Stef et moi habitions le même petit immeuble au bord de la voie ferrée à Saint–Job. J’étais descendu d’un étage pour habiter ce qui ressemblait davantage à un véritable appartement et je lui abandonnais mon grenier venteux. De temps à autre ma mère, sous prétexte de nettoyer la cuisine, venait vérifier que je ne tournais pas mal. Elle me disait en aparté, à propos de mes amis couchés sur le divan ou par terre, à lire mes BD et mes exemplaires d’Oz ou de l’International Times en fumant des joints : « C’est qui ces gens dans ton salon ? ». Je disais : « C’est des amis : un jour ils seront célèbres ».
Noël approchait et nous étions lui et moi sans femme. Nous nous promenions en Bretagne. Un jour semblable à une nuit nous nous sommes perdu dans la purée de pois près du Cap Fréhel. Finalement, nous avons vu une flèche qui indiquait « Crêperie ». Nous avons encore longuement tourné en rond avant de la trouver. Et là, dans ce troquet du bout du monde, que seuls deux Belges à moitié polonais ou hollandais auraient pu trouver, il y avait deux jeunes filles, toutes seules dans la lande désertée, qui nous ont accueillis comme des chevaliers revenant des croisades. Pourquoi nous avons quitté cet endroit au milieu de l’après-midi, je ne me l’expliquerai jamais : l’arrogance de la jeunesse, ou un sens du devoir mal placé. Si nous avions eu un tant soit peu de jugeotte, nous leur aurions fait l’amour, nous les aurions épousées, et le monde en aurait été meilleur. Mais nous étions jeunes, moi j’avais vingt-six ans et Stef un peu moins. Il écrivait déjà.
Une réponse à “L’arrogance de la jeunesse”
ben, la trouille, celle de ne pas être à la hauteur…
maintenant vos amis sont célèbres, certains riches, et vous êtes un chevalier en croisade !