UN NOUVEAU « NOUS » POUR DES TEMPS NOUVEAUX. VI. Linné : L’Homme descendu de son piédestal

Illustration par DALL·E

Linné : L’Homme descendu de son piédestal

La représentation biblique de l’homme comme créature spéciale aux yeux de Dieu a subi un grand choc en 1735, lorsque Linné (1707-1778) a classé l’espèce humaine parmi les animaux, en la désignant du terme Homo sapiens, en conformité avec son nouveau système de dénomination recourant à des mots latins.

Linné a classé les mammifères comme il l’avait fait pour tous les animaux, en fonction de la configuration de leur squelette, externe ou interne, en plaçant dans les mêmes familles ceux qui se ressemblent le plus. Pour les plantes, Linné utilisa une classification basée sur la similitude des organes reproducteurs : caractéristiques des fleurs et l’organisation même de leur appareil reproducteur, pistil et étamines, le cas échéant. Voici ce qui s’est passé selon Isabelle Charmantier :

« Linné a été le premier naturaliste à inclure l’homme dans le règne animal. En 1735, la classe dans laquelle Linné intègre l’homme s’appelle Quadrupèdes, et l’ordre : Anthropomorphes. Ultérieurement, Linné changera ces noms en Mammifères et Primates. L’ordre des Anthropomorphes comprend les genres Homo (l’homme), Simia (le singe) et Bradypus (le paresseux).

Le choix d’inclure l’homme parmi les animaux et les quadrupèdes n’a pas été unanimement bien accueilli. Dans une lettre datée du 1er septembre 1735, le naturaliste néerlandais Gronovius fit part à Linné de son désaccord avec sa décision d’inclure l’homme dans les quadrupèdes : « Car bien que l’homme occupe la première place parmi les animaux, il devrait en fait être considéré comme surpassant tous les autres êtres vivants qui ont été créés par Dieu pour le plus grand plaisir et le plus grand bénéfice de l’homme ». Dans une autre lettre adressée au naturaliste Johann Georg Gmelin de Saint-Pétersbourg, une douzaine d’années après la première publication de Systema naturae, Linné mentionne l’irritation persistante exprimée par les érudits, tout en mettant Gmelin et le reste du monde au défi de nommer une différence générique entre l’homme et le singe en se basant sur les principes de l’histoire naturelle.

Après avoir placé l’homme dans le règne animal, Linné le distingue des autres animaux de l’ordre des Anthropomorphes par sa capacité à « se connaître soi-même » (« Nosce te ipsum »). C’est cela qui a conduit Linné à attribuer l’épithète spécifique sapiens au genre Homo lorsqu’il commença à utiliser sa nomenclature binomiale dans les années 1750. Il a ensuite procédé à une classification plus poussée des humains, comme il l’a fait pour d’autres organismes » *.

Ignorant la différence essentielle que la possession d’un esprit crée entre eux dans la représentation chrétienne, Linné reconnaît les similitudes entre l’Homo sapiens et les singes anthropoïdes et déclare qu’ils appartiennent à une même famille. L’Homo sapiens se voit ainsi effectivement dépouillé de l’image privilégiée assumée par la vision chrétienne, selon laquelle le septième jour avait été entièrement consacré à sa création.

Voilà, avec Linné qui classe l’homme parmi les animaux, l’humanité reconnue comme membre à part entière d’un pan non négligeable de la nature. La création des 6e et 7e jours, deux processus distincts, est désormais considérée comme un processus conjoint unique : l’Homme est déchu du statut d’être unique créé à l’image de Dieu, il est intégré dans l’ordre naturel, alors qu’il avait été élevé par-dessus lui.

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* Isabelle Charmantier, « Linnæus and Race », The Linnean Society of London, 3 septembre 2020

Illustration par DALL·E

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2 réponses à “UN NOUVEAU « NOUS » POUR DES TEMPS NOUVEAUX. VI. Linné : L’Homme descendu de son piédestal

  1. Avatar de Vincent Rey
    Vincent Rey

    Quelle ne fut pas ma surprise, ayant affirmé que « l’homme descend du singe* » de constater qu’une petite moitié des stagiaires conducteurs de bus s’est levé de sa chaise pour venir résolument me démontrer le contraire !! J’en suis encore stupéfait !

    Le plus virulent était Jude, évangéliste pratiquant…mais il y avait aussi David qui était musulman ! Jude me riait au visage « mais Vincent, mais qu’est ce que tu racontes, l’homme ne descend pas du singe ! Ah non non non, l’Homme a été créé par Dieu… » et David me disait à peu près la même chose « Vincent c’est n’importe quoi ce que tu dis ! l’Homme ne descend pas du singe »..etc

    Reste à savoir quelle attitude il faut adopter pour contrer ces « arguments », un attitude qu’on peut généraliser à l’analyse de l’économie :

    – on peut dire : vous êtes des imbéciles et des ignorants, et alors les gens se braquent en pensant « ce type est un con qui ne comprend rien », bénéfice : nul

    – ou on peut poser une question qui instille le doute, ce que j’ai fait : « oui, mais alors Jude, il faut que tu m’expliques un truc : pourquoi dans la bible on dit que la création du monde et des animaux a 20000 ans, alors qu’on trouve des fossiles que l’on date au carbone 14 à des centaines de millions d’années. Les fossiles de trilobites par exemple datent de 500 ou 600 millions d’années. Les premiers hominidés comme « Lucie » sont eux même datés au carbone 14 de 5 millions d’années, voir plus…Dieu ne pouvait pas l’ignorer…et pourtant la Bible…

    J’étais content quand j’ai vu dans les yeux de Jude que j’y avais instillé le doute, en lui disant que personnellement, je faisais une grande différence entre « ce que je crois », et « ce que je sais ».

    Un citation de Papin (de mémoire) : il y a des gens « qui ne savent même pas ce que ça veut dire que de savoir quelque chose ». Et pourtant Papin était lui-même calviniste, peu pratiquant il est vrai…il avait aussi trouvé des fossiles de coquillages sur une grande colline où on creusait (pour y faire des jets d’eau façon Versailles à Cassel), et affirmé dans un courrier que la mer devait s’y trouver en des temps reculés…

    De même en économie, devant l’effondrement progressif du capitalisme, on peut avoir deux attitudes face au dogme ultra-libéral :

    – on peut dire « mais vous êtes cons ou quoi ? ne voyez pas que les meurtres et les trafics se multiplient, que le nationalisme reprend du poil de la bête dans tous les pays européens ? que les ultra-riches sont de plus en plus riches, et qu’il y a des robots logiciels et des machines partout pour faire tout le boulot ! »

    ou bien on peut dire :

    « Mais alors pourquoi, alors qu’on nous dit que nous sommes proches du « plein emploi », il ne reste qu’une vingtaine de millions de cotisants sur une population totale de 66 millions ? que font les autres pour vivre, lorsqu’ils ne sont ni étudiants ni retraités ni femmes au foyer ? »

    Ce que j’ai tenté de faire à France Inter cette semaine, en me faisant engueuler par la personne au standard ! => https://findutravail.net/index.html#piolle

    * pas tout à fait exact, l’homme et le singe ayant un ancêtre commun

    1. Avatar de Ruiz
      Ruiz

      @Vincent Rey L’Homme* et le Singe* sont frères* serait une meilleure formulation « l’homme et le singe ayant un ancêtre commun »
      * et la femme, et la guenon, et soeurs
      L’ambiguité et l’inexactitude de la formulation vient que la notion de singe désigne aussi bien les singes actuels (chimpanzé, bonobo, gorille, orang outan -homme des bois-) que l’ancètre hypothétique commun, le passage progressif insensible restant lacunaire fuyant et non documenté.
      S’il y a symétrie entre singe et homme on pourrait considérer que le singe descend de l’humanoïde (hominidé) , à la lignée de laquelle nous appartenons.

      « Le singe descends de l’homme » est une vérité tout aussi révélée par la Science et à laquelle nous pouvons croire.

      Le savoir n’est jamais que ce que nous croyons savoir.

      20 millions de cotisants sur 66 millions si l’on exclut les jeunes étudiants jusqu’à 23-26 ans et les retraités à partir de 60 64 ans , les femmes ou hommes au foyer, les riches (rentiers ?) qui n’éprouvent pas le besoin d’avoir une activité salariée ou indépendante, est on vraiment loin du compte.

      Le manque de cotisations n’est pas lié au faible nombre de cotisants, mais aux exonérations non compensées par l’impôt imposées au système social au nom du soutien, à l’économie de croissance et au plein emploi.

      Le capitalisme est il vraiment en train de s’effondrer ? Il a conquis la Chine, ouverte sur le monde et s’y est créé un système politique sui generis qui semble lui convenir.

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