L’actualité de la crise : LA DEUXIÈME PHASE DE LA CRISE DE LA DETTE, par François Leclerc

Billet invité

Alors que les préparatifs fébriles du sommet européen s’intensifient dans une dramatisation suspecte de manipulation de l’opinion, la deuxième phase de la crise de la dette donne en sous-main bien du souci, même si elle n’a pas les honneurs des grands titres. Devenues, à l’instar des États, un mauvais risque pour les investisseurs, les banques européennes connaissent à leur tour de sérieuses difficultés financières et font l’objet de toutes les attentions.

Se défendant d’être un prophète de malheur – un de plus ! – l’économiste en chef de Standard & Poor’s, Jean-Michel Six, justifie les mises sous surveillance de l’agence, qui se succèdent à un rythme soutenu, en énumérant les faits constatés : « D’abord, des perspectives de croissance trop faibles pour modifier la trajectoire de la dette publique à moyen terme. Ensuite, les banques européennes seront confrontées à des besoins de financement extérieur très importants début 2012, ce qui pourrait peser sur la dette publique si elles devaient faire appel à l’aide des États. » Standard & Poor’s a donc logiquement mis à leur tour sous surveillance les grandes banques européennes, après les États.

En attendant, les symptômes exprimant leurs gros soucis se multiplient. Que ce soit le volume des liquidités qu’elles empruntent à la BCE, en forte augmentation, ou celui des dollars qu’elles peuvent se procurer par la même voie, à la suite des accords intervenus entre les grandes banques centrales, dont la Fed. La hausse des dépôts effectués par les banques à la BCE exprime également sans équivoque la situation : les banques préfèrent la faible rémunération que cela leur procure aux risques d’un prêt à leurs consœurs via le marché interbancaire.

Elles rencontrent en effet une grande nouveauté : la désaffection prononcée des investisseurs, leur créant des difficultés pour se refinancer, alors qu’elles enregistrent une pénurie de collatéral devenu indispensable. Car le marché obligataire réclame des garanties, des actifs auxquels sont adossés les émissions d’obligations sécurisées, qui seules ont encore la faveur des investisseurs. En annonçant mettre sous surveillance la dette subordonnée de 90 établissements bancaires, c’est-à-dire celle dont le remboursement passe après d’autres dettes, Moody’s a contribué a assécher ce marché et à contraint les banques à se reporter sur celui de la dette sécurisée pour se refinancer. A l’arrivée, 720 milliards d’euros de dettes devront être refinancés l’année prochaine, un mur que les banques ne savent pas comment franchir par elles-mêmes.

Elles sont par ailleurs prises en tenaille, devant constater la dévalorisation de leur capital, déprécier à la valeur du marché les obligations souveraines qu’elles détiennent encore – quand elles ne s’en sont pas délestées – et assumer dans certains cas des retraits significatifs des dépôts, tout en devant augmenter leurs fonds propres. Or l’Autorité européenne des banques, va rendre son verdict et devrait encore hausser ses exigences à ce propos. Mario Draghi vient de s’en inquiéter, craignant qu’elles tirent dans un sens alors qu’il pousse dans l’autre.

Le danger est que, soumises à ces contraintes ou afin de les satisfaire, les banques s’engagent résolument dans la seule voie qui leur restera disponible, une fois vendues certaines activités et opérées des opérations de rachat de leur propre dette (buy-back), à un prix supérieur à celui du marché mais inférieur à leur valeur faciale. En l’occurrence à diminuer leurs encours de crédit, afin de continuer à réduire la taille de leurs bilans.

Les Etats sont donc pris entre deux feux : soit subir les conséquences négatives pour l’économie d’une diminution du crédit, soit risquer de devoir se porter au secours des banques, en leur apportant leur garantie, voire même des fonds, si elles ne parviennent pas à se renforcer d’elles-mêmes. Alors qu’ils n’ont plus les moyens dont ils disposaient lors de l’épisode précédent.

Le risque est grand que la première option ne soit suivie, accentuant les fortes tensions récessives que connait déjà l’économie, auxquelles concourent déjà les coupes budgétaires. Ce qui explique que la BCE ne reste pas inactive, apportant avec les moyens dont elle dispose toute l’aide possible aux établissements bancaires.

Les nouvelles dispositions sont de trois ordres, une fois décidée aujourd’hui une baisse de son taux directeur à 1% : un allongement de la durée de ses prêts à 36 mois (trois ans), un assouplissement des conditions d’éligibilité du collatéral apporté par les banques en garantie de leurs emprunts, en raison de la pénurie précédemment évoquée, ainsi que l’abaissement de 2% à 1% du niveau des réserves obligatoires des banques, le montant que les banques doivent placer à la BCE lorsqu’elles accordent un prêt. Cela fait suite à la mise à disposition de dollars, suite aux accords déjà intervenus avec les autres banques centrales, dont la Fed, pour suppléer à la défaillance des fonds monétaires américains, qui se sont retirés du marché par prudence.

Au final, la BCE se substitue aux marchés, pour le temps qui faudra et les montants qui seront nécessaires, aux meilleures conditions. Il est anticipé que les problèmes rencontrés par les banques seront de longue durée.

D’autres dispositions ont été prises ou sont en passe de l’être, afin d’aider au renforcement des fonds propres des banques. On a déjà fait état de la réévaluation de leurs modèles internes permettant de pondérer le risque de leurs actifs, afin de déterminer la valeur de leur engagement et partant, le ratio exprimant le rapport entre celui-ci et leurs fonds propres. Mais il serait question de revenir si besoin est sur l’exigence – formulée par l’Autorité européennes des banques – de valoriser la dette souveraine au prix du marché. Dans les deux cas, il s’agirait donc d’améliorer le ratio des banques, non pas en renforçant leurs fonds propres mais en améliorant comptablement la valeur des actifs qu’elles détiennent.

En dernière ligne de défense, et si nécessaire, il ne restera plus comme seule issue que d’apporter aux banques un soutien public. Les Français ont comme d’habitude expliqué que cela ne serait pas nécessaire, tandis que les Allemands réactivaient le Soffin, le fonds précédemment mis en place à cet effet, qui pourrait procurer aux banques des garanties allant jusqu’à 400 milliards d’euros. Bruxelles a entretemps prorogé l’activation des règles relatives aux autorisations d’aides publiques aux banques.

Que constater, si ce n’est que les deux faces de la crise de la dette, publique et privée, se contaminent réciproquement ? Elles ne bénéficient pas du même traitement, mais leur effet conjugué va faire encore plonger davantage l’économie dans la longue période de récession qui s’annonce, les États n’ayant plus de marge de manœuvre.

Quant à la dette publique, un nouveau montage financier est parallèlement à l’étude, afin de créer un pare-feu – la nouvelle expression en vogue – au cas où les choses tourneraient mal pour l’Italie et l’Espagne. Il est dorénavant question d’un double contournement. Non seulement le FMI serait utilisé afin d’éviter que la BCE ne soit en première ligne, mais la contribution de celle-ci ne serait plus sollicitée, les banques centrales nationales suppléant au financement du FMI à sa place, qu’elles appartiennent ou non aux pays de la zone euro. On voit toutefois mal la Bundesbank souscrire à ce montage, alors que Mario Draghi vient de refroidir les espoirs de tous ceux qui espèrent vainement en la BCE et avaient interprété ses propos précédents comme une ouverture, qu’il a aujourd’hui démentie ! Ce que la BCE fait pour les banques, elle ne le fait pas pour les États, mais les marchés ne s’en satisferont pas.

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75 réponses à “L’actualité de la crise : LA DEUXIÈME PHASE DE LA CRISE DE LA DETTE, par François Leclerc”

    1. Avatar de kohaagen
      kohaagen

      Mais BA, les Etats membres (anomiques) de l’UE trouveront un xème montage tordu pour retarder l’échéance, du genre : « le traité interdit à X de prêter à Y mais il n’interdit pas à X de prêter à Z qui, lui, prêtera à Y ». Etc… Et il y a 26 lettres dans l’alphabet !!!

      1. Avatar de BA
        BA

        Oui, d’accord, mais avec quel argent X pourra-t-il prêter à Z ?

        Avec quel argent ?

      2. Avatar de Fredo
        Fredo

        Comme on n’est que 17, il n’y a qu’à enlever quelques lettres ?

        Le P, le I, le G…
        Ah , le S aussi ?
        Bon… Et en cadeau, vous ne me feriez pas un F en plus ?…

        Les Voyelles suffiront pour les compter, vous ne croyez pas ?

  1. Avatar de furby
    furby

    Atttendons!!!La nuit porte conseil…..demain est un autre jour. Qui sait Nicolas va enfin pouvoir aimer Angela et nous chanter  » Oh Tannenbaüm » après avoir jeté son horrible cravate et posé la veste! Tout ne finit-il pas par des chansons!!!Menu demain midi: patates pour tout le monde. C’est pas Angela qui dira nein. Non pas des euros, please; ça s’mange pas, des kartofels. Oui, c’est ça!

    Allez, bonne nuit et à la prochaine. France Furby

  2. Avatar de ra
    ra

    La CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, la CGPME, le MEDEF et l’UPA participent le 13 décembre à un débat exceptionnel sur le thème : « Compétitivité : agir ensemble maintenant », avec la participation de leurs dirigeants au plus haut niveau.

    François Chérèque, Bernard Van Craeynest, Joseph Thouvenel, Frédéric Grivot, Laurence Parisot et Jean Lardin débattront de la situation de l’économie française, ainsi que des priorités à mettre en œuvre pour développer la croissance sur le territoire et favoriser une compétitivité réellement équitable. Le diagnostic sur la compétitivité française étant désormais largement partagé, et dans un contexte de crise grave, l’objectif de ce débat est d’identifier quelles orientations concrètes pourraient être portées conjointement par des organisations patronales et syndicales.

    (http://www.medef.com/medef-corporate/agenda/agenda-detail/back/135/article/grand-debat-sur-la-competitivite-des-partenaires-sociaux.html)

    PS : et comme si cela ne suffisait pas, devinez ce qui se passe le 13 décembre? la réponse ici

    1. Avatar de Reno Future
      Reno Future

      « … avec la participation de leurs dirigeants au plus haut niveau. »
      De « compétitivité » ?

  3. Avatar de Mattern Charles
    Mattern Charles

    à Furby commentaire 30. germanophobie de bon ton; si on passe outre les clichés et les différentes analyses semantico-politico-culinaires, j’ai envie de dire que c’est drôle et que l’humour aide; néanmoins de mes restes de jeunesse j’avais retenu tannenbaum sans le signe diacritique tréma hérité du grec (tiens, tiens) et kartoffeln au pluriel avec 2 f et un -n pour la marque du pluriel, etc….et des phrases comme « connaître pour comprendre  » En fait rien juste des études générales et classiques; ce qu’ on appelait « faire ses humanités »
    Le FRANCE Furby ne prête même pas à confusion
    Paris, le 8 Décembre 2011
    Charles Mattern (Karl pour les intimes)

  4. Avatar de dissy
    dissy

    Has The Imploding European Shadow Banking System Forced The Bundesbank To Prepare For Plan B?

    http://www.zerohedge.com/news/has-imploding-european-shadow-banking-system-forced-bundesbank-prepare-plan-b

  5. Avatar de Eg.O.bsolète
    Eg.O.bsolète

    The debt crisis and Peak Oil
    http://www.youtube.com/watch?v=zJfytqfDRR4

  6. Avatar de Steve
    Steve

    Bonjour à tous

    Le daily telegraph a beau jeu de titrer sur la mondialisation! Ce qui ressort de MF Global c’est que c’est bien à Londres et son absence totale de régulation du système financier que se sont envolées les reventes de crédits hypothécaires sans garanties …. ce qui a gavé pas mal de gens avant de nous exploser à la figure.
    D’ailleurs, trouvé sur business insider un article de business europe démontant un peu le problème de l’immobilier en europe centrale : il y aurait là environ 1 trillion de dollars de pertes possibles sur les prêts immobiliers pour pas mal de banques européennes…..

    Pour le système soviétique ultra centralisé il fallait l’explosion du Centre, pour le système capitaliste c’est partout et c’est demain! Et vous savez quoi? il est minuit moins deux!

    A cette heure, les bourse asiatiques ouvrent en baisse en raison du sommet européen!
    ( Qui me rappelle une formule d’un excellent prof de français latin: »Messieurs , l’année dernière je croyais avoir touché le fond, vous m’avez fait descendre encore plus bas!  »

    Imaginez les affres de Sarkozy en ce moment – qui d’entre nous aimerait être à sa place?
    Il bataille pendant des années dans son panier de crabe pour arriver en haut, quelles folles espérances l’ont motivé pour endurer ça?- et une fois arrivé au sommet il s’aperçoit qu’on est dans la M…au cube et que c’est à lui de nous dépatouiller !
    Comme disait Jacques Perret: « … Il avait l’air d’un gnome, parti pimpant pour la fête et fourvoyé dans une triste affaire! »

    Je commence à me demander si à gauche ils ont vraiment envie de prendre le pouvoir en 2012? ils devront passer au régime vaches maigres pour tout le monde sauf pour le Ver Solitaire alias « les marchés »! C’est plus peinard dans l’opposition en ce moment: il suffit de tout repeindre au yaka vite fait et tout le monde vous sourit !

    Conseils d’investissement en 2012 d’un banquier suisse: le métal sous forme d’or, de boîtes de conserves et d’armes de petit calibre!

    On a pas à gagner l’argent qu’on ne dépense pas! > Revoyez votre consommation!

    Cordialement.

  7. Avatar de lionel
    lionel

    trop drôle :
    Arrêt sur images 08/12/2011 à 09h52
    Exclusif : Standard & Poors dégrade le monde !
    Envoyer l’article par email Daniel Schneidermann
    Fondateur d’@rrêt sur images
    Plusieurs des internautes d’Arrêt sur images, abonnés aux services de l’agence Standard & Poors, nous font parvenir ce jeudi matin ce communiqué de l’agence, diffusé par erreur dans la nuit entre 3h17 et 3h19, heure européenne. Même s’il s’agit évidemment d’une erreur de manipulation de l’agence, immédiatement rectifiée, il en dit long : le seul fait que ce texte existe est de nature à accroître l’inquiétude sur les perspectives de l’économie mondiale.

    Francfort, 8 décembre. Le services de notation de Standard and Poor’s ont décidé de placer aujourd’hui sous surveillance négative les dettes souveraines de l’ensemble des pays du monde, avec risque de dégradation dans les trois mois.

    Cette décision vaut également pour l’ensemble des institutions bancaires, publiques ou privées, des pays concernés, l’ensemble de leurs compagnies d’assurance, de leurs collectivités locales comptant plus de cinq mille habitants, l’ensemble des entreprises, l’ensemble des institutions sociales. Les commerces de détail sont également concernés, à l’exception des commerces de bouche de première nécessité, des débits de tabac et de boissons, et du secteur pharmaceutique des neuroleptiques, considérés comme ayant des perspectives de croissance exceptionnellement favorables.

    Nous pensons en effet que le monde est entré dans une phase de risque collectif aigu, les pays débiteurs étant menacés de faire défaut, et les pays créanciers menacés de graves difficultés dès lors que les pays débiteurs feront défaut.

    Nous devons noter avec regret que les responsables politiques de la zone concernée se montrent collectivement d’une incompétence rare, et manifestent une absence totale de conscience de la gravité de la situation. x

    Nous plaçons l’agence elle-même sous surveillance négative
    A leur décharge, nous devons bien constater que notre agence, dans la situation actuelle, n’est en mesure de proposer aucune solution efficace, les pistes que nous avons proposées dans le passé ayant eu pour effet d’aggraver la crise.

    Dans cet esprit, conscients des possibles implications potentiellement négatives de notre décision, qui pourrait aggraver encore la récession mondiale, et du rôle joué par notre agence dans la dégradation de la situation, facteurs qui pourraient affecter sa crédibilité et sa profitabilité, nous la plaçons elle-même, bien évidemment, sous surveillance négative.

    Avec l’impartialité qui nous caractérise, nous serons particulièrement vigilants dans cette surveillance-là. Nous remercions tous nos clients de leur confiance

    1. Avatar de Nicks
      Nicks

      Très pertinente analyse d’un processus kafkaien…

  8. Avatar de BA
    BA

    Vendredi 9 décembre 2011 :

    L’agence d’évaluation financière Moody’s a abaissé d’un cran la note à long terme des banques françaises Crédit Agricole SA, BNP Paribas, et Société Générale, en y attachant une perspective négative, a-t-elle annoncé vendredi dans des communiqués distincts.

    Cette décision intervient à l’issue d’un examen approfondi lancé le 15 juin, et prolongé mi-septembre, précise l’agence.

    Crédit Agricole SA bénéficie désormais d’une note de solidité financière abaissée d’un cran à « C- », et d’une note de dette à long terme « Aa3 ».

    La solidité financière de la Société Générale est rétrogradée de deux crans à « C- », mais sa note long terme ne recule que d’un cran à « A1 ».

    La note de ces deux établissements avait déjà été dégradée mi-septembre par Moody’s.
    A cette époque, la note de BNP Paribas avait été maintenue mais avec une prolongation de la « mise sous surveillance négative ». Cette fois, la banque n’y échappe pas : sa note de solidité financière perd deux crans à « C », contre « B- » auparavant, et sa note long terme ressort à « Aa3 ».

    http://www.romandie.com/news/n/Moody_s_degrade_Credit_Agricole_SA_BNP_Paribas_et_Societe_Generale091220110712.asp

    1. Avatar de Marx prénom Groucho
      Marx prénom Groucho

      …Et pendant ce temps là, la City salue son « employé du mois », un certain David Cameron!

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  1. Dans ce cas, effectivement, c’est plus délicat.

  2. nb : j’ai écrit imaginer et non croire.

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