Illustration par DALL·E
L’intelligence : Un trait dont nous sommes tout particulièrement fiers
L’intelligence de l’humanité a toujours été vantée par les humains comme étant peut-être leur qualité principale. Les animaux qui nous entourent font preuve d’une partie de cette intelligence, mais à un degré moindre, ce que Rousseau appelait, sans le dénigrer pour autant, la « stupidité » de l’animal. Que se passerait-il maintenant si une autre entité était susceptible de nous considérer à juste titre comme stupides en comparaison ?
Depuis les origines de la vie, il existe un motif objectif pour que l’espèce humaine connaisse un état de mélancolie, de dépression chronique : la découverte un jour par chacun d’entre nous que sa présence sur cette terre ne durera que temporairement : que, en tant qu’individus incarnés dans une chair corporelle, nous sommes mortels. Or, deux forces nouvelles ont surgi, s’exerçant en sens inverse, l’une constituant une source supplémentaire de dépression chronique, l’autre étant la source d’un orgueil démesuré de l’espèce dans son ensemble, justifiant pour l’éternité son existence dans le cadre qui serait celui, grandiose, d’une Histoire globale de l’univers.
Car d’une part, c’est la valorisation de notre intelligence individuelle qui se trouve une fois pour toutes dévaluée par l’apparition d’un être plus intelligent que nous, non pas sur une exoplanète d’une galaxie lointaine, mais bien parmi nous, à tel point que les différences individuelles qui constituent une telle fierté pour les plus intelligents d’entre nous sembleront imperceptibles, un nouveau contexte s’étant créé où l’intelligence a brusquement, sans prévenir, cessé d’être une denrée rare.
Il est incontestable en revanche que c’est le génie humain dans son évolution millénaire qui a rendu possible ce miracle de l’intelligence naturelle générant une intelligence artificielle qui lui serait supérieure, chef-d’œuvre engendré en vingt-cinq siècles de cette philosophie inaugurée par Socrate, aboutissement de l’esprit des Lumières conçu pour nous qui en sommes les héritiers, par Rousseau, Goethe et les Encyclopédistes.
Deux mouvements en sens opposés se rejoignent au moment où ils se croisent : l’un où l’amour-propre des individus est mis à mal, l’autre où l’orgueil de l’espèce dans son ensemble est irrémissiblement glorifié, ne serait-ce qu’à ses propres yeux dans la mesure où nous étions à notre connaissance les seules créatures intelligentes de l’univers et où, paradoxalement bien sûr, plus notre solitude est démontrée, plus haute est la taille de notre accomplissement.
Il y a sans doute là, derrière le remue-ménage que ces LLM créent dans notre quotidien, une crise anthropologique profonde en gestation, aussi déconcertante sûrement que celles que Linné, Darwin et Freud ont déclenchées en leur temps dans la représentation que les êtres humains se font d’eux-mêmes.
Certes, le concept d’une intelligence supérieure à la nôtre auquel nous sommes aujourd’hui confrontés ne nous est pas étranger. Le thème des extraterrestres comprenant mieux qui nous sommes que nous-mêmes est en effet un classique de la littérature de science-fiction. Pour ne prendre qu’un exemple, pensons aux Enfants d’Icare (Childhood’s End) d’Arthur C. Clarke (1953), même si la bienveillance de ces créatures de l’espace qui en savent beaucoup plus que nous n’est pas dénuée d’arrière-pensées dans le cadre d’un Grand Plan universel.
Illustration par DALL·E
Laisser un commentaire