Billet invité
Origine philosophique de la réalité
Il est une posture philosophique appelée nominalisme qui consiste à refuser a priori la possibilité d’une différence entre la réalité et le discours sur la réalité. Dans le nominalisme, le risque n’existe pas. Il n’est pas possible qu’une affirmation déclarée juste ou vraie par un sachant puisse se révéler fausse. Si la réalité particulière dans le temps et l’espace vient infirmer la déclaration du sachant, c’est que les replis de la réalité impénétrable ne pouvaient aucunement être accessible à l’intelligence du sachant. C’est aussi la preuve de la supériorité du sachant sur le non-sachant ; car ce qui s’est révélé faux est justement ce que le non-sachant ne pouvait pas comprendre.
Le droit de la démocratie libérale de marché est depuis l’origine construit sur le nominalisme. Pour arracher le pouvoir au monarque de droit divin, il a bien fallu que ses remplaçants se déclarent aussi sages et informés que lui. La représentation du peuple par ses élites incarne par définition la sagesse infaillible. La république était nominalement parfaite puisqu’elle n’avait aucune alternative réelle comme le régime qu’elle a remplacé. Toutes les lois, toutes les décisions et tous les jugements élaborés par les procédures du pouvoir représentatif sont réputés strictement véritables dans une réalité nécessairement objective et juste.
Le nominalisme divise la réalité entre les sachants. En dehors de son domaine délimité de compétence, le sachant est réputé ne rien savoir. La conséquence est triple : quasiment personne ne peut revendiquer une connaissance intégrale des réalités qui le concernent ; la mise en cohérence de toutes les réalités individuelles est précaire et approximative ; la liberté individuelle est plus nominale que réelle. Le nominalisme morcelle la réalité entre les individus et à l’intérieur des individus. L’écart entre le discours et la réalité est non mesurable. Les pouvoirs sont concentrés mais n’ont pas prise sur la réalité objective véritable. En l’absence de sujets en communication réelle de subjectivité, le champ de la réalité reste divisé et non collectivement intelligible ni accepté.
Nominalisme juridique de la finance
Le nominalisme se prolonge dans l’économie par la finance et la monnaie. Le droit fixe la réalité économique par le crédit nominal. La hiérarchie, la valeur et le nombre des objets de valeur vient de la loi et non de la décision. La loi désigne des sachants, juristes, capitalistes, entrepreneurs et marchands. Chacun est prééminent dans son domaine pour fixer le prix à l’intérieur de l’échange. Un rapport de force nominal détermine l’équilibre entre l’offre et la demande. Le non-sachant n’est pas responsable du prix qu’il reçoit ou règle. Le prix connaissable à l’avance induit un crédit improbable ; nominalement certain sans que la concertation soit subjectivement réelle entre l’emprunteur et le prêteur.
Le crédit nominalement improbable est l’inexistence nominale du risque. Le risque est alors une asymétrie réelle. Le sachant emprunte sans risque ; le non-sachant prête sans risque. Le sachant prête avec une plus-value car son savoir a une valeur. Le non-sachant prête sans plus-value puisque ce qu’il ne sait pas n’a pas de valeur. L’écart entre le prix anticipé et le prix réel ne peut pas exister puisque toute la réalité est nommée par le sachant. Le crédit nominal sans risque permet l’émission d’une monnaie nominale dont la valeur réelle ne peut pas être discutée. La science économique peut alors sans difficulté expliquer la rationalité des prix par une liberté d’agence économique totalement conduite par la nécessité physique.
Le nominalisme économique implique que toute activité économique est un art de divination. Toute décision est une révélation au sachant des sciences de la technique, de la gestion, de l’économétrie et de la politique. Si le produit réel n’est pas conforme à ce qui était prévu ou ne se vend pas au non-sachant, c’est que le sachant n’est pas assez éclairé par la science. Il n’est pas envisageable qu’une partie de l’objectivité du réel ne soit pas nommée ni que la non-vente signale l’inutilité du produit par la décision du non-sachant. Le nominalisme interdit l’existence de la valeur humaine comme choix libre d’utilité de l’objet nommé par le sujet.
Option de la réalité nommée
Parler est une liberté du sujet humain. En même temps que la philosophie nominaliste a cherché à enfermer le réel dans les déterminations du langage, la philosophie réaliste a accueilli le réel dans un langage extensible à volonté. Le réalisme repose sur la liberté d’option du sujet. Le découpage de la réalité par les mots est libre. Nommer revient à valoriser ce qui est nommé par le choix du sujet. En nommant, le sujet propose un prix à la société. Si un autre sujet accepte le prix de l’objet nommé, ce prix devient une option de langage pour toute la société. La réalité est instituée sous le nom par l’objet. Il faut deux sujets pour matérialiser l’objet dans un même prix.
A ce stade, le prix n’est qu’un mot commun à deux sujets sur la réalité qu’ils désignent mais que personne ne voit. Le prix est purement subjectif. Or si un troisième sujet apporte un objet physique visible en réponse au mot énoncé par les deux premiers sujets, alors le prix subjectivement opté devient réel objectif sans discussion objective possible. L’existence de l’objet de réalité n’est pas discutable entre les trois sujets. Mais le prix non discutable par sa qualité le reste par sa quantité. La discussion de l’essence se transforme par l’option de la réalité objective en discussion de l’existence ; en discussion de la quantité par le prix.
L’option de la réalité par le prix est au cœur du réalisme qui ferme librement l’essence des objets pour ouvrir l’existence aux sujets. Le sujet reste libre de son essence en ne nommant pas les objets qu’il ne veut pas. La liberté de parole rend le sujet responsable de toute essence y compris de la sienne propre. L’option verbale de la réalité distingue les existences subjectives par la liberté des prix objectifs. Toute réalité est librement nommée ; toute réalité peut recevoir un prix subjectif ; toute réalité peut être optée ; toute option est réalisable par la matérialité physique quantifiable.
Le jeu financier sur la réalité
Comme le réalisme contient le nom et la réalité distincte du nom, il domine objectivement la philosophie nominaliste. C’est par son réalisme que la finance d’option s’empare de la réalité du nominalisme. La finance déréglementée est dispensée de nommer ses activités en dehors du périmètre physique de l’État de droit nominal. La déréglementation a été la création nominale d’un ailleurs financier (off shore chez les anglo-saxons). Pas de limite dans la réalité physique du moment qu’on ne voit pas ce que la finance fait. Pas de limite dans la réalité nominale du moment que personne n’est obligé de fournir une contre-réalité visible aux prix nommés par la finance.
La finance déréglementée n’est évidemment pas nommée dans le nominalisme. Elle n’a donc aucune preuve à fournir de sa réalité puisque toutes les réalités qu’elles manipulent ont un nom indépendant des activités financières déréglementées. La finance d’option qui ne se nomme pas comme telle pratique le réalisme empirique. Elle joue avec les prix de la réalité que le nominalisme ne connaît pas. Avec leur droit et leur monnaie, les pouvoirs politiques et les non-sachants financiers sont totalement impuissants devant la réalité qui danse sous leurs yeux.
Les sachants financiers domicilient toutes leurs opérations spéculatives nommées par la loi dans les paradis fiscaux où elles ne sont pas légalement vérifiables. Quant aux opérations spéculatives inexistantes par la loi nominale, elles n’apparaissent pas dans les comptes financiers. Les opérations spéculatives constituent des options de prix sans réalité ou de réalité sans prix. Quand la contrepartie non-sachante dispose d’une réalité effective, le sachant financier la lui achète sans prix vérifiable. Quand le non-sachant dispose de monnaie, le sachant lui vend la réalité nominale sans effet vérifiable.
La politique du mensonge
Au jeu de l’option du nominalisme, le sujet politique est un pantin dans les mains du sachant financier. Sous l’angle de la finance, le pouvoir politique vend des lois et des décisions nominalement légales pour acheter des électeurs. Le pouvoir politique négocie des options de crédit. Par l’option qu’il achète, le sachant politique nomme la réalité au non-sachant qui lui prête la réalité. Le prêt de la réalité à la politique est le crédit. Il engendre une mesure de la réalité par les prix inscrits dans les budgets publics et privés. Ces prix sont prêtés à la banque centrale contre quoi elle émet de la monnaie.
Le prêt des prix par des titres de créance à la banque centrale a pour but de caler l’émission monétaire sur le prix de la réalité future. Comme intermédiaire de la monnaie, la finance boucle le processus de nommage de la réalité en prix et de transformation des prix en emprunt de monnaie. Par l’optionalité réelle de la monnaie non nommée par le pouvoir politique, la finance rachète la création monétaire à l’État de droit. L’activité financière simule toute les réalités qui permettent le consentement du crédit ; elle opte les prix qui mesure le crédit ; et elle emprunte toute la mesure qu’elle souhaite de la réalité à la banque centrale qui ne peut voir aucune réalité.
Comme il est visible que les non-sachants financiers sont dupés, les politiques surenchérissent contre les sachants financiers en nommant une réalité qui n’est pas ce que les non-sachants voient ni ce que les financiers disent. Dans la guerre nominaliste, les politiques sont engloutis par l’endettement public ; ils sont en position vendeuse de la réalité qui reste entre les mains de leurs électeurs. Le nominalisme politique est mort dans la crise des subprimes. Les politiques n’ont que deux options pour revenir dans la réalité : entrer dans la guerre réelle pour détruire la finance qui les possède ou adopter le réalisme financier.
Prime volontaire de réalité intelligible
Le réalisme de finance consiste simplement à nommer les options de la politique qui sont financières. La politique est la discussion des options de la loi qui nomme le crédit. Un contrat conforme à la loi nomme une réalité à un prix que la société accepte comme objet de crédit possible de la valeur humaine. En séparant la loi de sa réalisation effective, le réalisme politique produit du crédit réel. Il restitue explicitement au citoyen la responsabilité de nommer les objets particuliers qu’il va lui-même réaliser physiquement. Le crédit est la matière du prix opté par le citoyen conformément à la loi intermédiée par la société et discutée par la politique.
Par la loi du crédit de la réalité, la politique crée la monnaie. Dans la loi du crédit de la réalité, la finance prête et emprunte la réalité évaluée en prix de monnaie. Le prix de monnaie renvoie nécessairement à la réalité par l’option transparente du crédit ; objet crédité de la réalité qu’un sujet humain vend et livre à une certaine échéance. La finance est intermédiaire de la transparence d’option en mettant en relation l’acheteur de la réalité vendeur de la monnaie, avec le vendeur de la réalité acheteur du prix en crédit. La finance intermédie la négociation de la prime de crédit. La prime de crédit exprime la plus-value du bien commun sur un prix de légalité.
Dans la réalité humaine, il ne doit pas exister de crédit sans prime. Prime achetée par un garant du prix de la réalité à terme égale quoiqu’il arrive au prix nominal en crédit. Le droit financier réaliste interdit réellement la plus-value qui ne soit pas le résultat du remboursement d’un crédit par la livraison d’un objet réel de valeur. La plus-value n’existe pas qui n’aie été exposée en tant que prime à la moins-value du crédit. La moins-value de crédit est la réalité garantie potentiellement inférieure au prix nommé. Dans le système de la réalité nommée par l’option, la monnaie est émise et détruite dans l’exacte proportion de la variation du prix des primes effectivement négociées sur le marché.
Conditions réelles de la démocratie vraie
Le marché réaliste n’est pas seulement nominal. Il implique l’identification des acheteurs et des vendeurs effectifs et potentiels ; la négociation systématique des options de conformité réglementaire de tout objet négociable ; l’égalité totale de droit entre les sujets d’offre et de demande de n’importe quel prix ; la livraison garantie de l’objet physique final dont le prix nominal n’est pas anticipé nul ; la séparation de l’intermédiation des primes et de l’intermédiation des crédits par l’intermédiation des prix. La finance réaliste est interdiction de confondre la liquidité monétaire, l’investissement de la prime et le prix en crédit.
La monnaie réaliste est émise par le marché créé par la loi politique. Le marché qui n’est pas une option de la loi du crédit réel est pure spéculation sur la réalité de l’existence humaine. La définition nominale de la monnaie se trouve donc limitée par l’État de droit qui limite la réalité du marché. Le contrôle de la monnaie réelle est impossible sur le même nominal par deux États différents appliquant deux systèmes de lois. En revanche, une société d’États peut acheter l’option d’une monnaie commune dont la valeur soit déterminée par un marché financier commun ; un marché qui applique n’importe quelle loi dont la prime de change du crédit soit systématiquement achetée en monnaie commune.
Le nominalisme est mort. La zone euro en est le révélateur en rassemblant plusieurs démocraties sous une seule monnaie. La Grèce est réellement en faillite en demeurant nominalement solvable. Le discours politique n’a plus aucun sens. La finance hurle la réalité pour compter ses plus-values. Et la réalité échappe aux Grecs et aux Européens. Or la faillite de l’euro est la faillite de toutes les monnaies. Toutes les monnaies sont nominalistes dans le nominalisme politique. Le sort de l’humanité est dans les mains des politiques. Tant qu’ils joueront aux sachants et les citoyens aux non-sachants, la réalité sombrera dans le chaos. La néantisation de l’humain par l’intelligence nominaliste est réversible en valeur délibérée de la réalité.
122 réponses à “REVENIR DANS LA RÉALITÉ, par Pierre Sarton du Jonchay”
http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-demondialisation-est-differente-de-la-preference-nationale-78288358.html
Je pense que vous êtes sur la même longueur d’onde. Si vous trouvez un langage commun on pourrait voir des choses intéressantes.
Monsieur,
Je vous cite : « Le nominalisme est mort ».
Je prends.
[…] tout puissant dont la parole ne saurait être remise en doute. Comme disait Julien Alexandre sur le blog de Paul Jorion : « Pour arracher le pouvoir au monarque de droit divin, il a bien fallu que ses remplaçants se […]
[…] tout puissant dont la parole ne saurait être remise en doute. Comme disait Julien Alexandre sur le blog de Paul Jorion : « Pour arracher le pouvoir au monarque de droit divin, il a bien fallu que ses remplaçants se […]