Billet invité
Vous vous pensiez sortis de l’auberge ? Et si une nouvelle crise bancaire nous menaçait et qu’il fallait encore sauver les banques ? Quels sont les risques ? Peut-on en arriver là ?
La France en chiffres
Les chiffres sont souvent rébarbatifs, néanmoins ils permettent d’illustrer une réalité. Il faut d’abord un étalonnage, c’est-à-dire des chiffres de référence permettant de mettre les choses en perspective. Nous allons donc comparer les « chiffres » des banques à la richesse produite par l’ensemble des Français (banques comprises) en une année, ou autrement dit à notre PIB.
Le PIB de la France est d’environ 2000 milliards d’euros par an. Ensuite le chiffre du budget de l’Etat. En un an, tous les impôts et taxes confondus vont rapporter environ 300 milliards d’euros. Comme l’Etat est très dispendieux, nous dépensons chaque année plus que ce que nous gagnons. Cela forme ce que l’on appelle le déficit budgétaire, environ 180 milliards d’euros cette année (oui quand même cela fait des sous…). Enfin, chaque année, ce beau déficit (nos 180 milliards) vient s’ajouter à la dette totale de la France, environ 1.600 milliards d’euros.
Voilà les chiffres qui concernent notre pays dans ses grandes, très grandes masses.
La crise financière
Maintenant retournons en 2008-2009. Au pire de la crise, les autorités américaines décident de ne pas sauver la banque Lehman Brothers. Conséquence directe et immédiate : plus aucune banque ne prête à aucune autre, et la planète finance est en arrêt cardiaque. Elle sera ranimée à grand coup d’injections de liquidités massives ; les banques centrales jouant ainsi ce que l’on appelle le rôle de « préteur en dernier ressort ». En clair, quand il n’y a plus personne pour prêter à personne, c’est la BCE (pour l’Europe) ou la FED (pour les USA) qui « impriment » autant d’argent que nécessaire pour que les opérations bancaires puissent se poursuivre. Sinon, c’est la crise systémique : le système s’effondre en quelques jours seulement.
L’argent ne circule plus, les cartes bleues s’arrêtent de fonctionner, les chèques sont rejetés, les distributeurs de billets vidés en moins de temps qu’il ne faut pour dire « ouf », les banques ferment et… les gens perdent leurs économies. Bref, nous aurions expérimenté le chaos. Arrêt des échanges, supermarchés vides, puisque toutes les transactions auraient été bloquées, le tout dans un système d’approvisionnement organisé en « temps réel et à stock zéro ». Fin de l’histoire, retour au siècle passé.
Bien ou mal, pouvions-nous faire autrement dans l’intérêt de tous que d’intervenir massivement ? Non. Il n’y avait pas d’autre possibilité. Contrairement à ce que l’on veut croire, les Etats n’ont pas donné d’argent aux banques. Ils ont soit prêté, soit donné des garanties. Cela change tout mais ne justifie rien.
La question du « qu’est-ce qui nous a amenés là ? », bien qu’ayant été posée, n’a trouvé à ce jour aucune réponse. Aucune réglementation autre que cosmétique n’a été mise en place.
– « Vilain trader, tu toucheras moins de bonus cette année ».
– « Bravo » firent les masses en cœur. « Vous êtes des vilains, vous, les traders », « tous au coin » !
Sauf qu’il s’agit là de limiter le débat à tout sauf à l’essentiel, et que loin d’être « au coin » les bonus des traders seront à nouveau records cette année. L’essentiel c’est un système qui s’est mis en place depuis 20 ans sur fonds de mondialisation, d’internationalisation, d’informatisation (voir Trading Haute Fréquence) et de dérégulation. L’essentiel du problème, c’est que la démission du Politique face à la finance et la suppression de tout contrepouvoir réel et efficace a eu pour conséquence de créer un monstre financier dont plus personne ne sait aujourd’hui comment se débarrasser.
Nous en sommes donc là. Tout semble aller mieux. Sauf que rien, strictement rien n’a changé et que les risques perdurent. Tout ce qui a fait la crise de 2008 est encore là… mais en pire, puisque entre temps les Etats, pour sauver momentanément le système de la crise économique, ont du augmenter considérablement leur endettement au point qu’il en devient aujourd’hui insupportable.
Vous vous souvenez des chiffres du début ? Notre PIB, notre budget, notre déficit, notre dette ? Nous allons les comparer aux bilans des principales banques françaises. Ce tableau est édifiant.
Les banques en chiffres (en milliards d’euro bilan 2009):
Taille du Bilan | Fonds Propres | Bénéfice Net | Capitalisation Boursière | |
BNP Paribas | 2 057 | 69,5 | 5,8 | 66,2 |
Société Générale | 1 024 | 42 | 0,6 | 36,2 |
Banque Postale | 1 712 | 4,4 | 0,53 | |
Crédit Agricole +LCL | 1 694 | 68,8 | 2,7 | 29 |
BPCE (caisses d’épargne et banques populaires) | 1 029 | 44 | -0,69 | |
Crédit Mutuel-CIC | 582 | 24,6 | 0,44 | |
Natixis | 449 | 21 | -1,7 | 10,3 |
TOTAL | 8 547 | 274,3 | 7,68 | 141,7 |
Comme on peut le constater, l’ensemble des engagements des principales banques françaises représente 4,3 fois le PIB ; c’est-à-dire la totalité de la richesse produite par notre pays chaque année. Ces engagements représentent 28 fois le budget annuel de notre Etat ou encore 1.112 années de bénéfices de ces mêmes banques… L’expression « too big to fail » (trop grosse pour faire faillite) est utilisée pour expliquer qu’une banque ou institution est trop importante pour le système pour que les autorités puissent prendre le risque de la laisser faire faillite. Hélas, nous en sommes plutôt arrivés au « too big to save » c’est-à-dire trop gros pour être sauvé.
Les risques actuels :
Les dettes souveraines :
Les banques françaises détiennent 480 milliards d’euros de dettes des pays appelés péjorativement PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne, hors Italie). Cette estimation a été réalisée par la BRI (Banque des Règlements Internationaux). Ce montant représente deux fois les fonds propres cumulés de nos banques (c’est-à-dire la totalité de l’argent que nos banques sont censées avoir en caisse). Selon la même BRI, si l’on prend en compte les engagements de nos banques sur l’Italie, il faut rajouter 476 milliards d’euros supplémentaires… cela commence à faire beaucoup.
Les produits dérivés :
Le volume de produits dérivés échangés chaque année de manière opaque car de gré à gré (c’est-à-dire directement entre les banques) est d’environ 600 000 milliards de dollars (vous avez bien lu). Néanmoins il est important de préciser qu’il s’agit d’un montant notionnel, c’est-à-dire un montant « brut ». Il s’agit d’opérations croisées, donc le volume total n’est pas égal au total des expositions. Cela dit, le moindre problème d’envergure sur ce marché et les banques sautent.
Une crise immobilière mondiale :
Puis vient le problème de l’immobilier. On sait ce qu’il en est aux Etats-Unis (effondrement des prix, nombre de saisies record, etc.). Le Royaume-Uni rentre à nouveau en récession, l’immobilier baisse, partant de niveaux très élevés. En Espagne, c’est une véritable catastrophe avec plusieurs millions de logements vides, et non vendus, et des banques qui ne passent pas les provisions nécessaires puisqu’elles n’en ont tout simplement pas les moyens.
Le déficit des Etats US et des municipalités américaines :
Si l’Etat Fédéral ne vole pas au secours des Etats fédérés et d’un nombre de plus en plus important de villes, ce sera la faillite assurée pour beaucoup d’entres eux. Les sommes en jeu sont colossales et les banques bien sûr exposées à ce risque.
La menace des bulles spéculatives des marchés émergeants :
La Chine en tête, avec une croissante forte, une inflation qui n’est plus maîtrisée, une envolée de l’encours des crédits et de l’endettement pourrait également connaître une crise de « croissance » tout en sachant que ce pays est tributaire à plus de 60% de ses exportations vers les pays développés.
Il ne s’agit là que des plus importantes bombes à retardement qui existent actuellement, mais il y en à d’autres tellement nombreuses qu’il est difficile d’être exhaustif, du prix du baril de pétrole dont l’augmentation peut étouffer toute reprise économique immédiate, à l’immobilier commercial américain ou européen, en passant par les risques géopolitiques.
Une situation absurde :
Aujourd’hui ce sont les banques qui financent les déficits des Etats en échange de leur soutien en cas de défaillance, entraînant ainsi nos politiques dans une interdépendance malsaine. Cela fonctionne d’une manière simple. Les banques vont voir la BCE (Banque Centrale Européenne) qui leur prête de l’argent au taux de 1% (c’est encore plus intéressant aux Etats-Unis où les banques peuvent emprunter à 0,25%), autant dire gratuitement. Les banques, qui emploient un nombre incalculable de « grands génies », placent cet argent obtenu pas cher sur… des obligations d’Etat de pays en difficulté comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou la Grèce, à des taux proches de 6, 7, 8% voire beaucoup plus dans certains cas, et empochent la différence.
Qui n’a pas rêvé de faire un crédit au taux de 1% et de placer cette même somme sur son livret A au taux de 3% ? C’est exactement ce qui se passe pour les banques. Evidemment, si jamais les risques deviennent trop forts, les mêmes BCE ou Fed qui ont prêté ces sommes, reprennent les titres dont éventuellement plus personne ne veut sur le marché pour débarrasser les banques de leurs actifs « toxiques ». C’est ce qui fut fait avec les titres grecs il y a quelques mois afin de nettoyer les positions excessives de certaines banques notamment allemandes et… françaises.
Un autre mécanisme tout aussi absurde est à l’œuvre à travers les plans d’aides européens, ou du FMI. Ces deux institutions prêtent à des pays en quasi faillite de l’argent qui leur a été prêté par d’autres pays surendettés, les amenant à leur tour à la faillite, sans que cela n’émeuve personne en termes de raisonnement.
Tous ces montants sont tellement démesurés qu’ils ne sont tout simplement plus à l’échelle d’un budget d’Etat. Or que constate t-on ? Qu’un pays comme l’Irlande dont le miracle économique nous a tant été vanté, et qui était relativement peu endetté, s’est englué dans les pires difficultés en raison non pas de sa population trop dépensière (quoique), ou de ses systèmes d’aides sociales trop dispendieux, mais à cause de ses banques dont les volumes d’engagements étaient simplement disproportionnés pour ce pays. Ce fût le cas de l’Islande, mise en dépôt de bilan par les pertes abyssales de ses banques, puis viendra le cas de l’Espagne, du Portugal et de tous les autres.
De façon générale, l’ensemble des pays occidentaux a laissé se développer des systèmes financiers hypertrophiés qui menacent aujourd’hui la stabilité même de nos économies. La planète « finance » est dans un tel état de fragilité que le moindre choc exogène peut conduire à son effondrement rapide. Il n’est donc pas exclu de devoir à nouveau sauver les banques, mais les Etats le pourront-ils seulement ? Les peuples pourront-ils seulement le supporter ?
Aujourd’hui, les gouvernements n’ont plus aucune marge financière en dehors du fait de faire fonctionner la planche à billets ou de mettre en place un nouveau système monétaire. Nouveau système monétaire qui était au cœur du programme d’action du Président Nicolas Sarkozy dans le cadre de sa Présidence du G20, et qui a rapidement été ramenée à un objectif vraisemblablement très secondaire suite à son entrevue avec Obama il y a deux semaines.
Tant que les Politiques ne mettront pas fin aux errements de la finance, nous continuerons chaque jour à nous rapprocher un peu plus de l’abîme… mais en ont-ils seulement la volonté ?
Vous avez aimé le film « La crise », vous allez adorer « La Crise II ». Encore mieux, encore pire.
142 réponses à “FAUDRA-T-IL ENCORE SAUVER LES BANQUES ?, par Charles Sannat”
J’adore les thrillers. Cependant tous les scenari ne se valent pas non plus que leurs auteurs d’ailleurs.
On n’a peur que de ce que l’on ne connait pas ou de ce que l’on connait trop bien…
Je suis assez amusé non par la réalité décrite mais par les commentaires qui s’y rapportent, ou du moins qui croient s’y rapporter.
Les commentaires vont tous dans le même sens: haro sur les vilains financiers qui vont mettre le monde en faillite.
La réalité c’est aussi l’autre plateau de la balance: les énormes déficits qui piègent les états et leurs gouvernements. Pourquoi ne vois-je aucune indignation, pour reprendre un terme devenu de mode, qui dénoncerait les déficits publics et ceux qui les creusent, les causent et en bénéficient?
Dénoncer les effets sans les causes qui les génèrent n’est-ce pas un peu pusillanime ou au moins de parti pris?
Il y a beaucoup de borgnes en ce monde!
Bon article de synthèse.
Quelques chiffres à corriger certainement ou à préciser.
Quelques ambiguïtés : dette française pour l’essentiel due aux intérêts sur la dette accumulée, elle-même due aux intérêts précédents sur la dette cumulée antérieure…
Argent réellement donné aux banques : quelques dizaines de milliards quand même (souvenez-vous des 6 milliards pour sauver Natexis trouvés en 3 h un dimanche dans la nuit…)
Pour ce que l’on sait… combien représente le grand emprunt comme intérêts supplémentaires au profit des banques ?
A ajouter : l’immobilier chinois (Shanghai) dont on ne sait pas comment il va se solvabiliser.
Enfin comme reprise du commerce international, on peut toujours s’appuyer sur le Baltic Dry Index qui a perdu 11 fois la valeur qu’il avait atteinte en 2008… et qui continue de s’effondrer : http://www.investmenttools.com/futures/bdi_baltic_dry_index.htm (à la verticale !) Je suis preneur d’une explication sur la reprise mondiale avec un indice de commerce international dans cet état…
Quant aux suites à donner : 1/ nationaliser les banques (seulement les dépôts à vue, l’épargne et les crédits affectés), le reste ? Il reste privé et à votre bon cœur !
2/ Créer des fonds régionaux de financement pour le développement des services publics qui sont en déshérence.
3/ Racheter avec ces fonds régionaux le foncier et les bâtiments d’entreprises stratégiques (contribuant à la localisation des activités et à la souveraineté économique) qui seraient en difficulté.
4/ Mettre d’emblée l’accent sur la formation continue et l’instruction-formation initiale : semaine de 4 jours avec un jour hebdomadaire de formation et formation accélérée d’enseignants (c’est un métier, pas une pratique qui découle d’une connaissance théorique d’une discipline scientifique quelconque).
Etc. Vous pouvez compléter le programme, ce n’est pas les idées qui manquent.
Mais d’abord, il faut dégager les exploiteurs/profiteurs/spéculateurs !
Excellent billet. Du pédagogique bien solide et à la portée de tous. J’en ai fait un fichier pdf que je distribue à tous mes ignares d’amis. Je vais même faire un propre billet dessus sur mon blog et sur Rue89.
Mon billet sur le billet de Charles Sannat en ligne sous le titre « Selon Charles Sannat, vous allez adorer le film « La Crise II » » :
– sur mon blog ;
– sur Rue89
[…] Paul Jorion (a writer for Monde-Économie and commentator on France’s BFM Radio) notes on his latest […]
le risque est mille fois énorme si on sauve encore les banques!!