les politiques voient donc les choses à travers ces solutions et prennent leurs décisions en fonction d’elles. Quand la compétitivité impose de diminuer les salaires et les dépenses de l’Etat avec comme résultat principal une croissance nulle ou négative qui fait que la confiance des investisseurs s’amenuise, ils sont condamnés à tourner en rond. Même cercle vicieux quand la compétition entre les pays de l’Euro-zone leur interdit la solidarité nécessaire pour rassurer les investisseurs sur l’avenir de l’euro.
Il n’est pas surprenant que des gens qui n’y connaissaient rien – ce qui en l’occurrence équivaut à dire qu’ils examinent les problèmes sans en avoir choisi à l’avance les solutions – soient les mieux placés pour faire des propositions qui tiennent compte de la situation réelle.
Belle idée !
Je subodore que les conclusions de l’ensemble des sélectionnés (pour connaître les travaux de ceux cités) sont nécessairement convergentes et les posts qui commentent quotidiennement l’actualité de la crise, dont François s’est fait l’exégète, fournissent un panorama assez fourni de ces conclusions potentielles, de l’apocalypse genre « Mayas 2012 » à la new-félicité genre « ravi de la crêche »…
On attend avec impatience le résultat avec l’espoir que nos reponsables politiques en prennent aussi connaissance et lèvent le nez du guidon…
Alain,
Sais-tu qu’aux dernières nouvelles la compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, se destinerait à interviewer des personnalités étrangères ?
Peut-être pourrais-tu lui suggérer (via Montebourg) d’interviewer une personnalité belge. 😉
Comme dit le détective quand il achève son enquête et qu’il en présente la conclusion : « l’histoire est unique ».
Et nous…?… on converge pas, nous…?… on sert à rien…?… mince!!!
Sinon, est-ce qu’il y aura un chapitre « solutions »…? ou au moins un chapitre « solutions avancées par chacun », dans lequel chaque solution serait analysée… ça serait bien…
On a envie de jeter des hypothèses, c’est sûr…
Si j’applique votre démarche à ma décantation du blog, recroisée à mes lectures antérieures, et aussi, chose pas négligeable, au parcours hasardeux qui m’a conduit ici, il en ressort aussi quelque chose de plus en plus net, dont l’économie et la finance ne sont que des têtes de chapitre. Pour ma part quelque chose de pas neuf, pas original, mais qui s’accuse dans le réel et dans les cervelles, et qui a l’aspect d’un tournant, d’une bifurcation. Je crois qu’on est en passe d’en finir avec un régime de la rationalité -donc aussi : de passer à un autre régime de croyance, que cela va redéfinir tous les domaines du savoir et de la pratique; que par exemple le modèle classique et néo-classique en économie n’est même plus crédible -littéralement, pas : vrai ou faux ou discutable-. Idem en biologie, en politique etc : de moins en moins de « crédit » pour la matésis universalis mathématiquement entendu, la fin du régime galiléo-cartésien.
Voilà la tambouille qui marmite dans ma cervelle.
Il me tarde de goûter votre soupe.
Très hâte de savoir ce que vous en avez tiré.
Une approche pluridisciplinaire et une synthèse des différentes crises; écologique, financière, industrielle, politique, sociologique, alimentaire, démocratique…?
Vaste programme.
On attend la suite avec intérêt.
Toute vision faisant émerger une compréhension systémique du « grand tournant » est la bienvenue.
Mais n’oublions pas la maxime de Marx: « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde; il s’agit maintenant de le transformer. » On en est toujours là.
Karl Marx était un homme lucide. Les intellectuels (tout comme les gens lettrés, les artistes…..) n’ont jamais changé le monde, on se sert d’eux, de manière éclectique et utilitariste. On essaye de faire taire ceux qui s’opposent au système dominant.
impatient de lire la suite 😉
Bonsoir Inspecteur Bosch!
Idem, j’attends la suite avec impatience.
Mr. Jorion, vous ne seriez pas devenu le sage du village ? 😉
Une interprétation des trois princes de Serendip?
2007 ? Bill Bonner publiait L’Empire des Dettes en 2006… et décrochait par la même occasion le GetAbstract.
Emmanuel Todd disait encore, il n’y a pas si longtemps que ça (le Rendez-vous des civilisations, 2007), que la Tunisie allait rejoindre le club des pays modernes grâce à une baisse de la fécondité. On constate pourtant le contraire avec un renversement de régime et une fécondité qui repart de plus belle. De même en Egypte avec un nouveau régime remplaçant l’ancien, manifestement plus « dur ». L’agiornamento, c’est pour quand ?
Pignouf,
D’où vous tenez cette soi-disant remontée du taux de natalité tunisien (qui était sensiblement arrivé au taux français autour de 2) ?
Ah! Va-t-on assister « AU RETOUR DES PETITES MAINS INVISIBLES » version Jorionpacru?
Vous le saurez en lisant les prochains épisodes du blog Jorion !
C’est tout à fait logique, nous sommes influencés par les champs morphiques (télépathie)
http://sechangersoi.be/4Articles/Sheldrake01.htm
On va encore me dire que c’est de la speudo science, mais j’y crois de plus en plus.
Les pseudo concepts « scientifiques » de champs morphiques ou de chréode ne m’impressionne pas.
Il ne suffit pas de nommer des choses pour qu’elles existent.
C’est de la spéculation pure (pas financière, mais quand même..)
En science, faire des hypothèses est tout à fait recommandé, mais tant que les faits les invalident il faut les tenir pour ce qu’elles sont; des hypothèses.
La télépathie est un vieux serpent de mer, jamais démontrée.
Voir les travaux d’Henri Broch et de la zététique
Un lien intéressant, susceptible d’apporter une lumière complémentaire :
http://www.atlantico.fr/decryptage/traders-psychopathes-finance-folie-est-atout-305797.html
Jean Zin, une riche et saine lecture capable de neutraliser les tourments que le succès ne manque pas de produire. Voir le commentaire 34.
Et aussi cet article « Au-dessus du vide« .
Je partage l’idée qu’on ne peut faire l’économie d’une reconstruction par la base (des structures locales), sans pour autant faire appel à un quelconque homme nouveau. Il s’agit d’une idée de ce qu’on pourrait appeler de la sociologie moléculaire. C’est connu pour les matériaux macromoléculaires qu’un changement infime du motif de base change complètement les propriétés du plastique (cf le cas des caoutchoucs pour lesquels l’introduction de quelques atomes de souffre (1/200atomes) change radicalement les propriétés macroscopiques du caoutchouc. PG De Gennes a interprété ce changement à l’aide du très fécond principe de percolation qui me semble transposable en sociologie)
L’un des tabou économique est la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’investissements sur les bourses internationales, ceci aurait (et ça se sait) une influence très positive sur l’économie.
Comment ce système rapportant des milliards (jamais pour les populations sauf les dettes bien sûr) marchent ?
L’argent déposé (par la population) dans une banque est utilisé de manière illégale (aucune loi ne l’autorise ou cherchez).
L’argent des déposants est investi en bourse par les banques, qui récupèrent (des sommes astronomiques et les redistribuent entre eux) les intérêts et les bénéfices de l’investissement de départ.
Si les investissements ne marchent pas la banque fait faillite, et les déposants ne récupèrent pas leurs argents.
Là est le problème, plus il y a d’argent venant des déposants, plus il y a de spéculation donc hausse des prix d’actions sur le marché.
Ceci a été interdit par Roosevelt lors du New Deal afin d’éviter la spéculation : hausse des prix d’actions en bourse, qui se répercute sur les prix de tous les jours.