Billet invité
LA CAUSE DES BANQUES
La cause est entendue, si elle n’est pas publiquement admise. C’est sur fonds publics que tous les gouvernements essayent de renflouer leurs systèmes bancaires, exonérant pour l’essentiel les responsables de la déconfiture financière, essayant de ne pas faire trop de vagues, sans parvenir à ce jour à leur fin. Sans savoir même s’ils y parviendront, quand et comment. Attendant Dieu sait quel miracle, ils bricolent dans l’improvisation et l’urgence des mesures de soutien à l’économie et raclent à cet effet leurs fonds de tiroir, sans plus de succès d’ailleurs. Des voix des plus autorisées commencent à s’élever pour craindre qu’il ne soit pas sûr que le pire est derrière nous.
Peut-être serait-il temps de se demander, afin de parler sérieusement, où va bien pouvoir se manifester cette relance dont tout le monde déclare voir au lointain les signes avant-coureurs, dans l’espoir de faire patienter, sans trop se demander par quel mécanisme (ou par quelle magie) elle va pouvoir intervenir ? En réalité, tous les grands pays occidentaux connaissent, à un degré ou à un autre, une récession prolongée et le seul espoir crédible consiste, au mieux, en une stabilisation possible de la situation économique. C’est-à-dire à une poursuite durable de la récession. Mais comment l’avouer, comment l’admettre, comment y faire face ?
La crise financière, irrésolue, fait résolument obstacle à la relance économique. Combien de temps faudra-t-il pour que d’une manière ou d’une autre le bouchon saute ? Sans que la manière en soit alors innocente, car elle ne le sera pas. Il faudra payer, dans une monnaie ou dans une autre.
Dans ces conditions, le miracle d’une relance pourrait-elle venir des Etats-Unis, dont on a toujours dit qu’ils tiraient la croissance mondiale ? Il faudrait pour cela que soit relancée la machine à fabriquer l’endettement des particuliers, pour que la consommation, moteur de la croissance américaine, puisse reprendre. La machinerie financière prétend certes avoir retrouvé sa bonne santé, mais cela ne convainc pas, tant l’opacité continue de régner de manière flagrante sur ses comptes. Et puis, il ne suffirait pas de relancer le crédit, il faudrait également que la solvabilité des emprunteurs soit rétablie, c’est-à-dire que l’économie soit elle-même relancée. Un problème classique d’œuf et de poule.
Alors, les regards se tournent vers la Chine, le deuxième partenaire de ce « G2 » auquel tout le monde accorde un rôle majeur dans le proche avenir. Mais est-il vraisemblable que celle-ci puisse, en si peu de temps, réorienter les bases mêmes de sa croissance, pour s’appuyer désormais sur celle de son marché intérieur ? Supposant une importante réorganisation de son appareil de production, qui était largement orienté vers les marchés extérieurs, et impliquant également que les chinois cessent d’épargner pour se mettre à consommer, à la faveur de la mise en place d’un système public de santé, qui ne va pas se construire en deux coups de baguette. Peu probable, tout du moins dans les délais dont on nous parle.
L’Europe pourrait-elle être la candidate de dernier recours à ce rôle ? Elle, dont le FMI considère que son système financier va encore devoir faire face à une très lourde charge de dépréciations, et qui est pénalisée par l’absence d’une politique commune de relance ainsi que par les limites de la construction européenne ? Elle, qui porte le boulet de la crise des pays de l’Europe de l’Est, mais aussi celui de la Grande-Bretagne, la grande malade avec l’Espagne, pour s’être tous deux intensivement prêtées aux mirages du capitalisme financier dérégulé ? La vieille Europe résiste comme elle peut, mais il ne faut pas lui en demander davantage.
Où que l’on se tourne, un retour même timide de la croissance n’est pas au rendez-vous, alors que le financement des plans de relance économiques (que l’on ferait mieux de qualifier tout simplement de plans de sauvetage), qui vont devoir immanquablement se succéder, suscite des interrogations de plus en plus prononcées pour l’avenir.
Les pays émergents, qui bénéficient d’excédents abondants, n’envisagent pas de les mettre à disposition des organisations internationales, sans contre parties politiques et sans garanties. Les Américains, qui bloquent les réformes en profondeur de ces mêmes organisations, récoltent ainsi ce qu’ils continuent de semer. A part les Etats-Unis, aucun pays n’envisage de s’appuyer sur une politique de création monétaire intensive, même s’il faudra bien s’y résoudre tôt ou tard. Alors que les banques centrales, dont les bilans gonflent démesurément, commencent à s’inquiéter de la qualité des contreparties que les banques leur fournissent. Le marché obligataire de la dette publique, enfin, objet de toutes les convoitises, n’est pas extensible et les experts avisés calculent déjà qu’il ne saurait répondre à toutes les sollicitations à venir. Et que le FMI, chargé d’une mission internationale de secours tout azimut, n’aura jamais les moyens de faire face à toutes les demandes d’aide financière, d’autant qu’il peine à boucler le budget que lui a alloué le dernier G20 de Londres.
Il y a pire encore que la description de ce panorama déjà peu réjouissant. Il est clairement apparu que la manière dont les banques essayent de « réparer » leurs dégâts est porteuse de nouveaux dérèglements, de nouvelles fragilités, dans une espèce de fuite en avant, sans décidemment aucun substitut d’envisageable. On a dit qu’une nouvelle bulle était en préparation, celle de la dette publique, mais c’est sans compter avec celle de la dette privée, qui est en train de se reconstituer, sous de nouvelles auspices, au fur et à mesure qu’elle se dégonfle par ailleurs, sous les anciennes. C’est avec peu ou prou les mêmes mécanismes que ceux qui ont suscité la crise au sein de laquelle nous nous trouvons que l’on essaye d’en préparer la sortie. Voilà le plus accablant des constats que l’on peut faire aujourd’hui.
Nous sommes entrés dans l’acte II de la crise, écrivais-je il y a quelque temps. En me demandant quel nouveau discours les politiques allaient bien pouvoir tenir, une fois épuisé celui sur la relance prochaine, pour demain ou bien après-demain. Avec la pandémie de la grippe porcine actuelle, montée convenablement en épingle, ils ont trouvé quelques répits. Une frayeur chasse l’autre, une crise en masque une autre. L’époque semble avoir besoin, expression de sa névrose anxiogène collective, de ces grandes peurs largement irrationnelles qu’elle contribue à fabriquer, et qui sont désormais mondiales, comme le reste. Tous les corps institutionnels y contribuent, y trouvant leur pitance et leur raison d’être. Fabriquant une diversion, certes, mais qui sera de courte durée.
La crise, la vraie, reprendra vite ses droits.
50 réponses à “L’actualité de la crise : La cause des banques, par François Leclerc”
@ Johannes F.
Ne nous égarons pas. Je vous respecte beaucoup mais ne partage absolument pas l’idée de monnaie fondante et ceci pour diverses raisons que j’évoque ci-dessous.
J’aime faire assez court, un ton polémique enlevé y contribue (alors c’est les autres qui s’étendent…)
Excusez-moi si au délà du débat d’idées je vous ai blessé.
Ceci étant je maintien que la monnaie flottante est une idée absurde.
1°) La monnaie au sens papier qu’on échange ne représente qu’une part infime des transactions.
Je rigole déjà d’imaginer les cartes bleues fondre dans les porte-feuille. Je sais que de temps à autre nos épouses aiment les
faire chauffer mais tout de même…
Depuis de nombreuses années la « monnaie plastique » et/ou informatisée règne de manière significative.
En France, les transactions pour les français sont limitées à 3.000 € en cash, en Belgique, pour tous, à 15.000 €.
2°) Vous précisez qu’il faut une série de condiitions pour que çà fonctionne….
3°) Qu’elle est douce et apolitique, la merveilleuse mécanique par laquelle les banques se transforment en glaciers puisque
l’argent cesse d’y fondre.
A propos de glace, à votre avis, qui a perdu la boule ?
@ johannes
Je n’arrive pas à comprendre l’intérêt d’une monnaie fondante en plus de l’utopie de son application.
Si j’étais RICHE, effectivement je pourrais attendre avec mon magot, mais je ne le garderai pas en monnaie, à la rigueur j’achèterai un peu d’or à placer dans un coffre, mais surtout j’investirai dans des immeubles locatifs ou pas, dans de la terre à louer ou pas et dans des forêts; j’ai en mémoire deux exemples récents
1)- celui de M. de Castre, PDG d’Axa, qui en plus de son château, vient d’acheter près de La Flèche dans la Sarthe, un petit manoir du XV siècle à restaurer avec 400 ha de terres et bois, les travaux sont en court pour un certain temps…..
2) – celui de Michel Drucker, épinglé par le Canard Echaîné, qui investit dans une deuxième ou troisième villa dans les Alpilles, ses gros revenus lui permettent…..
En quoi l’ instauration d’une monnaie fondante aurait changé la donne ?
Peut être que je n’ai pas tout compris.
@ ton vieux copain Michel
Super la manip de Morgan Stanley!….Ils sont malins ces Banquiers….
@johannes finckh
Merci de votre lecture et puisque vous m’avez interpellé, je tente une petite réponse sur votre monnaie fondante, sachant que mon intérêt pour le concept de monnaie ne date que de quelques mois, à vrai dire au visionnage de la vidéo de P. Grignon que j’avais intuitivement trouvé très caricaturale, voire assez scandaleuse. Après reflexion mon intuition s’en est trouvé confortée, même si tout n’était pas faux (quelques mauvaises questions étaient posées dans un sens très orienté c’est à dire absence de démarche accompagnée par un minimum de doute, fondant une approche -non pas scientifique, c’est un domaine trop mouvant- mais au minimum « honnête »)
Votre monnaie fondante répond à l’objectif de circulation, problème spécifique à une situation de crise.
Même en admettant que cela puisse fonctionner, vous ne ‘pensez’ cette monnaie que par rapport à un contexte précis, or la crise est une situation anomale, même si elle est cyclique.
Je dis ‘même en admettant’ car en fin de compte rien ne dis que même fondante la monnaie ne serait pas, en temps de crise, donc en temps de destruction de la valeur des actifs, un refuge dans la mesure où la fonte des actif serait plus rapide que celle de la monnaie ?
De plus, comme vous le savez, malgré l’endettement prodigieux de tous les agents économiques, les liquidités sont bien là , en grandes quantités, attendant sagement que la déflation des actifs ait atteint son terme , pour se repositionner sur les actifs sains. Et alors là, il n’y aura plus besoin de monnaie fondante puisque l’hyper inflation jouera largement ce rôle, inutile d’en rajouter ! (Bien entendu, ce scénario suppose qu’on aille au bout de la crise pour identifier les maillons faibles et faire dégorger le système de ses créances/dettes qui ne peuvent plus être tenues)
Pour le cas ou la confiance et la croissance reviendrait un peu comme avant , avec plus ou moins de règles régulatrices et prudentielles en sus, là aussi votre monnaie fondante ne serait pas indispensable .
Si encore elle avait le pouvoir de prévenir les crises ! mais on ne voit pas en quoi elle pourrait empêcher le mécanisme fondamentalement à la base de la crise qui est l’endettement (et pas la thésaurisation -figure suprême de la valeur refuge- : phénomène de pure réaction et temporaire)
Bref monnaie fondante, concept fondant.
Ah si, cette monnaie pourrait avoir des vertus en cas de sortie de crise à la japonaise … Encore que la stagflation soit un cas de figure combinant à la fois atonie économique et inflation prononcée. Si stagnation économique et monnaie fondante étaient compatible (seule l’expérience le confirmerait éventuellement), je ne voit plus aucun intérêt à ce caractère ‘fondant’.
Et, pour mon estoquade finale, je vous dirais que nous allons peut-être aborder des modèles de croissance à base de gant de crin , dans lesquelle ou le but ne sera peut-être plus de stimuler la croissance de la même façon que jusqu’à présent et donc de ‘forcer’ à tout prix la circulation de la monnaie.
Et j’ajouterais d’une façon générale que l’homme developpe des trésor d’ingéniosité pour contourner les sytèmes, par des raccourcis qu’on ne découvre qu’après coup.
Bon mais cela ne veut pas dire qu’il ne soit pas utile de réfléchir là dessus. Pour le reste je laisse la parole à vos détracteurs habituels 😉
@ Johannes FINCKH
Je vous remercie beaucoup de l’envoi que vous m’avez fait. « L’ordre économique naturel » est un livre extraordinaire, et son auteur un homme d’esprit indépendant. Nous manquons d’hommes de cette trempe.
La proposition d’instauration de monnaie fondante me semble pouvoir trouver des applications locales.
Je suis persuadé en revanche que ce type de monnaie – que la nature fiduciaire de cette monnaie- représente une part minoritaire de la monnaie. Si la vitesse de circulation de la monnaie est un facteur déterminant il s’agit de la vitesse de circulation de l’ensemble de la masse monétaire. Le bas de laine n’est plus aujourd’hui le lieu de stockage de la monnaie valeur.
Les questions relatives à la répartition de la richesse créée, celles concernant la nature des biens produits, celles des valeurs qui sous-tendent la valorisation des biens (consumérisme….), les questions qui se posent quant à notre préparation aux transitions, crises, catastrophes et constructions à venir me paraissent plus importantes.
Ce serait agréable de trouver « une » mesure qui permette de changer grandement la face des choses, une sorte de formule magique. De par la nature des choses, éminemment complexe, je doute qu’une mesure suffise, même à modifier sensiblement, les désordres de l’économie.
Qu’une constitution de l’économie soit nécessaire, ne serait-ce que pour lister les mesures souhaitables (le jour de son application à l’ensemble des nations n’est pas visible à l’horizon) je n’en doute pas.
Pour l’instant des mesures prises par l’Europe, ou un groupe plus restreint de nations, peut-être contraintes par les catastrophes que l’on peut craindre (ou espérer) me sembleraient plus efficaces.
– interdiction de la spéculation
(En particulier par la suppression : des Ventes à découvert, des interventions sur les marchés des matières premières par des agents non impliqués dans l’usage des dites matières premières, des produits dérivés, des assurances non liées à l’activité de l’entrepreneur…..)
– fiscalité redistributive
Toutes mesures fiscales permettant de distribuer équitablement les gains réalisés par les sociétés entre actionnaires et employés. Toutes mesures réduisant les écarts de rémunérations entre les divers agents salariés ou mandataires sociaux. Toutes mesures décourageant le dumping social.
En ce qui me concerne, et mon cas n’est pas unique, à part quelques piécettes dans ma poche et quelques billets régulièrement pompés au distributeur, la monnaie dont je fais usage n’est pas fiduciaire. Je n’aurais jamais un timbre à coller, et je ne connais personne qui aurait à envisager de le faire.
Dans telle ou telle communauté, une monnaie détachée de la monnaie légale, destinée à assurer une stabilité à un système économique bien défini, pourrait se justifier, comme les SEL et les Openmoney qui semblent naître ici et là. C’est autre chose.
Je n’en suis qu’au début de mon instruction en ces matières, et j’ai bien vu que les spécialistes les plus chevronnés ont parfois des hésitations. Peut-être ce qui vous est évident me le deviendra demain ou après-demain. Ou pas.
Quoi qu’il en soit je suis heureux que vous m’ayez fait connaître ce bonhomme. Vous avez pris son relais, lui qui écrivait « L’idée jeune et neuve que nous avons vu germer parmi les glèbes du préjugé, doit être protégée contre le vent glacial du doute, jusqu’à ce qu’elle soit devenue un arbuste vigoureux, aux épines protectrices. » (p135)
@ tous: oui, ne nous égarons pas!
Au moins ai-je obtenu des remarques et objections un peu plus civilisées cette fois-ci!
Sur le plan politique et s’agissant d’obtenir une adhésion à cette idée, la chose est effectivement, de toute évidence, compliquée.
La résistence et l’incompétence de l’immense majorité des économistes universitaires est, à mon sens, un très grand obstacle, le deuxième étant l’hostilité des milieux financiers!
Les universitaires se font ainsi complices de la haute finance! A l’insu de leur plein gré, de plus, car ils ne savent pas ce qu’ils disent le plus souvent, en tout cas sur cette question!
@ eomenos:
J’aimerais mieux vous convaincre, au sens où l’absurdité technique n’est pas!
Appliquée au numéraire, relativement facile avec des timbres ou des tampons, ou, mieux, en incorporant une puce dans le billet (ça fait plus moderne…), le but serait simplement de faire en sorte que le billet circule EN TOUTE CIRCONSTANCE, crise ou pas crise!
Il ne m’a pas échappé la prédominance actuelle des comptes courants pour effectuer les transactions courantes, évidemment. Il convient donc d’étendre la « fonte » aux comptes courants, mais les banques le feraient sans problème et sans hésiter, car les ordinateurs pourraient aisément être programmés pour cela, j’imagine.
On put ainsi décider que tous les comptes POSIIFS seraient débités de 0,4% le dix du mois, excactement comme les billets.
Le but est que les montants des comptes courants soient utilisés pour les achats courants, ou alors, transférés plutôt sur des comptes d’épargne, NON AFFECTéS par cette mesure!
La conséquence en serait alors que les particuliers qui ne veulent pas tout utiliser de leur compte courant seraient incités à alimenter les comptes d’épargne pour rendre disponibles leurs liquidité pour le marché du crédit.
L’abondance de l’épargne ferait baisser les taux d’épargne, et les banques, pour ne pas être submergées par des liquidités (qui leur « coûtent » la « fonte » à elles dès qu’elles ont les dépôts!), devront baisser les taux du crédit.
Ces mesures stimuleront très certainement l’activité et permettront aussi un refinancement par des crédits nouveau pour remplacer les anciens, plus coûteux.
Les banques, disposant de liquidités importantes, pourront aussi se désendetter plus facilement, en soldant les anciennes dettes via les entrées en monnaie fondante, moins chères en intérêts.
D’autre part, la mesure est destinée surtout à opérer un découplage entre les problèmes d’insolvabilité des banques et l’économie réelle, par le fait que cette nouvelle monnaie ne restera certainement pas « gelée » dans les circuits. Elle est fite pour toujours circuler!
Quel que sera le destin d’un établissement financier, même le plus grand, ses péripéties ou sa faillite ne pourront plus empêcher l’économie (et le monde) de tourner!
Quant au fait qu’il s’agirait d’une mesure anticrise, il est évident qu’un retour en arrière vers la monnaie traditionnelle (VALEUR REFUGE ULTIME!) ne sera plus possible!
Et nous nous apercevrons alors rapidement à quel point la monnaie actuelle a fait le capitalisme que la monnaie fondante va défaire aisément pour mettre en place une économie de marché pleinement efficiente sans crise.
Tous les problèmes, écologiques en particuliers, seront assez faciles à résoudre en régime de monnaie fondante!
Pour ce qu’il en est de l’inflation, j’y ai déjà répondu souvent, avec la monnaie fondante, le maintien des prix stables sera assez facile pour les banque centrales, en jouant notamment sur la masse circulante, les billets d’abord, et les comptes courants qui en découlent.
La remarquable stabilité (et sécurité) de l’économie qui en résultera justifiera à elle seule déjà la baisse de taux d’intérêt qui finiront par osciller autour de zéro!
Et on comprend mieux l’hostilité des milliardaires de la haute finance, les seuls « perdants » dans ce cas, perdants au sens que leur enris=chissement « en dormant » cessera rapidement et qu’ils devront bien se remettre à financer lesinvestissments nécessaires à l’économie, simplement pour se prémunir du risque de la liquidité.
En plus, au fur et à mesure que la rente capitaliste « fondrait », sonéquivalent réapparaîtra dans ltous les revenus du travail, car, actuellement, les intérêts encaissés par les uns sont bel et bien prélevés sur les revenus (du travail) des autres. Car, que je sache,tous les revenus proviennent du travail, forcément!
Encore un point qui a été évoqué (j’en oublie, mais les questions reviendront, j’en suis sûr!): les éprgnants choisiraient alors d’autres valeurs refuges (l’or, des actions, des terres etc…), je réponds, oui, bien sûr, mais cela n’aura pas le même impact ravageant sur la conjoncture que ne peut avoir le fait d’empêcher la monnaie de circuler comme c’est le cas actuellement. Je dis même que le « refuge » en favur des biens durables serait une source d’enrichissement pour tous, et on se détournerait très largement de l’hyperconsommation
C’est vrai qu’une taxe foncière adéquate sera nécessaire, mais elle l’est déjà (nécessaire, pas forcément déjà « adéquate » actuellement).
Je sais bien que je recevrai d’autres objections, mais j’y répondrai pied à pied!
Si ceux qui réflecissent à l’économie apprenaient à distinguer « capitalisme » et « marché », que ces deux termes ne sont synonymes, on avancerait aussi!
@précision: « capitalisme » et « marché » ne sont PAS synonymes!
jf
@ Johannes Finckh
Là je suis bien : le marché, correctement organisé, est un espace de liberté même si bien souvent c’est un peu le souk.
@ Pierre-Yves D.
Scénario du pire ? Peut-être à ce détail près que même si cette crise pourrait être assez grave, ce n’est pas la fin du monde : pensez à ce qu’était l’Europe au sortir de la guerre, ou à d’autres moments de l’histoire.
Nous disposons théoriquement de moyens intellectuels et pratiques de gérer cette crise ou de la rendre supportable. Bien sûr de ces moyens , certains sont déjà en place, d’autres seront le résultats de ‘luttes’.
(Même si cette crise fera encore plus de morts, encore plus tôt, là où ils étaient déjà plus ou moins programmés, dans les pays pauvres).
Dans votre dernière contributions à Wladimir, vous soulignez bien que cette fois ci, il y a des dispositifs de contestations du discours dominants, dont vous soulignez le caractères foisonnants , multiforme et globalisé en ce sens que tout le monde peut y être partie prenante grace aux nouveaux moyens d’échange de l’information. Je suis d’accord avec vous , mais.
Le travail de l’opinion existait probablement aussi autrefois, mais il était d’une autre nature. Car là nous avons vraiment une nouvelle situation. C’est vrai qu’il y a un discours dominant assez fort, en même temps qu’il est très fragile, car il ne tient pas conceptuellement vraiment : il ne tient que par les preuves matérielles de la prospérité que le système qu’il défend, amène. (Bien , on peut discuter ensuite de la validité de ces preuves mais elles ont l’avantage temporaires d’être là). Ce discours ne relève pas d’un complot , il est l’expression d’un système idéologique et médiatique qui s’est mis en place en toute bonne foi et qui au départ contenait sa propre alternative, mais qui, au fil des évolutions du système économiques lui-même (qui évolue par là où on ne l’attendait pas trop) , et des évolutions des hommes eux-mêmes, a fini par produire un consensus ne permettant plus de véritable alternative.
Ce consensus est d’ailleurs extraordinairement ductile : il est amusant de voir les ‘droites’ faire le procès du système (encore que pour certains -Gaullistes de gauche, centristes humanistes ou droites très à droite- , ils n’aient pas attendu la crise pour cela), et encore plus les hommes de gauche socialistes renier leur reniement des années 80 !!! . Il faut voir ces plateaux télé ou ces émissions de radio où la surenchère anti-système devient du dernier mondain, et à laquelle tous communient, mis à part quelques vieux barbons dépassés.
(Ce consensus produit d’ailleurs une sur-opposition quasi névrotique et infantile entre droite et gauche sur des sujets où seul le bon sens et la mesure devrait présider, de sorte qu’ en plus de la crise , on à -en France su moins- l’art de se faire chier les uns les autres un maximum en rendant ubuesque des mesures à force de crier « au loup! » tous les quart d’heure – mais c’est un autre débat-)
D’un autre côté , les nouveaux tuyaux permettent, ‘en face’, le developpement de discours alternatifs et la diffusion de remise en cause de certaines façon de penser. Ces espaces ne sont pas institutionalisés -et Boudieu, puisque vous le citez, était un de ceux qui larmoyaient régulièrement et larmoient encore, sur le fait que leur surface médiatique n’était pas équilibrée par rapport aux autres, oubliant simplement le fait que la pensée de Bourdieu c’est 1% du grand machin que se partage la droite et la gauche classique avec les écolos à présent.
Mais ce peu de surface devient grace à internet et la ‘percolation’ , un atout considérable. Il ne faut pas se leurrer, l’internet est devenu un moyen de propagande et de désinformation , non pas par la fausseté de ce qui peut y être diffusé mais par la focalisation répétitive sur un détail, sur quelques images, sur un raccourcis bien trouvé …
L’ école -de la maternelle aux fac- ayant renoncé à inculquer quelles que valeurs que ce soit , sauf un vague concentré d’indignation très égocentrique et superficielle, et une défiance systématique pour tout ce qui porte le vilain masque de l’autorité, internet devient le support magique libre qui véhicule la vérité qu’on veut nous cacher (Bon , parfois c’est bigrement vrai. Parfois). Un lent travail de sape est donc peu à peu opéré, travail qui , en effet, permet de mettre en place les structures mentales qui pourraient accompagner, justifier des basculements, pour le cas où la crise serait perçue comme très dure.
Heureusement , internet permet aussi de véhiculer de véritables échanges et un travail de prise de conscience, raisonnée et partagée. A vrai dire on en ignore le poids véritable, mais il peut, peut-être jouer un rôle inflexif dans plusieurs cas de figure.
Vous parlez de ‘position d’extériorité’ qui mènerait à une certain fatalisme. Je me sent effectivement très observateur (même si assez passioné) de ce qui se passe. Et fataliste dans le sens ou je pense que malgrè tous les dialogues démocratiques necessaires, dans un premier, un deuxième et un troisième temps, chacun défendra ses intérêts. Contre ceux d’en dessus ; puis une fois l’alliance passée à l’intérieur des espace nationaux, ou des entités de même niveaux économiques, car il faut bien qu’ à un moment on passe à l’étape suivante, ceux d’ailleurs seront oubliés, quant on ne rentrera de fait, en guerre économique avec eux, pour proteger les ‘acquis’ globaux de notre expace géographique.
Vous parlez du » “travail” de la pensée sur la situation – globale – via le langage » , qui peut se situer en amont où accompagner des luttes . Et je comprends ce que vous voulez dire , mais plus globalement , ce que j’espère c’est que ce travail accompagne un peu tous les cas de figure, à savoir par expl que si le système devait perdurer qu’il soit alors accompagné de ruptures radicales, mais que si le système devait basculer on n’oublie pas de conserver un réalisme humaniste et que les idéalistes sur-indignés ne nous emènent pas sur des chemins du « Meilleur_des_Mondes.V_02 »
Sur les évolutions des discours des classes sociales en situation de crise, on peut également utiliser l’angle historique.
En 1789, lors de la convocation des Etats Généraux – période de crise s’il en est – la percolation des idées du siècle des lumières a traversé aussi bien le clergé, la noblesse que le Tiers Etat.
Est remarquable à cet égard la nuit du 04 août qui voit des membres de la noblesse être les premiers à aller au devant de la fin de leurs privilèges.
Il est vrai qu’il y avait en parallèle les insurrections populaires et que la branche de l’ancien régime était bien pourrie.
Et ce ne fut qu’un bref instant de consensus entre les classes, car l’histoire n’est jamais finie, mais quand même, un instant qui révolutionna le monde.
@ Oppossùm
J’entends bien votre critique du « meilleur des mondes ».
Quand j’insiste lourdement sur les mondes possibles, que l’on peut être tenté parfois d’assimiler à l’utopie qu’il faudrait viser coûte que coûte, c’est parce qu’il est difficile de nous passer d’eux, politiquement, et même d’un point de vue éthique. Il n’est en effet d’éthique sans ordre des possibles. Et je précise, les mondes possibles, ne sont pas seulement ces mondes situés dans une futur plus ou moins lointain mais constituent le milieu même dans lequel nous évoluons. Si l’on part du principe que notre monde n’est pas univoque, qu’il est donc traversé de tendances contradictoires, parfois infimes, mais bien réelles, alors nous ne cessons, lorsque nous faisons des choix, d’opter pour un certain monde possible relatif à la situation dans laquelle nous nous trouvons. Autrement dit nous faisons le choix de privilégier une chose plutôt qu’une autre, ou même de refuser cette chose qui s’offre à nous, parce que nous avons l’idée que si nous agissons de telle façon plutôt que d’une autre, nos actions auront des conséquences individuelles et sociales, différentes, affectées par nous selon les cas d’un caractère positif ou négatif. Bien entendu, dans la plupart des cas les choix s’opèrent au sein d’un monde — de l’action possible immédiatement — défini par ses valeurs consensuelles, mais d’autres fois, et c’est ici qu’interviennent les mondes possibles, c’est en regard d’un monde encore à faire, que nous refusons d’agir dans ce même monde consensuel et que parfois même nous nous employons à faire advenir ce monde possible que nous avons en vue.
Ces mondes possibles ne sont pas pour moi d’abord des mondes tout prêts, pensés de A à Z et qu’il n’y aurait plus qu’à substituer au monde actuel. Ce sont plutôt des horizons de pensée. Des contre-modèles à l’aune desquels nous pouvons penser notre monde contemporain. Critiquer le monde contemporain en pointant simplement ses excès me semble insuffisant. De là vient par exemple la thématique de la moralisation du capitalisme financier, qui ne mène nulle part, car elle fait l’économie de l’analyse du système dans sa globalité. Lorsque Hobbes ou Rousseau, exemple parmi tant d’autres, (les philosophes ne font-ils pas autre chose que d’imaginer des mondes possibles ?) imaginaient l’un l’état de nature en opposition au pouvoir souverain et l’autre l’état sauvage par opposition au monde civilisé ils inventaient chacun une fable qu’ils ne confondaient pas avec la réalité historique. Dans le cas de Hobbes l’état de nature était simplement un façon de dire que l’homme dans certaines conditions reste attaché à sa condition animale ce contre quoi il se proposait de lutter. Dans le cas de Rousseau il s’agissait de montrer qu’un autre monde possible peut exister puisqu’il en exista un avant que la civilisation ne vienne corrompre les vertus, et de là sa justification du contrat social. Bien entendu d’aucuns pourront dire que Rousseau a engendré quelques monstres mais on pourrait en dire autant de toute pensée qui s’évertue à penser le monde dans sa globalité. Peut-être aurais dû préciser, que lorsque j’évoque un autre monde possible, ce monde devra donner une place égale à l’individuel et au collectif, co-création l’un de l’autre, ce qui limite déjà, dans sa conception, les dérives totalitaires que vous craignez, et qu’il nous faut en effet éviter absolument tout comme nous devons éviter que le monde actuel ne résolve ses contradictions dans un chaos destructeur.
Pour résumer, avant d’avoir une valeur programmatique, la proposition d’autres « mondes possibles » a une valeur de critique du monde existant ; c’est un miroir tout d’imagination conceptuelle — tendu à notre monde qui doit faire ressortir ses défauts les plus saillants et nous permettre d’agir en vertu d’une certaine éthique. Le meilleur des mondes c’est autre chose. C’est un monde possible qui deviendrait réalité et ne tolérerait plus la moindre émergence d’autres mondes possibles en son sein.
@Pierre-Yves D
Définition impeccable du « meilleur des mondes » !
Encore une fois, j’aimerais qu’on m’explique comment une économie shootée à l’énergie abondante et gratuite (ou si bon marché !) va pouvoir redémarrer quand énergies et matières premières ne seront plus ni si abondante et encore moins bon marché.
En bref, toute exploitation de ressources non renouvelable commence à zéro (logique, avant d’utiliser le charbon ou le pétrole, ceux ci dormaient sagement depuis qq millions d’années sous les pieds de nos ancêtres), pour finir à zéro quand on a tout consommé, en étant passé par un maximum quelque part entre ces deux points temporels.
Tout porte à croire que nous sommes arrivé à ce maximum, ou que nous sommes sur le point de s’y trouver… Après ce maximum de « production », l’exploitation du pétrole (par exemple) ne pourra que décroître.
Finie la production croissante d’énergie pas chère.
Finie la production croissante de biens d’équipement et de consommation.
Finie la consommation croissante de produits toujours plus beaux, moins chers et tout et tout…
Fini le « pouvoir d’achat » (faute d’avoir un autre pouvoir…).
A quoi pourrait donc bien servir une monnaie fondante ou pas ? A consommer d’avantage ? A ne pas thésauriser pour consommer plus tard sans rien foutre ?
Comment l’économie pourra-t-elle s’adapter à une augmentation mathématique du prix de l’énergie (mais aussi du minerai…) quand ceux ci seront toujours moins abondant et toujours plus chers (loi de l’offre et de la demande).
Le GIEC nous enjoint de cesser de brûler des énergies fossiles si nous voulons conserver une hausse des température inférieure à 2°C. Ses 2500 membres (entre autres scientifiques) tirent chaque jour la sonnette d’alarme sur l’augmentation galopante des gaz à effets de serre (GES) émis (397 ppm selon une dernière étude), sur la disparition des glaciers, l’acidification et la désertification des océans et au final sur la perte de biodiversité dont l’une des branches la plus fragile risque de disparaître d’ici peu. Ban Ki Moon s’en émeut lui même.
Peut-on sérieusement discuter encore de croissance et de redémarrage de l’économie quand parallèlement, les conditions nécessaires à la reprise salvatrice ne sont pas et ne seront jamais plus au rendez-vous ?
Igor Mihit
J’adhère à votre conception de la démocratie lorsque vous posez la question en ces termes :
» Démocratie, classe… de quoi l’on parle exactement? La démocratie est-ce une manière de résoudre les conflits ou une manière de civiliser les conflits (on discute, on débat plutôt que de se faire la guerre)? S’il s’agit de résoudre les conflits pour arriver à une paix merveilleuse, alors il faudrait peut-être d’abord commencer par l’épuration (sociale, ethnique, voire de genre tiens…). Classe? ça existe une classe sociale homogène, comme un peuple homogène? N’y a-t-il pas toujours des classes dans la classe? Des revendications plus extérieures encore? »
Vous faites ici référence à deux façons d’envisager la démocratie.
Je ne pense pas qu’elles doivent nécessairement s’opposer.
La première voit dans la démocratie un processus par principe toujours inachevé, c’est donc une dynamique, qui ne peut s’identifier complètement à une forme de gouvernement ou à un mode de vie caractérisé. La vie démocratique, consiste, raison contre raison, à définir les termes dans lesquels doit se concrétiser l’égalité des individus qui constituent la communauté politique. A ce titre, le « débat » contradictoire, entre égaux — car tous les citoyens sont dotés d’une raison — , porte précisément sur ce que doit être le contenu de la puissance du peuple. Cette puissance s’oppose à ce que Rancière appelle la Police, autrement dit le pouvoir coercitif de l’Etat qui garantit un certain ordre social, par définition toujours inégalitaire et donc toujours contestable. La démocratie définie en termes dynamiques doit certes sa possibilité à l’existence de certaines institutions, dont l’Etat, mais la démocratie, selon cette conception, ne peut être le seul processus qui consiste à désigner des représentants pour gouverner via un appareil d’Etat. AInsi la démocratie est-elle ce qui vient en excès du dénombrable, elle ne cesse de nommer ce qui n’existait pas encore, elle ne peut donc avoir pour objectif l’éradication d’une classe.
La seconde est une vision plus régulatrice, celle dont parle par exemple Paul lorsque il propose une Constitution pour l’économie, façon, dit-il, de parfaire la démocratie actuelle. Implicitement il fait référence alors aux institutions qui permettent la démocratie et donc une vie démocratique, celle dont j’ai parlé plus haut. Clairement, il s’agit de civiliser les conflits, sans les nier pour autant. Il s’agirait plutôt d’en limiter le périmètre, un périmètre trop important risquant de faire basculer le conflit dans le chaos destructeur.
Jacques Rancière insiste beaucoup sur la vision dynamique, celle-ci garde toute sa pertinence, mais cette vision ne peut à elle seule constituer une réponse à la hauteur des défis qui s’imposent à nous aujourd’hui au moment où survient une crise globale qui révèle les limites de l’exercice démocratique. Comment en effet revendiquer de nouvelles égalités si les dés sont pipés, dans la mesure où la portée de l’action politique se voit limitée par l’état encore « sauvage » du monde de l’économique ? La force de contradiction et de proposition de la raison tourne à vide, ne débouche sur aucune puissance politique tant que la puissance économique se définit encore selon une vison univoque de l’économie dont le letmotiv est qu’un gain collectif — économique — résulterait de la lutte de tous contre tous, ce qui représente en définitive la négation du pouvoir de la raison dans le domaine politique, la confinant à la seule sphère économique, propre au capitalisme.
@ Pierre-Yves D.
Cela fait bcp de bien de voir que l’on peut dépasser des oppositions stériles… En réalité je commence seulement à déconstruire un certain nombre d’illusions attachées à ce mot démocratie pour qu’il devienne autre chose qu’un mot justement, quelque chose dans l’ordre du réel, limité mais plus créatif que je ne l’imagine. Une façon pour m’offrir déjà à l’interne, dans les replis de mon esprit, une certaine ouverture pour la liberté. Ce n’est pas si facile.
C’est d’ailleurs pour cela que je trouve ce blog, entre autres choses dans ce monde, si précieux. J’avoue que pour l’instant je n’y ai pas encore participé de manière pécuniaire, cela viendra, je le souhaite.
Je me demande à quel point « l’ensauvagement » de l’économie a contaminé le reste de la vie humaine… Je me dis que le boulot de recivilisation est énorme…
@ Opposùm
Je vous cite : « L’ école – de la maternelle aux fac – ayant renoncé à inculquer quelque valeur que ce soit , sauf un vague concentré d’indignation très égocentrique et superficielle, et une défiance systématique pour tout ce qui porte le vilain masque de l’autorité… »
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer quelque chose comme cela ? Sur quoi appuyez-vous cette « analyse » ? Merci d’avance pour votre réponse.
Pierre-Yves D. : « Lorsque Hobbes ou Rousseau, exemple parmi tant d’autres, (les philosophes ne font-ils pas autre chose que d’imaginer des mondes possibles ?) imaginaient l’un l’état de nature en opposition au pouvoir souverain et l’autre l’état sauvage par opposition au monde civilisé ils inventaient chacun une fable qu’ils ne confondaient pas avec la réalité historique. Dans le cas de Hobbes l’état de nature était simplement un façon de dire que l’homme dans certaines conditions reste attaché à sa condition animale ce contre quoi il se proposait de lutter. Dans le cas de Rousseau il s’agissait de montrer qu’un autre monde possible peut exister puisqu’il en exista un avant que la civilisation ne vienne corrompre les vertus, et de là sa justification du contrat social. »
C’est quelque chose que je n’ai jamais compris dans la théorie du contrat social. Hobbes ou Rousseau pensaient-ils réellement raconter des fables? J’en doute. S’ils avaient dit que c’étaient des fables, je doute aussi que les théories du contrat social se soient imposées. En plus, une phrase comme celle-ci « Dans le cas de Rousseau il s’agissait de montrer qu’un autre monde possible peut exister puisqu’il en exista un avant » est absurde si ce monde possible est juste imaginaire.
Je n’ai jamais obtenu durant mes études que des réponses vagues et fuyantes à mes doutes sur cette question. Si vous en avez une plus claire, je suis preneur.
@ Opposùm (toujours)
Et de quoi parlez-vous quand vous parlez « d’autorité » précisément ? Merci encore pour vos réponses.
@ Moi
Cela peut paraître absurde en effet, mais dès lors que l’on accorde à l’imaginaire toute sa place, celui-ci devient dans l’esprit de celui qui le considère aussi vrai que le monde réalisé, avec sa logique propre, qui exprime la possibilité que le monde actuel soit autre qu’il n’est.
A la limite peut importe qu’ils croyaient ou pas à leurs « fables ». L’important est que celles-ci aient porté de nouvelles idées qui ont ensuite fait leur chemin, si bien que le monde en fut transformé. Fable le mot est peut-être trop connoté, on pense au mensonge, mais ici il ne s’agit pas de cela.
Concernant Hobbes, je me réfère à l’analyse de Gérard Mairet, un spécialiste de cet auteur.
Je résume son propos : l’état de nature ressortit au monde de l’homme, impensable du point de vue animal. Il n’y a donc pas un état d’antériorité historique de l’état de nature où l’animal, pur donné, sans projet, serait advenu au monde. L’état de nature est donc une « fable » ou allégorie qui permet de justifier proposer un projet politique, celui de la souveraineté, qui se justifie en l’occurrence par son opposition à « l’état de nature », lequel n’est en réalité qu’une tendance inhérente à l’humain, sa part animale.
“..c’est pourquoi je parle ici de l’animal humain en cherchant, avec Hobbes, à distinguer ce qui chez lui est animal (bestial) et ce qui est humain. Hobbes a parfaitement connaissance que l’homme dont il piste la trace, afin de l’amener à la République, puisqu’il n’y a pas de république des bêtes, ne se trouve pas dans la nature ou, plus exactement, puisque cet être est évidemment un être de la nature, la question de sa mise en société politique requiert qu’il se sépare de son animalité naturelle (bestiale). C’est là le sens allégorique de l’état de nature où la condition humaine est celle de la bête, rivée au présent donné de la nature. ..”Dans une telle situation dit Hobbes, il n’y a de place pour aucune entreprise parce que le bénéfice est incertain, et, par conséquent, il n’y a pas d’agriculture, pas de navigation …il n’y a aucune connaissance de la surface terrestre, aucune mesure du temps, ni arts ni lettres, pas de société ; et ce qui est le pire de tout, il règne une peur permanente, un danger de mort violente. La vie humaine est solitaire, misérable, dangeureuse, animale et brève.” Mairet avait précisé plus haut dans son analyse : “les modernes (dont Hobbes NDLR), ont plutôt développé l’idée que dans l’humain, ce n’est pas l’animal qui vient au monde en faisant advenir le monde : ce qui fait advenir le monde est l’homme tout court, c’est à dire l’animal qui lentement se défait de son animalité même en faisant apparaître son humanité seule. La différence existant, en la considérant sous cet angle nouveau, entre le monde et le pur donné, est celle qu’il y a respectivement entre l’humanité et l’animalité. Le monde est l’homme – ou bien n’est rien. Le sens historial des modernes est de penser la différence existant entre le donné et le monde, comme le devenir homme de l’homme. Pour mieux dire, l’humain n’est pas un être donné dans la nature, mais dans l’histoire. Aussi, la différence dont nous parlons, entre le monde (devenir) et le donné (l’inerte) est la différence existant au sein de l’animal humain.”(in La fable du monde, Gérard Mairet, Ed. Gallimard, 2005)
à johannes finckh
sur cette question de la monnaie fondante,
Est-ce que par exdxemple : les retraites par répartition (contrairement aux retraites par capitalisation) peuvent être considérées apparentées comme une mise en pratique, une application à relier des principes inspirés de la monnaie fondante ?
@Pierre-Yves D. : « A la limite peut importe qu’ils croyaient ou pas à leurs “fables”. »
Je ne suis pas de cet avis. Des fables ont changé le monde (la résurrection du Christ, le Coran dicté par un ange, etc), mais pas en tant que fables, il faut que les gens y croient comme à une vérité. L’état de nature est de cet ordre et d’ailleurs aussi bien Rousseau que les autres s’intéressaient hautement aux « sauvages » que les européens rencontraient en Amérique ou ailleurs. Chacun y voyait évidemment une preuve tangible de ses théories (pour les uns « bons sauvages », pour les autres « bêtes sauvages »).
Pour ce qui est de Hobbes, cela peut se discuter, car Hobbes s’inspire grandement pour son état de nature de la guerre civile qu’il a vécu. Pour lui, l’état de nature c’est l’homme civilisé moins l’Etat plutôt que l’homme d’avant l’Etat (voir « La théorie politique de l’individualisme possessif » de McPherson). Donc, avait-il conscience de ce qu’il décrivait? Mais pour les autres, Rousseau en tête, il me semble clair qu’ils ne parlaient pas de fables.
@ moi
vous m’avez mal lu, je n’oppose pas la fable et la vérité, au contraire, la fable a sa vérité propre et c’est cette vérité qui est une puissance, pour l’action.
Une fable comme son nom l’indique c’est une histoire au sens littéraire, or toute histoire, fût-elle imaginaire, n’est jamais une invention « ex nihilo ».
Les Fables de La fontaine, toutes imaginaires qu’elles sont n’en sont pas moins une transposition du réel, ce sont des animaux les héros de ces historiettes mais ce sont bien les humains qui y sont décrits, parodiés, critiqués.
Aristote tenait l’épopée qu’il classait dans le genre poétique, pour plus vraie que l’Histoire avec un grand H.
Il argumentait en disant que le poétique est supérieur au récit historique parce qu’il est ce qui pourrait être et non pas ce qui déjà été. Autrement dit le poétique, ici la fable, donne accès à la généralité, tandis que l’Histoire fait référence au particulier.
Vous faites référence à la Bible, je vous accorde que la valeur historique du livre joue un rôle dans la croyance, mais la bible et ses significations sont loin de s’épuiser dans cette référence historique. C’est si vrai que beaucoup des valeurs propres au christianisme sont partagés par une immense majorité des occidentaux, et au delà, et qu’ils soient chrétiens ou non, à tel enseigne que beaucoup de valeurs religieuses ont été sécularisées. Ce qui fait la force de la Bible c’est surtout son contenu singulier, son enseignement, sans parler de la qualité littéraire de l’ouvrage. Bref, le livre Bible a ouvert de nouvelles perspectives pour l’Humanité, tout comme il en est de même pour toutes les grandes créations de l’esprit.
On peut aussi voir les choses sous un autre angle et considérer cette fois que l’Histoire intègre une dimension narrative.
C’est en ce sens que pourrai alors dire que tous les philosophes qui font référence à l’Histoire — votre point de vue –, ne font pas que de l’Histoire, mais racontent aussi une histoire singulière, mais de portée générale. Or raconter une histoire c’est toujours sélectionner des agents, des moyens, des fins. c’est exactement ce qui caractérise l’idée de monde possible. Un monde possible est un monde habitable, c’est à dire qui pourra être réalisé dès lors que des agents – moi, vous, nous — entreprendront telles ou telles actions, dans un premier temps imaginables, puis dans un deuxième temps accomplies.
Dit dans un langage plus contemporain, le rôle de la fable philosophique est de définir un cadre nouveau pour des actions inédites.