Billet invité
Demander leur aide aux pays émergents, Chine en tête, est un symbole fort des nouveaux rapports de force mondiaux. En procédant ainsi, les dirigeants européens viennent de mettre en évidence qu’ils n’ont pas les moyens de refinancer l’endettement de l’Europe, puisque c’est la stratégie qu’ils poursuivent envers et contre tout.
Quand certains d’entre eux récusent cette voie, c’est pour se réfugier dans une autre fuite en avant, en préconisant que la BCE éponge la dette en créant de la monnaie, afin que tout puisse repartir comme si de rien n’était, à des aménagements mineurs près.
Or, la planète n’a pas changé d’axe, mais le monde si ! Les pays de l’OCDE doivent céder le pas devant de nouvelles puissances économiques, qui disposent des moyens financiers allant de pair. Cette nouvelle donne est issue du processus de mondialisation, qui a redistribué les cartes, dont on n’a vu que les délocalisations, puis l’invasion de produits venus d’ailleurs. Le monde pivote pour de bon et il faut désormais résoudre une nouvelle équation.
Epuisé pour avoir été trop exploité, le vieux monde cède maintenant le pas devant un nouveau monde qui s’impose irrésistiblement. Pour le système financier, c’est un nouvel eldorado en puissance, où il va pouvoir reproduire les recettes qui ont fait sa fortune après avoir entraîné la désolation sur ses anciens terrains de jeu. D’Occident, cet inacceptable renversement de situation pourrait apparaître comme le match retour d’une exploitation coloniale qui a fait la fortune de ceux qui en ont été les maîtres, si cet épisode n’était pas oublié.
La tentation du déni est grande, comme toujours lorsque la peur est grande. Ainsi que celle du repli, qui l’accompagne. Accompagnée de fortes réactions de rejet, telles qu’on les observe en Allemagne par rapport aux Grecs. Elle évite de se confronter à la seule problématique qui vaille, celle d’une autre mondialisation ayant pour objectif de mieux répartir la richesse, à la fois sur la planète et au sein des sociétés qui l’habitent. Les deux échelles vont en effet de pair, imposant si l’on prétend régler l’une de s’attaquer à l’autre ; de définir de nouveaux modèles de développement globaux, intégrant tout à la fois les besoins économiques, sociaux et environnementaux.
Une telle démarche est constitutive du nouveau paradigme qui progressivement se dessine. Mais il n’est pas surprenant, étant donné les mises à plat et remises en cause qu’elle implique, que les héritiers de la social-démocratie historique ne la partagent pas, puisqu’il ne s’agirait plus de mieux gérer un système mais de le transformer. Ils négligent l’étroitesse de leur marge de manœuvre, singulièrement réduite en situation de crise durable, font abusivement confiance à leurs capacités de gestionnaires, et préparent la désillusion.
La période où des pays pouvaient symboliser un avenir radieux est révolue : il n’y a plus de patrie d’un socialisme qui n’a pas rempli ses promesses tandis que les Etats-Unis connaissent le déclin, le miracle américain ne faisant plus recette. L’Union européenne a pu un temps cristalliser des aspirations, mais elle n’en est plus capable dans ses soubresauts actuels. S’impose progressivement, comme un repoussoir, l’image d’un pouvoir oligarchique, transnational, qui non seulement dispose des leviers de commande mais est désormais assis sur la colossale finance grise du shadow banking. Sommaire, cette vision est aussi désarmante, car comment lutter contre l’insaisissable ?
La première réponse est qu’il faut connaître ce système davantage afin de mieux le décrypter. La seconde est qu’il faut lui opposer une alternative qui est en premier lieu programmatique. Puisqu’un grand saut doit être effectué, le système étant en train d’imploser sous nos yeux, sur quels principes fondateurs peut reposer une alternative ? A quelles aspirations doit-il être répondu et comment ? L’exercice réclame de sortir des sentiers battus et de ne pas s’enfermer dans un réalisme qui se trouve dans l’impasse et procède du manque d’ouverture d’esprit quand ce n’est pas de l’imposture. Mais au contraire d’affronter le vent du large.
La crise a ceci de positif qu’elle met à nu des mécanismes qui étaient ignorés, qu’elle dévoile une réalité auparavant dissimulée. Dans quelque domaine que l’on étudie un peu, y compris les plus vitaux comme ceux de l’alimentation et de la santé, on observe et comprend que les objectifs poursuivis répondent souvent à des critères qui nous sont pour le coup étrangers. Quant à l’activité financière, qui domine toutes les autres, elle apparaît désormais pour ce qu’elle est : fondamentalement parasitaire.
Dans tous ces domaines, et dans d’autres encore, des analyses et des réflexions sont en cours, des expériences sont tentées, de nouvelles pratiques sociales se dessinent. Aujourd’hui, le choix est de savoir de quel côté on se situe : de ce côté-ci ou de celui de ceux qui ont comme horizon borné de redémarrer la machine à décerveler, en limitant si possible ce que l’on appelle le coût social, celui-là même qui devrait plus que tout autre être considéré.
205 réponses à “L’actualité de la crise : ILS MARCHENT SUR LA TÊTE, par François Leclerc”
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Juste une remarque…
La production de ce blog est devenu si grande que l’on est relaye aux archives en quelques jours…