10e anniversaire : LA FINANCE CASINO RISQUE DE DÉTRUIRE NOS SOCIÉTÉS, par Denis Dupré, Marc Chesney et Paul Jorion, Le Temps, le 26 septembre 2012

La finance casino risque de détruire nos sociétés

Version papier dans le quotidien.

PAR DENIS DUPRÉ*, MARC CHESNEY** ET PAUL JORION***

Certains outils financiers sont à interdire. Exemple : les CDS nus, qui consistent à parier sur la faillite des États, devraient être prohibés dans la zone euro à partir de novembre 2012. Déjà la marine anglaise en 1745 punissait les joueurs lors de l’assurance de navires si l’assuré ne pouvait prouver son intérêt pour la cargaison. Combien de cargaisons de navires marchands anglais ne seraient pas arrivées à destination si les gouvernements avaient laissé les parieurs ramasser la mise, ayant payé des hommes de main pour couler les bateaux ?

D’autres pratiques devraient aussi être proscrites: lorsqu’une plus grande vitesse permet aux plus rapides de spolier les moins informés, quand le manque de transparence permet de manipuler les prix ou quand les parieurs dominent les transactions.

Un constat : le développement d’une zone grise a gangrené la finance. Les dark pools autorisés depuis 2007 en Europe permettent aux acteurs de rester anonymes. De même, le high frequency trading, par la vitesse de ses opérations, opacifie les marchés. Le mécanisme de formation des prix efficients, érigé jusqu’alors en dogme qui peut laisser croire à une « justice » du marché, vole en éclats puisqu’il suppose un accès public aux informations sur les transactions. Comment traquer les manipulations de marché et les délits d’initiés qui deviennent pratique courante ? En octobre 2011, le président de l’Autorité des marchés financiers française fait un terrible constat d’impuissance : « Alors qu’il nous faut plusieurs mois d’analyse pour démontrer une manipulation de cours faisant appel à des techniques de trading traditionnelles sur quelques minutes, est-il raisonnable d’imaginer démontrer d’éventuelles manipulations de cours liées à des pratiques de trading à haute fréquence ? »

Le phénomène des transactions déclenchées par des automates conduit à ce que les titres ne soient parfois plus détenus que pour des fractions de seconde. Inexistant en 2006, il représente aujourd’hui environ 60% des transactions aux USA et 33% en Europe.

Il déstabilise les marchés, comme on l’a vu lors du krach éclair du 6 mai 2010 aux Etats-Unis, où l’action d’Accenture est tombée à 1 cent, accompagnée de sept autres actions qui chutèrent de presque 100%. D’autres, telles qu’Apple, s’envolèrent pour dépasser les 100 000 dollars. Toutes les transactions ont été annulées, et ce, sans dédommagement. C’est un cas extrêmement rare dans l’histoire du capitalisme. Comment se fait-il que des transferts de propriété puissent être annulés par les autorités de marché ?

Le rapport d’analyse de la SEC a montré l’incapacité de tracer la plupart des transactions sur les dark pools. Aux USA, il a été décidé la création d’une « consolidated tape » qui devrait assurer la transparence sur les données de marché post-négociation. En Europe, aucun volontarisme de ce genre n’a été observé.

En guise de leçon du krach éclair, des financiers cessent de se référer à la théorie et expliquent doctement qu’il suffit d’introduire des coupe-circuits harmonisés entre plateformes en cas d’emballement des marchés. La recherche de prix efficients n’est plus invoquée car elle conduirait à interdire le HFT empêchant les gigantesques profits des acteurs les mieux informés.

Le shadow banking et les dark pools, comme les CDS nus, voire le HFT, contribuent à cette finance casino et devraient être interdits, comme les autres transactions ayant la capacité de gravement perturber les équilibres de nos sociétés.

Lorsque les pratiques financières n’ont pas d’effets perturbateurs sur les équilibres socio-économiques, deux cas de figure se présentent. Soit la société les juge légitimes ou utiles à l’économie et, dans ce cas, l’état les encadre, assure la fiabilité des transactions et prélève un impôt. Soit la société les considère comme illégitimes ou comme de simples paris entre spéculateurs sans effet bénéfique pour l’économie réelle, et décide de ne pas encombrer ses tribunaux avec d’éventuels conflits entre parieurs.

En justice, ne devraient être considérées que les transactions financières enregistrées sur une consolidated tape accessible à l’autorité de régulation et traitées par une chambre de compensation, où l’une des deux parties a pour objectif de couvrir un risque.

Le possesseur du titre veut pouvoir ester en justice s’il a été lésé par son intermédiaire, par le vendeur ou en tant que détenteur du titre. Sans le surplomb du tribunal, le volume de transactions illégitimes se dégonflerait.

Les tribunaux sont financés par les contribuables. Pourquoi ces derniers devraient-ils être mis à contribution pour veiller au bon déroulement de transactions illégitimes qui fragilisent l’économie réelle ?

Qu’on ne nous dise pas que les paris apportent la liquidité. Les marchés dérivés servent dans la grande majorité des cas à réaliser des paris et non à la couverture des risques des acteurs économiques et financiers. Ils augmentent le nombre d’acheteurs et de vendeurs. Malheureusement, en cas de crise, au seul moment où la liquidité serait absolument utile, ces paris assèchent au contraire les marchés. Lorsque des acheteurs sont désespérément recherchés, les parieurs, le plus souvent étranglés par leur endettement, vendent massivement.

Qu’on ne nous dise pas que les conflits entre parieurs n’ont jamais été boutés hors des tribunaux. Le Code civil français de 1804 spécifie l’exception de jeu qui fait que « la loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le paiement d’un pari ». En Grande-Bretagne, le Gaming Act de 1845, en vigueur jusqu’en 2005, a rendu le contrat de pari sans valeur de contrat légal et, par conséquent, sans recours devant les tribunaux.

Nous, experts en finance, ne souscrivons pas au soutien implicite offert par nos dirigeants à une finance destructrice du bien commun. Nous demandons à nos représentants d’interdire les pratiques de la finance casino qui perturbent les équilibres de nos sociétés et de veiller à ce que nos tribunaux ne traitent plus les litiges sur les paris illégitimes.

* Enseigne la finance et l’éthique à l’IAE de Grenoble et à l’Ensimag, titulaire de la chaire « Manager responsable » à l’Université de Grenoble

** Professeur de finance à l’Université de Zurich. Blog : responsiblefinance.ch

*** Chroniqueur au « Monde », rubrique Economie, et à «Le Vif/L’Express», tient le blog de Paul Jorion

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6 réponses à “10e anniversaire : LA FINANCE CASINO RISQUE DE DÉTRUIRE NOS SOCIÉTÉS, par Denis Dupré, Marc Chesney et Paul Jorion, Le Temps, le 26 septembre 2012”

  1. Avatar de Juillot Pierre
    Juillot Pierre

    Si il est des paris financiers, qui a « découvert » font mine de tous risquer, pour justifier sans avoir à s’excuser… de privatiser des dividendes indécents, sans mettre à nu, qui en dernier RECOURS (les NON RECOURS aux RSA, etc… vous disent quelque chose…?) les sauve eux « propriétaires privés d’actions, d’entreprises, de stock-option, salaires variables, retraites chapeaux/dorées, par capitalisation, de logements de « marchands sommeil »… des plus ASSISTES SANS CONTREPARTIES… plus facilement en tout cas qu’une gestion néolibérale d’une crise sanitaire, d’une urgence climatique… de perte de la biodiversité, sauve toutes les vies qui lui est possible… lors d’effondrement des services publics de santé, de l’assistance sociale… de l’éducation, du transport en commun… qu’en est-il de la spéculation à court terme des jeux politiciens préférant choyer en adversité et « majorité relative » ayant la « préférence nationale » (on parle de l’extrême droite/droite extrême « dédiabolisée »)…?

    Parions donc… d’espérer avoir tort concernant cette disruption de la réalité fictionnelle, ou d’une fiction dont il faut espérer qu’elle ne rattrape le réel…?

    « Fiction ou réalité… reste t-il une frontière… ?

    C’est l’histoire d’un mec, qui se réveil au lendemain des festivités organisées pour la victoire en demi finale, de son équipe favorite…

    Émergeant d’un caniveau inondé d’eaux souillées par des cendres, débris de toutes sortes, il a envie, mais surtout besoin, de croire une petite voix extérieure lui susurrant en boucle, que ce n’est pas du sang, et des larmes… qu’il essuie de sa bouche, de ses yeux, et de ses oreilles… et des « externalités négatives » de son « subconscient ». C’est de la faute d’un trafic de drogue, assène la « réalité augmentée » des médias mainstream.

    Sa conscience est telle… que la gueule de bois qui semble vouloir le terrasser, lui fait confondre la fierté d’un « ressenti » patriotique, avec une ambiance nationaliste aussi glauque que cette sensation étrange d’avoir des cheveux (et une couronne…?) qui lui poussent dans le crane…

    Se surprenant de s’être réveillé à deux pas d’un drame dont « l’actualité » des chaînes d’infos en continue, font leurs « choux gras », sur l’intrigue d’un incendie d’un immeuble de 7 étages, ayant causé la mort de 5 enfants de familles pauvres, précaires discriminées en toute impunité, et plus… qui ne connaîtront pas la fatale destinée des « désastreuses aventures, des orphelins… »… il se surprend à se rappeler à quel point il fut jubilatoire pour ses incertitudes…. d’avoir songer un instant, qu’il serait plaisant de pouvoir se venger d’être dans l’incapacité de suivre son équipe favorite au Qatar, comme un certain « Jupiter », « monarque républicain »… et d’autres « supporteurs privilégiés »… son « ennemi juré »…. se sont permis de le faire…

    Son esprit à peine repris… s’embrouille encore plus dans la brume « brune » ambiante laissant entendre en bruit de fond, la fureur d’une « voix off », « donneuse de leçons moralisatrices », entonnant en boucle des « justifications et excuses » laissant comprendre avec peine, et brouhaha chaotique, que « l’amour apolitique » du « monarque républicain » pour le sport, surtout le foot intronisé au Qatar, un « paradis fiscal » par excellence… transcende les problèmes et instabilités géopolitiques, les « guerres de civilisations », les crises et urgences énergétiques, climatiques, « sociétales »…

    Le sang froid de son « temps de cervelle disponible », de la « peur d’avoir peur » de n’être qu’une cervelle reptilienne ne craignant que de perdre son « pouvoir d’achat », et sa « légitimité » de se plaindre quoi… ne faisant qu’un tour dans le cœur du « culte féroce » des doutes, indécisions… qu’il voue avec une dévotion « héroïque »… une asservissement volontaire… un consentement aveugle… à la « DICTATURE des émotions » ne sondant que sa capacité à s’assimiler au « ras le bol fiscal », au « poujadisme », se suicidera t-il – comme une vraie IA pourrait le faire… ? – s’il découvrait qu’en réalité il est le joué de puissances ne jouant, ne spéculant, ne pariant que sur leurs « victoires » dans un « Monopoly des tricheurs »… ?

    Ou rêve t-il seulement à la prochaine beuverie de sang, de violence (et vacance au sport d’hiver, etc), à fêter au lendemain de la finale de ce mondial de foot se déroulant dans un trou noir de la finance étatisé… au cours de laquelle un « ex-pantoufleur du verrou Bercy » devenu « monarque républicain », ne manquera pas l’appel d’air… ? »

  2. Avatar de Henri
    Henri

    La tribune de messieurs Denis Dupré, Marc Chesney et Paul Jorion est remarquable tant au niveau de ce qui y est dit et dénoncé qu’au niveau de sa clarté d’énonciation.

    Comprendre et faire comprendre aux citoyennes et citoyens lambda est désormais une nécessité vitale.

    Merci à eux.

    1. Avatar de éponine
      éponine

      La tribune a paru dans les colonnes du Temps il y a dix ans exactement.

      Il serait temps que les gens percutent…

      1. Avatar de Henri
        Henri

        Eponine,

        Les  » gens  » ? … ou les dirigeants ?

        Avez-vous la réponse à la question éternelle de savoir comment on parvient à convaincre celles et ceux qui dirigent les nations ?

        Visiblement la seule raison y échoue.

        A moins qu’elle ne soit minoritaire et inaudible.

        Dix ans dites-vous ?

  3. Avatar de duretete
    duretete

    Spéculation: l’UE interdit les « CDS à nu »

    Par AFP
    Publié le 18/10/2011 à 21:07, mis à jour le 18/10/2011 à 21:53
    L’Union européenne a décidé mardi soir d’interdire des instruments financiers hautement spéculatifs, appelés contrats « CDS à nu », utilisés sur les marchés pour parier sur le défaut de paiement des États et accusés d’avoir amplifié la crise.

    Un accord de principe en ce sens a été conclu entre le Parlement et les représentants des gouvernements européens, à l’issue de longues tractations, a indiqué un porte-parole de la présidence polonaise de l’UE.

    « Le Parlement s’est battu pour mettre fin à la spéculation sur les dettes souveraines en Europe. L’interdiction des CDS à nu sur la dette souveraine est une grande victoire », s’est réjoui l’élu écologiste français Pascal Canfin, rapporteur du texte, qui s’était battu pour l’interdiction.

    Le Commissaire européen aux services financiers, Michel Barnier, a salué au cours d’une conférence de presse un « accord ambitieux qui marque le renforcement de la stabilité financière », y voyant « un signal important du volontarisme européen » à quelques jours d’un sommet crucial de l’UE sur la crise de la dette, dimanche.

  4. Avatar de Dimitri
    Dimitri

    C’était un dirigeant d’une multinationale française du Cac 40 qui disait qu’il n’arrivait plus à suivre ses cours en bourse à cause du High Trading Frequency et que même s’il subissait des manipulations, ce qui était le cas, il ne pouvait rien faire.

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