Illustration par DALL·E
Freud : L’âme dans l’aire du soupçon
Ce que Linné et Darwin ont dû reconsidérer, c’est cette idée de l’Homme créé de manière entièrement séparée des « animaux vivants chacun selon son espèce, les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes sauvages de la terre selon leurs différentes espèces » (Genèse 1: 24). Le statut particulier de l’homme par rapport à la bête s’explique par le fait qu’il est doté d’une propriété à la qualité divine qu’aucune autre créature ne partage avec lui : l’âme. L’âme est l’essence du Soi, un centre de contrôle décisionnel inspiré par une conscience morale.
Conjointement et en deux étapes, Linné et Darwin avaient fait exploser le scénario biblique : Linné, par une classification statique basée sur la ressemblance, tandis que Darwin, avec la notion d’évolution, avait complété le portrait par une dimension dynamique. Ni l’un ni l’autre n’avait rien eu de particulier à observer quant à l’âme.
Avec Sigmund Freud (1856-1939), c’est cette fois cette notion d’âme qui est mise à mal. Une propriété constitutive de celle-ci est qu’elle est d’origine surnaturelle, autrement dit, rebelle à l’explication réductionniste de type scientifique que Freud entendait précisément proposer lui dans ce qu’il appelait sa « métapsychologie » : le modèle théorique qu’il proposait de la psyché.
Selon Freud, le mécanisme de prise de décision propre à chacun est partiellement opaque au Soi auquel nous nous identifions car les décisions effectives résultent d’un compromis entre trois forces aux objectifs divergents, issues entièrement ou en partie d’une source de nature inconsciente qui demeure à nos yeux une « boîte noire », pour emprunter à l’informatique l’un de ses concepts.
Le Ça, inaccessible à notre conscience, est de nature instinctive, incarnant les pulsions qui assurent conjointement la survie de l’individu et la perpétuation de l’espèce. Le Ça est guidé par un principe de plaisir réclamant une satisfaction immédiate. Le Surmoi, conscient pour partie, partiellement inconscient, est l’instance correspondant à la conscience morale de l’âme. Il s’est construit dans l’enfance et l’adolescence par l’éducation des parents et des maîtres qui l’ont bâti chez l’enfant sous la forme d’injonctions imprégnées d’un principe opposant le bien au mal, la vertu au vice. Le Moi chez Freud instancie le Soi délibératif, l’élément décisionnel de l’âme. Le Moi et le Surmoi sont des forces qui s’opposent à l’embrigadement du Ça au service du principe de plaisir car ils sont guidés par un principe de réalité en sens opposé, porteur des exigences du monde naturel dans sa dure réalité physique et du monde humain dans sa réalité sociale de compromis nécessaire entre la satisfaction des désirs propres de chacun et ceux d’autrui. Le Moi se distingue de l’âme d’antan en ce qu’il est, par contraste, le capitaine d’une embarcation rétive : il est certes à la barre, mais à bord d’un vaisseau prompt aux embardées intempestives, capable à l’occasion d’imposer les exigences de sa propre nature impulsive, fantasque, sensuelle ou agressive. Confronté aux visées souvent indociles du Ça et du Surmoi, le Moi n’en a pas la pleine maîtrise. Réside ici, une puissante source d’angoisse pour un Moi tiraillé.
Indépendamment de son essence surnaturelle dans le récit biblique, une propriété de l’âme allant sans dire est qu’elle est globale et sans faille. Chez Freud au contraire, le modèle de l’esprit humain révèle celui-ci comme fragmenté en éléments conscients et inconscients.
Avec la représentation de Freud, selon laquelle les pulsions ont une source inconsciente et constituent pour partie la force façonnant les décisions conscientes du Moi, c’est le statut de l’âme qui est cette fois fondamentalement remis en question. Si le comportement humain dans son ensemble a une détermination inconsciente, la notion de libre-arbitre devient floue, voire illusoire, quel que soit notre sentiment spontané d’un Moi conscient fermement aux commandes … à quelques hésitations près.
Illustration par DALL·E
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