Billet invité.
REALITES ACCABLANTES ET POSTURES DERISOIRES
Comment cette affaire des stress tests européens, bien mal engagée, va-t-elle bien pouvoir rebondir ? De nombreux commentateurs ont relevé, depuis l’annonce initiale de ceux-ci par le FMI, puis suite aux précisions apportées par le comité européen des superviseurs bancaires (CEBS), particulièrement prudentes et pesées, qu’il était parfaitement contradictoire de prétendre susciter le retour de la confiance dans les banques et de garder secret le résultat de ces tests.
Cela n’a pas empêché que de nouvelles réactions très restrictives soient enregistrées, après celle de Christine Lagarde, ministre française de l’économie, qui avait ouvert le feu en déclarant que les ministres européens avaient « pris acte » de l’initiative du CEBS, laissant entendre qu’ils n’étaient pas vraiment d’accord avec celle-ci. Des sources non identifiées, citées par les agences de presse, ont pourtant affirmé que les ministres en question s’étaient bien mis d’accord entre eux à ce sujet. C’est Peer Steinbrück, le ministre allemand des Finances, qui a pris le relais en se montrant dans ses commentaires particulièrement sceptique sur l’intérêt des tests, souhaitant visiblement que cette affaire soit enterrée, et, en tout état de cause, qu’elle reste des plus confidentielles et n’identifie nommément aucune banque. Afin, d’éviter ce qu’il a qualifié d’« effets pro-cycliques négatifs », contribuant à aggraver la situation des banques si celle-ci venait à être connue. Ce qui est déjà, en soi, l’aveu implicite qu’il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas rendre public.
Les noms des plus grandes banques européennes circulent, sans que leur liste ne puisse susciter une quelconque surprise, quant à l’échantillon qui ferait l’objet des tests. Il est aussi précisé que les paramètres de crise qui seraient utilisés pour mesurer la résistance des banques seraient fournis par la BCE. On attend avec intérêt, à ce propos, les prévisions de celle-ci concernant la croissance économique européenne (ou plutôt l’étendue de la dépression), qui devraient être publiées début juin. Jean-Claude Trichet, son président, a déjà annoncé que ses précédentes prévisions – une chute du PIB de la zone euro de 4% en 2009 – seraient révisées en forte baisse. Est-ce que cela peut laisser espérer que, contrairement à ce que les Américains ont adopté comme ligne de conduite pour leurs propres tests, les paramètres de crise qui seront retenus seront bien en ligne avec le sombre consensus des experts ? Il faudra, pour que nous le sachions, que ces paramètres soient rendus publics, cela n’en prend pas exactement le chemin.
Quoiqu’il advienne de ce projet, les autorités allemandes poursuivent la mise au point de leur propre dispositif, sans plus attendre. Sans rendre nécessairement publics ses détails les plus scabreux, permettant notamment d’évaluer la charge financière que les contribuables allemands pourraient finalement avoir à supporter. Nous avons acheté du temps, ont-ils reconnu, mais sans dire avec l’argent de qui. Un deuxième volet est annoncé, plus complexe car il va induire une restructuration en profondeur du réseau des banques régionales allemandes, depuis longtemps considérée comme nécessaire, mais qu’il est impossible d’engager pour des raisons politiques. Leur crise financière aigue aidant, cela ne peut plus être évité. Les Landesbanken pourront, selon des modalités encore inconnues, se débarrasser de leurs actifs toxiques, mais elles devront en contrepartie se délester de certaines de leurs activités, encore non identifiées, et procéder à une « consolidation » (une concentration).
En Belgique, sans attendre non plus, la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA), le régulateur, a annoncé vouloir engager des « ratio stress tests », afin d’« observer la position de liquidité des établissements financiers » et de déterminer si elle « est suffisamment solide pour résister à l’impact de circonstances exceptionnelles ». Il ne s’agira donc pas de mesurer ni les risques de crédit des banques, ni leurs éventuels besoins en capitaux propres. Les résultats des tests, qui n’identifieront pas les banques, pourraient cependant être publiés. Il faut dire que le sauvetage en cours de KBC, le bancassureur belge, est inquiétant par son ampleur, d’autant qu’il a déjà été renfloué par l’Etat à deux reprises, qui a dû déjà secourir Dexia et Fortis. Une perte nette de 3,6 milliards au premier trimestre 2009 a été aujourd’hui annoncée par KBC, qui pourrait amener l’Etat à apporter en capital 2 milliards d’euros, et à en devenir ainsi actionnaire à hauteur de 28%.
Sur le front économique européen, les nouvelles ne sont pas spécialement plus réjouissantes. On ne parle plus du tout des fameuses « pousses vertes », qui avaient traversé l’Atlantique, et que certains disaient apercevoir. Les discours se font plus circonspects. « Il serait extrêmement imprudent de prétendre savoir de quoi le futur est fait », a déclaré Mervyn King, le gouverneur de la Bank of England, à l’occasion d’une conférence de presse hier mercredi. Pour tout pronostic, il a ajouté : « Il y a un équilibre des risques et nous estimons qu’il y a de solides raisons pour croire qu’il y aura une reprise de l’économie dans l’année qui suit, mais aussi de bonnes raisons de s’interroger sur la pérennité de celle-ci ». Une contraction de l’ordre de 6% du PIB est en effet attendue, de mi-2008 à mi-2009.
En Espagne, en variation annuelle, le PIB a reculé de 2,9% en variation annuelle au premier trimestre par rapport à la même période de 2008. L’éclatement de la bulle immobilière, ainsi que les effets de la crise financière internationale, ont crée plus de 4 millions de chômeurs ; le taux du chômage a atteint 17,36%, un chiffre record, avec plus de 4 millions de chômeurs au premier trimestre. La consommation chute en conséquence.
Ces deux indices, le taux du chômage et celui du niveau de la consommation des particuliers, sont en passe de devenir les principaux critères d’évaluation de la situation, tellement ils sont devenus détestables dans certains pays, détrônant les classiques indices boursiers qui, au fil des ans, étaient devenus les indicateurs reconnus et quasi exclusifs de la situation de l’économie.
Ainsi, le 2 mai dernier, aux Etats-Unis, le nombre de chômeurs indemnisés était de six millions et demi, en augmentation de 3,2% en une seule semaine. Le taux de chômage a atteint 8,9% en avril et devrait continuer à croître tout au long de cette année, reconnaissent la Maison Blanche et la Fed. Cela a bien été le cas cette dernière semaine. Ces chiffres coupent court aux spéculations qui fleurissaient à propos des fameuses « pousses vertes », confondant, encore et toujours, envolées boursières et réalité de la situation économique. D’autant que, d’après le département du commerce américain, le commerce de détail aurait reculé de 0,4% en avril, après l’avoir fait de 1,3% en mars dernier. La crise du crédit à la consommation des cartes de crédit, additionnée à la vague en cours de nouvelles expulsions immobilières, tout contribue à rendre la situation sociale américaine de plus en plus difficile.
Cela rend encore plus dérisoire les dernières déclarations de Timothy Geithner, secrétaire au Trésor, devant une assemblée de banquiers à New York, hier mercredi, estimant qu’ « une part considérable du processus d’ajustement est maintenant derrière nous ». Tout en reconnaissant que « … le secteur financier dans son ensemble fait encore face à d’autres restructurations à venir », sans plus de précisions.
14 réponses à “L’actualité de la crise : Réalités accablantes et postures dérisoires, par François Leclerc”
ACTUALISATION
L’enquête mensuelle de conjonture du Wall Street Journal, publiée aujourd’hui, a été réalisée avant que ne soient connus les derniers mauvais chiffres du chômage et de la vente au détail. Il en ressort néanmoins que la majorité des 52 économistes interrogés estiment à trois ou quatre ans le temps nécessaire au rétablissement de l’économie américaine, afin qu’elle retrouve son niveau d’activité d’avant décembre 2007. Ce que l’on peut traduire, en réalité, par : « ce ne sera pas demain, ni après-demain ». Un quart d’entre eux est encore moins optimiste et considère que cinq à six ans seront nécessaires.
Ces mêmes économistes estiment toutefois que la récession devrait s’achever en août prochain, confirmant les récentes déclarations de Ben Bernanke, président de la Fed, qui avait pour sa part parlé de la fin de l’année, mais ajoutant également que la reprise serait lente. Tout comme Ben Bernanke, les économistes interrogés estiment que le chômage va continuer de monter, en dépit du retour d’une faible croissance. le taux de chômage devrait atteindre 9,7% à la fin de l’année.
40% d’entre eux estiment que le gouvernement et la Fed ne pourront pas abandonner leur stratégie de soutien à l’économie sans « affecter fondamentalement » la compétitivité du secteur privé. Si 44% pensent qu’un désengagement des pouvoirs publics est possible, il ne pourra pas intervenir avant « des années ». En d’autres termes, l’économie américaine va devoir rester pendant toute une période sous la tente à oxygène.
Tout ça est complètement surréaliste. Parce que, si on résume brutalement ce que ces « économistes » disent, c’est que l’économie US ne peut fonctionner normalement QUE sous la tente à oxygène d’un crédit massif.
Que ce crédit soit fourni par un secteur financier hypertrophié (avant la crise) pour être, ensuite, fourni tout aussi massivement par un Etat & une FED US massivement endettés, ne change pas grand-chose au constat. On a juste rajouté un intermédiaire dans le cycle et réduit un peu celui du secteur financier.
A la limite, l’obstination des américains à se fourrer la tête dans le sable et à repousser les échéances de crise en crise ne me dérangerait pas plus que ça. Si le suicide collectif les tente, ça les regarde. Je les y encourage, même.
Mais, l’ennui, c’est que leur influence sur le système économique & financier mondial est toujours telle, qu’ils bloquent toute recherche d’autres solutions partout ailleurs. Nous obligeant à les suivre dans le gouffre. Ça, c’est vraiment insupportable.
Tiens, ça me rappelle la fin d’un de mes classiques de SF. On y voit un vieil homme et son fils, parcourant les falaises de l’extrémité atlantique de l’Irlande. Tout à coup, le fils demande à son père « papa, c’est quoi, cette odeur étrange? ». Le père de répondre « ah? Ca? Ce n’est rien, mon fils, c’est l’Amérique qui brûle ».
Après le chômage,
(en France,
le décompte des chômeurs est ce qu’il est
l’indemnisation est et proportionnelle et au temps de la dernière embauche,
-un problème pour les jeunes , ultrasaisonniers, hyperintermittants,… autre droit à quasi rien sinon rien…-
sur un maximum de 2 ans ?,
et calculé en paramètre du salaire
-un problème pour …., …-
ailleurs qu’en France, ??? )
le retour à prévoir en décalé sur les fonds de pensions
(en France
la sécu agonise à petit feu sous les réformes, -les jeunes en majorité n’auront pas de retraite, déjà …. –
mais en attendant, au jour le jour, avant de vaciller, la retraite par répartition : ça marche encore ….
ailleurs qu’en France ??? )
L’inertie de la France (son retard, ses tares, ou peut-être celles même de l’Europe, puisque ne dit-on point la vieille Europe) me semblerait favorable qu’en à l’amortissement de la chutte
finalement, ce n’est plus une démocratie.
Nous sommes dans un gouvernement du peuple par l’oligarchie pour l’oligarchie.
Hum, hum….on n’a déjà connu çà non?
va-t-il falloir affuter les faux …… s’en servir….pour connaître le vrai?
@Champignac
Je doute que vous puissiez séparer « eux » et « nous » en matière de finances. Ou alors vous faites ceci pour vous rassurer. La ligne de clivage n’est pas forcement là. La finances à ses raisons que la raison ignore, et il faudrait plutôt parler de déraisons, et là… vous avez raison.
Le monde a une limite. « Relancer pas la croissance », causez, jacassez toujours des deux côtés de l’atlantique, mais en réalité, si vous voulez améliorer quoique ce soit, on doit redistribuer les richesses, ce qui permettrait à certains de vivre alors qu’ils ont de plus en plus de mal ( je ne parle pas des morts en sursis du Sud ), et permettrait aux autres qui ont tant de fortune, de s’arrêter de faire n’importe quoi quand ils l’ont dans les pattes.
Bien sûr, si on rêgle le problème d’apport d’énergie, avec une diffusion quasi infinie d’ici demain matin, le problème devient autre chose, et tout le monde, absolument tout le monde peut devenir plus riches, bien qu’on en trouvera toujours certains persuadés qu’ils méritent de le devenir plus que les autres … et en particulier des 2 côtés qui se font face sur l’atlantique …
Juste une remarque en passant : dans ce contexte on doit écrire « Quoi qu’il advienne » et non « Quoiqu’il advienne ».
Le premier traduit l’indépendance par rapport à ce qui adviendra, le second – synonyme de « Bien qu’il advienne » – traduit une opposition (avec rien dans le cas précis).
Rien de personnel, François. J’apprécie à 2000 % vos analyses et votre style… 🙂
@ Candide
Et dire que Paul Jorion pêche déjà ce qu’il appelle « mes gros poissons »! Je ne parviens pas à me corriger sur écran. Merci.
Tristement vrai. L’histoire a tendance à se répéter, même dans ses bafouillages et ses hoquets les plus pathétiques.
Je sais à quel point c’est difficile, François. Surtout sous la pression des événements et du désir d’informer rapidement. Mais de toute façon c’est le fond qui est le plus important, et l’apport de vos synthèses, comme celles de Paul, est pour nous tous d’une valeur inestimable.
Merci, un million de fois merci. (Et c’est encore bien peu.)
Cette crise qu’est-ce, sinon une invitation, à revoir nos valeurs sociétales ?
Pendant quelques années on a cru qu’il était possible de vivre avec deux rois pour gouverner : le politique et l’économique.
Pendant des années il fut commode d’acheter les politiques car le si le Roi règne il ne gouverne pas.
Le modèle ayant trouvé ses limites on en arrive à un retour du politique.
Désormais, à nouveau le politique va pleinement sortir ses effets.
Qu’on applaudisse ou que l’on déplore, là n’est pas le question.
@ EOMENOS
Dans 15 ans, vouliez-vous ajouter?
Je ne sens pas bien le renaissance du politique. Nos économies s’effondrent, les dettes explosent et nos chers peuples européens vont réélire les mêmes faiseurs de prospérité (UMP, CDU…). Plus belle la vie?
Bonne journée.
@ François Leclerc
des news peut-être un peu trop positives – comparées au reste – mais en provenance de l’économie réelle
BALTIC DRY INDEX (index non soumis à spéculation qui calcule le coût – et donc le volume – du freight maritime des matières premières et denrées non transformées)
mai 08 14000
décembre 663
mars 2298
avril 1463
aujourd’hui 2432
le BDI a donc quadruplé depuis son plus bas de décembre 2008.
il rejoint son niveau moyen des années 1986-2003 et 2005-2006.
le pic de 14000 est donc très largement exceptionnel: seules 2004, 2007 et 2008 se sont entièrement situées au-dessus du niveau d’aujourd’hui
si cet index ne triche pas… (il paraît que non) alors cela bouge mieux sur les mers
par ailleurs, l’indice BDI dessine le futur (proche), contrairement aux autres stats qui photographient le passé, même récent
http://www.wikinvest.com/stock/Baltic_Dry_Index_-_BDI_(BALDRY)
@ Phil
Merci de ces données. Parmi tous les indices disponibles, le BDI est en effet reconnu de manière générale comme significatif de l’évolution de l’activité économique, l’accroissement du transport des matières premières (séches, d’où son nom « dry ») est considéré comme annonciateur d’une reprise de la production. Et vice versa.
Toutefois, comment interpréter vos données ? Cette reprise du trafic maritime est-elle le signe du redémarrage du commerce mondial, ou un simple rebond technique dû à la baisse des stocks découlant de la contraction des échanges mondiaux ? Les spécialistes, dont je ne suis pas, s’interrogent semble-t-til à ce propos. Les données relatifs à cette contraction sont par ailleurs indéniables, même si, je vous l’accorde, elles ne font que constater l’existant et ne permettent pas en soi de prévoir l’avenir.
J’ai lu quelque part,(mais où ?) que la reprise du fret était directement lié à l’achat massif par la Chine de biens réels – minerais, ferrailles, etc..- . Si cela est exact alors ils sont en train de se débarrasser discrètement de leurs dollars. Il semblerait qu’ils n’achètent plus de bons US, sauf à renouveler les bons à échéances.
Pour le chômage aux USA, U3 est bien à =9% mais U6 est à =16%, et shadowstats donne son propre indice à =20%.. Les 3 vont dans le mème sens, mais les conséquences politiques, sociales et sur la consommation ne sont pas les mèmes. A 20% ceux qui ne sont pas encore chômeurs ou rentiers de fait ne peuvent plus avoir qu’une seule priorité: acheter de la sécurité, donc épargner.
http://www.shadowstats.com/alternate_data – l’aspect des courbes, y compris U3 vaut d’être vu.
3 liens qui peuvent vous intéresser:
http://globaleconomicanalysis.blogspot.com/2009/02/fiat-world-mathematical-model.html – sur la monnaie
http://globaleconomicanalysis.blogspot.com/2009/05/wholesale-prices-post-largest-12-month.html – sur the Producer Price Indexes For April 2009.
http://globaleconomicanalysis.blogspot.com/2009/05/nonexistent-pre-recovery-in.html – sur la « Pré-reprise aux USA »