Illustration par Stable Diffusion (+Banksy) (+PJ)
« Préservez-vous ! »
Deux mots prononcés par le président d’un groupe en forte croissance, à l’occasion d’une rencontre avec un cadre en poste depuis quelques mois. Deux mots prononcés en réponse à une remarque sur la charge de travail excessive.
Excluant de fait la responsabilité de l’entreprise, ces deux mots renvoient instantanément la problématique au seul individu. Un moyen, d’évacuer un sujet des plus délicats, et une injonction contradictoire pour ce cadre, laissé seul face à ce dilemme.
Dans cette structure à l’ascension fulgurante, l’activité première est de vendre du temps, sous forme de prestations intellectuelles, dans le cadre d’opérations complexes, engageant des investissements de plusieurs millions d’euros, et s’étalant sur plusieurs années. Les méthodes, procédures, outils pour compter le temps nécessaire au plus juste, sécuriser l’opération et préserver la marge, y sont finement élaborés, constamment interrogés, et systématiquement optimisés. L’ensemble ne servant qu’un seul objectif : pérenniser le résultat du groupe.
A l’heure où la performance est mesurée en quasi temps réel, informations quotidiennes sur le chiffre d’affaires réalisé, performances par métier, par service, par employé, aucun outil ne fait le lien avec le temps de travail effectif. L’effort consenti pour parvenir à un résultat donné ne fait pas partie de l’équation. Ainsi l’entreprise se refuse à porter une quelconque responsabilité quant à la question du temps de travail. Particulièrement s’agissant des cadres, renvoyés à leur contrat « au forfait » stipulant le nombre de jours travaillés par an, ainsi que, comme le prévoit le code du travail, au repos quotidien de 11h minimum. Repos matérialisé par une attestation de bon respect de la disposition, signée, a posteriori, chaque trimestre.
Les choix pour l’individu faisant face à une charge de travail excessive sont, de fait, limités et relèvent de sa seule responsabilité. Opter pour le surinvestissement ou dégrader la qualité de certains travaux ? Les risques associés, là aussi, à la seule charge de l’individu : épuisement professionnel culpabilité, prise de risque et charge mentale associée, désengagement, mise au placard, …
Dès l’instant que les objectifs portés par l’individu sont atteints, l’entreprise ne s’interroge que très peu sur l’investissement réalisé pour y parvenir, ce qui, d’une certaine manière, est paradoxal, car la surconsommation de temps pourrait tout à fait renvoyer à d’autres problématiques : méthodes de travail inadaptées, manque de formation, inadéquation à certaines missions confiées … Elle l’est d’autant plus, au regard des moyens déployés pour accompagner les individus dont les résultats ne sont pas satisfaisants : plan d’action, formations, coaching personnalisé. Toute une panoplie de mesures et d’outils sont mises en œuvre pour accompagner le salarié et permettre l’atteinte des objectifs.
D’autres modèles existent pourtant dans une structure associative, secteur d’activité similaire, but non lucratif, les contrats des cadres et des employés sont, de la même manière, bornés par un nombre d’heures hebdomadaires. En cas de dépassement, on comptabilise et l’individu récupère les heures accumulées sous forme de repos.
Là aussi, le temps est compté avec précision mais pour servir d’autres objectifs. Chaque heure consommée est affectée à l’une des nombreuses lignes couvrant l’ensemble des programmes portés par la structure, ou encore aux activités liées à la gestion et au pilotage. Ici, le monitorage du temps sert de multiples desseins : garantir que le temps prévu pour la mise en œuvre d’un programme est effectivement réalisé ; s’assurer du respect des temps de travail contractuel de chaque salarié ; mesurer l’adéquation entre le temps prévisionnel et temps de travail effectif ; sécuriser le budget de fonctionnement de la structure.
Dans le cas présent, la responsabilité du temps de travail est collective, assumée contractuellement et suivie quotidiennement, servant ainsi les intérêts de la structure quant à la bonne réalisation des missions dans les temps impartis, et ceux des travailleurs quant au temps de travail réel. Les écarts sont visibles de tous, assumés collectivement, et ainsi, les échanges permettant l’identification des causes et origines, inévitables. La responsabilité est partagée, les intérêts de chacun débattus, la recherche d’équilibre permise.
Dans les deux cas, il s’agit de modèle économique pérenne, respectivement 20 et 24 ans, mais fondamentalement différent dans leurs objectifs, l’un à but lucratif, l’autre non, l’un participe, par le biais de la croissance, à l’accumulation de richesse, l’autre poursuit des objectifs sociaux, environnementaux, et politiques.
Deux modèles d’organisations positionnés comme acteurs de la transition écologique, environnementale et énergétique.
Illustration par DALL·E (+PJ)
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