« Jérôme Kerviel peut-il obtenir un nouveau procès ? L’ex-trader contre-attaque » – C l’hebdo, le 21 décembre 2024

La vidéo : Jérôme Kerviel peut-il obtenir un nouveau procès ? L’ex-trader contre-attaque – C l’hebdo

Kerviel ou le nécessaire procès de la raison d’État, le 21 mai 2014

Le procès qu’il conviendrait d’instaurer maintenant n’est pas celui de la Société générale, comme l’ont affirmé certains soutiens de Jérôme Kerviel lorsque tomba le 19 mars la décision de la Cour de cassation : « Condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme confirmée, mais renvoi devant la cour d’appel de Versailles pour la condamnation au versement de dommages et intérêts de 4,9 milliards d’euros », car des choses qui furent déjà dites et redites seraient répétées une fois encore. Le procès qui devrait être fait aujourd’hui, c’est celui de ce qui fut tu délibérément – en première instance, en appel et en cassation – malgré des dizaines d’heures d’explications, et du pourquoi ces mots n’ont pas été prononcés.

La raison pour laquelle n’a pas été dit ce qui ne l’a pas été, c’est la raison d’État, et c’est donc le procès de la raison d’État qu’il faudrait maintenant instaurer. Or ce procès là risque fort de ne jamais avoir lieu parce que la raison d’État ne relève pas de la justice, pire encore, la raison d’État est le contraire de la justice, elle est ce qui s’exerce à sa place quand, pour des motifs d’ordre supérieur, la justice est précisément mise sur la touche. Et pas elle seulement : ce peuvent être aussi « Liberté, Égalité, Fraternité », toujours pour des raisons pratiques, et souvent très crûment, comme on le voit ici, pour de simples raisons de porte-monnaie.

L’État devrait parfois poser la question clairement au contribuable : « Préférez-vous que prévale la justice, quitte à ce que votre porte-monnaie en fasse les frais, ou bien la protection de votre porte-monnaie passe-t-elle avant toute autre, quitte à ce que la justice en sorte quelque peu cabossée, et que l’un ou l’autre lampiste se retrouve en prison ? » Et si l’État ne pose pas cette question, c’est qu’il en connaît la réponse et passe outre : il refile ainsi en douce la responsabilité du déni de justice au contribuable et à l’amour bien compréhensible que celui-ci porte à ses sous.

Nous en avons un exemple récent : celui du Projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, dont la logique est simple. L’État dit : « J’ai déjà dû intervenir pour essuyer de sérieuses pertes dans l’affaire Dexia – en votre nom à vous, le contribuable, et cela a déjà coûté suffisamment cher comme cela ! Il est du coup de l’intérêt général (à savoir le mien, l’État, et le vôtre à vous, le contribuable) de faire une croix sur les cas litigieux toujours en suspens. Oui, cela revient à exonérer les banquiers pour leurs forfaits, mais c’est pour la bonne cause : reconnaître qu’ils étaient des escrocs reviendrait trop cher à la communauté. Faisons-nous une raison : moi l’État, je me montre carré, vous le contribuable, montrez-vous pragmatique ! ».

Qui fait les frais d’une telle Realpolitik ? Le principe abstrait et relativement vague de la Justice, de peu de poids face à une réalité plus concrète puisque sonnante et trébuchante.

La Société générale déboucla les positions calamiteuses de Kerviel le 21 janvier 2008. Ce jour-là, le CAC 40 perdit 6,83 %, le Nikkei, 3,86 %, le DAX, 7,16 % et le Footsie, 5,48 %. Le marché américain était fermé en raison du Martin Luther King Day. Je consacrai aux événements du jour un billet intitulé : « Le krach pour demain ? ». Le lendemain, 22 janvier, on pouvait lire à la une du Wall Street Journal : « La débandade hier sur les marchés boursiers mondiaux suggère que la peur provoquée par la récession aux États-Unis est en train de s’étendre au–delà du marché américain … »

C’est 3 jours plus tard, le jeudi 24 janvier, que la Société générale révéla « L’affaire Kerviel » et son coût. Le Financial Times expliqua aussitôt que la menace de krach le lundi résultait des opérations entreprises par la banque pour déboucler les positions prises par Kerviel et représentant près de 10 % du montant des marchés boursiers.

Voilà les temps que nous vivions alors. Le 29 janvier, soit 8 jours après le débouclage calamiteux, et 5 jours seulement après que la « fraude exceptionnelle » avait été révélée dans un communiqué tonitruant, l’International Herald Tribune titrait : « Le scandale de trading détourne l’attention des pertes de la Société générale liées aux subprimes ». L’article, signé par Julia Werdigier, débutait par ces mots :

Les opérations non-autorisées de Jérôme Kerviel coûtent 4,9 milliards à la Société Générale mais elles constituent également une diversion qui permet d’éloigner à point nommé les projecteurs des 3 milliards de dollars de pertes de la banque liées à la crise des subprimes.

Le 21 août, dans un billet intitulé : « L’affaire Kerviel, sept mois plus tard », je résumais moi-même le cours des événements de la manière suivante :

L’« affaire » est intéressante parce qu’elle révèle la manière dont une importante banque française choisit de traiter, du moins dans la phase initiale de la crise, la façon dont le tarissement du crédit consécutif à la crise des subprimes affecta ses recettes : en mettant en avant les pertes subies à l’occasion d’opérations spéculatives d’un trader isolé, opérations qualifiées de « fraude ».

Le climat était celui d’une Apocalypse financière. Il fallait dans l’urgence tenter de se refaire sur une partie des pertes. La finalité de « L’affaire Kerviel », ce fut donc l’opportunité d’effacer une partie de l’ardoise, levant l’hypothèque d’une éventuelle insolvabilité de la Société générale : les 1,69 milliards de remise fiscale consentis à la banque en raison du fait que Kerviel a été jugé ne pas avoir simplement enfreint des règlements intérieurs et boursiers (ce qui ne l’engageait que vis-à-vis de sa hiérarchie et de l’Autorité des Marchés Financiers) mais avoir véritablement commis un délit en loup solitaire, sans bénéficier de la moindre complicité active ou passive au sein de son organisation. C’est la précipitation du Ministère des Finances à accorder cette remise, anticipant toute décision de justice venant confirmer la seconde hypothèse, qui attira l’attention sur le fait que le dégrèvement d’impôts était l’objectif visé, sous-tendant et justifiant l’approche.

François Hollande fut très sévère, qui déclara à ce propos :

Parmi toutes les choses choquantes dans cette affaire, et il y en a beaucoup, maintenant on apprend que la Société générale va être remboursée pour son manque de vigilance et de diligence par rapport à ce qui devait être fait pour surveiller un de ses traders. C’est pour cela qu’il faut changer aussi un certain nombre de lois.

C’est au souvenir de cette juste sévérité que s’adressent aujourd’hui Kerviel et son avocat Maître Koubbi. Mais si un candidat à la Présidence peut aisément mettre en cause la raison d’État, un Président en fonction le peut-il encore ? C’est après tout lui qui l’incarne !

Ma tribune libre dans Le Monde a-t-elle marqué un tournant dans l’affaire ? Il se trouvera bien un troll ou l’autre pour affirmer que non 😉 .

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9 réponses à “« Jérôme Kerviel peut-il obtenir un nouveau procès ? L’ex-trader contre-attaque » – C l’hebdo, le 21 décembre 2024”

  1. Avatar de Alex
    Alex

    « Jérôme Kerviel peut-il obtenir un nouveau procès ? »
    C’est très improbable pour la simple raison que ce serait faire le procès du capitalisme casino qui régnait et qui règne sans doute encore dans toutes les salles de marché, et là on toucherait au fondement de ce système mortifère qui enrichit toujours les mêmes au détriment de la majorité de l’humanité.
    Alors, à la prochaine Grande Crise financière !

    1. Avatar de Paul Jorion

      « faire le procès du capitalisme casino »

      Ça peut se faire. Arrêtez svp votre spectacle : « Jetez l’éponge comme moi ! Jetez l’éponge comme moi ! Jetez l’éponge comme moi ! », c’est répétitif, ça lasse. A point qu’on se demande : « Quelqu’un le paierait pour son ‘Jetez l’éponge comme moi !’ à répétition ? ».

  2. Avatar de Hervey

    On voit plus couramment des individus braquer une banque qu’une banque braquer des individus …

    Tiens, j’ai comme un doute tout d’un coup.

    Non, je parle trop vite.

    1. Avatar de CORLAY
      CORLAY

      Bonsoir Hervey, votre commentaire m’a fait rire, mais lorsque les banques braqueront nous-mêmes, aie, aie!!! caramba. Sinon bonnes fêtes de fin d’année (avec plein de projets artistiques). Isabelle

      1. Avatar de Hervey

        Merci Isabelle.
        Question braquage, c’est 6 milliards d’agios qui sont prélevés sur les comptes bancaires des français chaque année.
        Une somme, en somme.

        https://hervey-noel.com/wp-content/uploads/2024/12/2024declinaison-2025-web.jpg

  3. Avatar de Juillot Pierre
    Juillot Pierre

    C’est une affaire révélatrice d’une « raison… » qui garde l’État d’avoir des comptes à rendre à une justice dont l’indépendance, la séparation des pouvoirs, n’illusionnent plus grand monde – mais pas pour de bonnes raisons par ailleurs. « L’État de droit » préférant se servir d’otages comme les doutes, incertitudes, du « ras le bol fiscal », « poujadisme » de « temps de cervelles disponibles » qu’à vouer un culte féroce à une autre illusion, celle de la toute puissance du pouvoir (« d’achat ») consumériste du contribuable direct (50% des actifs(ves) français(es) n’étant que des présumés coupables et « vulgaires » contribuables indirects, parce que soi-disant pas assez « compétents(es) », « dignes », « méritants(es) », pour gagner plus).

    Est-ce que ce qui suit est sans rapport avec cette fameuse « Raison d’État » ?

    « Quand Notre-Dame renaît et Mayotte sombre : quelles priorités pour la République ?

    Face à l’extraordinaire mobilisation pour restaurer Notre-Dame de Paris, symbole patrimonial et religieux d’une République pourtant laïque, une question s’impose : pourquoi une telle énergie n’est-elle pas déployée pour venir en aide à Mayotte, frappée par une catastrophe humanitaire ? Une couple pèse telle à ce point sur les épaules d’une République anciennement colonialiste et esclavagiste, dont ses « représentativités » actuelles ont une « préférence nationale » pour un non repentir, une non réciprocité (soit le contraire d’une réciprocité positive voir même négative »)? La vie humaine ne devrait-elle pas primer sur la sauvegarde d’un édifice, si emblématique soit-il ? Ou certaines vies valent-elles moins que le prestige d’un monument ?

    N’est-il pas légitime d’exiger de l’État une réponse politique et sociale à la hauteur de ses principes républicains ? Pourquoi ne pas interdire les spéculations cyniques sur le coût des transports et les prix de biens essentiels — nourriture, eau potable, matériaux de reconstruction ? Ces pratiques, qui transforment la détresse en opportunité financière, ne sont-elles pas une trahison de l’idée même de justice et d’éthique ?

    L’État, garant d’une République « une et indivisible », ne devrait-il pas effacer les dettes humanitaires des collectivités locales et inscrire dans la Constitution des mesures garantissant une solidarité nationale effective ? Et dire que le le budget pour l’exercice de l’année 2025 n’est pas encore voté, pensez donc vous satisfaire, enfin, en cadeau de Noël, de la nomination d’un nouveau gouvernement ? Alors que les crises climatiques et les inégalités se multiplient, ces actions ne devraient plus être exceptionnelles mais systémiques.

    Enfin, pourquoi la solidarité nationale repose-t-elle toujours sur des appels aux dons privés, alors que ces contributions défiscalisées alimentent indirectement un système dérégulé ? Ce dernier permet aux marchés de spéculer sur les prochaines crises humanitaires, cyclones et pénuries, et rend les associations à but non lucratif dépendantes, captives, de leur « main invisible ».

    Ce débat dépasse le simple cas de Mayotte. Il interroge le sens de nos institutions. Une République qui hiérarchise ses priorités au détriment des plus vulnérables peut-elle encore prétendre incarner l’égalité et la justice ? Ou s’agit-il d’une illusion, sacrifiant l’humain sur l’autel d’un utilitarisme économique et symbolique ? »

  4. Avatar de Pascal
    Pascal

    Avec Darmanin à la justice et un banquier à Bercy…
    Kerviel va devoir attendre que le vent tourne !

    1. Avatar de Garorock
      Garorock

      Le vent va très vite tourner !
      Y’a que les girouettes qui ne le savent pas encore.

  5. Avatar de pierre guillemot
    pierre guillemot

    Quand j’avais lu à l’époque l’histoire de Jérôme Kerviel, je m’étais demandé comment la direction de la Société Générale avait pu ne pas voir, puis j’avais acquis la conviction (sans rien y connaître) que c’était une arnaque grandiose montée par quelques dirigeants. Puisque dans ce monde-là les pertes de l’un sont les gains d’un autre, pourquoi la banque (son dirigeant véreux) ne donnerait-elle pas à tel ou tel l’occasion de gagner une montagne d’argent le jour du débouclage perdant, moyennant le versement d’une partie à celui qui a piloté et autorisé l’affaire. L’affaire du Crédit Lyonnais (1990-1996, prêter à quelqu’un de l’argent qu’il ne remboursera jamais, et en encaisser une partie) semblait si simple.

    Et puis il y avait eu l’affaire Nick Leeson à Singapour en 1995, quand un trader avait engagé au nom d’un client imaginaire la banque Barings pour plus que ses fonds propres ( https://shs.cairn.info/revue-l-economie-politique-2015-4-page-89 ) dans la complaisance totale de toute l’organisation jusqu’au jour où il y avait eu un contrôle sur une opération en retard de régularisation (anecdote: Nick Leeson qui fuyait Singapour avait acheté à l’aéroport un billet pour un vol quelques heures après. Mais il avait payé en liquide, ce qui avait fait réagir l’agent de comptoir qui avait demandé une vérification de l’identité du voyageur, et la police était arrivée avant le départ). J’imaginais que, depuis, les banques surveillaient de plus près leurs traders.

    Aujourd’hui je ne sais plus rien, la haute finance traitée dans l’article me dépasse. Tout ce que je sais de première main, c’est que les dirigeants (honnêtes et compétents) d’une banque ne travaillent pas en ayant vue sur tout. Fin des années 1990, je suis informaticien dans une banque régionale qui fait partie d’un groupe. Projet d’informatiser sérieusement le fonctionnement des prêts « exotiques », ceux de gros montant qui sont taillés selon les besoins du client. Je suis reçu par le directeur des crédits qui m’explique le but : lui donner enfin une bonne vision des chiffres, sans dépendre de la diligence des opérationnels. « Comprenez. La semaine dernière, quand j’ai présenté la situation au comité de direction, quelqu’un m’a demandé _ Le prêt de 100 millions à la municipalité de … , il est compris là-dedans ? _ . Et je n’étais pas sûr de ma réponse. Il faut que ça change. » En effet. Au moment où le démarrage a enfin eu lieu, « ma » banque était celle du groupe qui avait le plus augmenté ce mois-là son encours de prêts aux collectivités locales. C’étaient les prêts qui, pour une raison ou une autre, n’étaient auparavant pas intégrés aux chiffres globaux remontés au groupe.

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