C’est la zone euro qu’on assassine.
Si la décision de l’Union européenne, le 18 octobre, d’interdire certaines formes de CDS (credit default swaps) est entérinée en novembre par un vote, une des nuisances de ce produit dérivé aura peut-être été éliminée en Europe. Mais toutes les difficultés liées au CDS auront-elles été résolues pour autant ?
Un CDS contracté par un acheteur de dette souveraine lui permet de se protéger contre le défaut de l’Etat émetteur, le remboursement de la perte subie lui étant garantie par le vendeur du CDS.
Jusqu’ici, le contrat n’était pas offert seulement aux souscripteurs de dette souveraine, effectivement exposés à un risque, mais aussi au tout-venant qui s’assure alors sur un actif qu’il n’a pas, en pariant sur le défaut du pays émetteur en vue d’un gain (qu’on appelle position « à nu »). C’est ce cas de figure qu’interdirait Bruxelles.
Mais les CDS posent un autre problème. Le montant de la prime (ou spread) exigée par « l’assureur » est déterminé, comme pour toute assurance, par deux facteurs : la probabilité du sinistre et son montant éventuel.
Dans le cas d’un bon ou d’une obligation du Trésor, le montant du sinistre est la part du prêt qui ne sera pas remboursée en cas de défaut.
La probabilité du défaut, elle, est calculée à partir de données historiques. Du fait que la probabilité de défaut est un des facteurs qui déterminent le montant de la prime du CDS, il est possible, inversement, de calculer cette probabilité à partir du montant de la prime, à taux de recouvrement donné.
Options, Futures and Other Derivative Securities (1989), de John Hull, est l’ouvrage de référence sur les produits dérivés. En 2004, John Hull a cosigné avec Mirela Predescu et Alan White, un article intitulé « Bond Prices, Default Probabilities and Risk Premiums », dont la première phrase est ainsi rédigée : « Un des traits des marchés du crédit est la différence importante entre les probabilités de défaut calculées à partir de données historiques et celles implicites aux prix des obligations (ou des CDS) », les premières étant bien plus faibles que les secondes.
Pourquoi cette différence ? L’article propose une hypothèse : « Dans la pratique, il semblerait que les traders attribuent à des scénarios de dépression des probabilités positives subjectives bien plus sévères que celles observées depuis 1970. »
Si le taux estimé de recouvrement de la dette de pays comme la Grèce est fondé sur des données objectives, comme la dette publique, le déficit et le taux de croissance, le second facteur (la probabilité de défaut) serait, lui, fixé subjectivement.
Or, c’est en combinant ces deux chiffres qu’est évaluée la « prime de risque » incluse dans les taux exigés des pays émetteurs : 74 % en ce moment pour les emprunts grecs à deux ans ! Est-il juste de laisser assassiner la zone euro par des évaluations « subjectives » ?
81 réponses à “LE MONDE-ÉCONOMIE, C’est la zone euro qu’on assassine, lundi 24 – mardi 25 octobre 2011”
A propos de la catastrophe prévisible des CDS
@ Alain Loreal
Un grand merci pour votre traduction de l’article de Michael Snyder et vos explications et définitions extrêmement claires , tout à fait indispensables aux nouveaux lecteurs de ce blog qui n’ont pas reçu, dans leur cursus scolaire et universitaire, un seul cours d’initiation aux questions économiques et financières
http://demetentreprises.wordpress.com/2011/10/22/la-crise-a-venir-des-produits-financiers-derives-pourrait-detruire-le-systeme-financier-mondial-entier/
@ Thom Bilalong
Votre critique de l’article traduit par Alain Loréal
Pour la forme, vous reprochez à Alain Loreal que sa traduction soit trop littérale, c’est à dire de trop coller au texte original . Or, dans ce domaine où il vaut mieux ne pas s’éloigner du texte original au risque de le trahir , cela nous rend cette traduction d’autant plus fiable, non ?
Quant au contenu, il ne suffit pas de dire que les chiffres avancés par M. Snyder et son traducteur ont été démentis sans nous donner . vos chiffres et en indiquer la source .
Quelle que soit la tendance du journal d’où est extrait cet article, la profane que je suis en conclut que nous sommes dans un monde de folie financière où les paris sur du virtuel ont pris plus d’importance que la valeur des produits réels . Bref, l’ensemble des paris serait d’une valeur financière totale de presque trois fois le PIB mondial et, à la moindre pichenette, à la moindre prise de conscience, ce casino absurde pourrait s’écrouler, entraînant dans sa chute le système financier mondial tout entier .
@ Mianne,
Merci pour les encouragements.
Corrections effectuées.
Alain
Les CDS sur les obligs grecques ne seront pas activés.
Car on demande aux banques détentrices de ces obligs une décote volontaires.
Donc si c’est volontairement consentis, pas d’obligation de faire jouer les CDS.
Les contribuables joueront ce rôle.
c’est tout de même une avancée que la City et Wall Street vont avoir du mal à avaler si elle passe en l’état …!
sans trop d’amendement donc ..!
Bonjour, Mr Jorion, ce sont nos politiques et nos politicards qui sont des entités « subjectives »……… Salute fil.
Paul Jorion,
Ce que vous denoncez dans votre article me parait être une bonne illustration :de « La politique des choses », un ouvrage récent de Jean-Claude Milner: « (…) le gouvernement est décidément une affaire trop sérieuse pour le confier aux êtres parlants. Mieux vaudrait le confier aux choses. Elles se gouvernent toutes seules ; pourquoi ne gouverneraient -elles pas les hommes (les nations)? Le politique le plus sage serait alors celui qui explique ce que veulent les choses ; l’expert le plus sérieux se bornerait à traduire ce qu’elles disent ; la stratégie la plus prometteuse se donnerait pour programme la transformation acceptée des hommes(des nations) en chose. L’évaluation trouve là son lieu. A chaque étape elle met en place les procédures les plus efficaces pour que s’établisse l’absolu gouvernement des choses. (…) » (j’ai mis entre parenthèses « nations » puisqu’il est question de la Grèce, entre autres).
Vous écrivez « La probabilité du défaut, elle, est calculée à partir de données historiques. Du fait que la probabilité de défaut est un des facteurs qui déterminent le montant de la prime du CDS, il est possible, inversement, de calculer cette probabilité à partir du montant de la prime, à taux de recouvrement donné » , et plus loin, « Si le taux estimé de recouvrement de la dette de pays comme la Grèce est fondé sur des données objectives, comme la dette publique, le déficit et le taux de croissance, le second facteur (la probabilité de défaut) serait, lui, fixé subjectivement« .
Si je vous ai bien compris, les agences de notation se refusent à évaluer la probabilité du défaut à partir de données historiques, car trop subjectif (« humain, trop humain »). Mais comme elles sont obligées de tenir compte de cette donnée (la probabilité du défaut), elle se rabattent (et rabattent l’évaluation subjectice qu’elles se refusent de faire) sur ces « choses » objectives (des chiffres!) que sont la dette publique, le déficit et le taux de croissance.
à propos des « probabilités » subjectives, forcément subjectives, l’avis d’un maître en la matière :
Bruno de Finetti
http://lexiconangel.blogspot.com/2011/09/le-pays-enchante-ou-fleurit.html