Il me semble que la démonstration du théorème d’incomplétude se distingue par une caractéristique tout à fait unique, à savoir celle de faire intervenir des phénomènes linguistiques et sémantiques trop peu étudiés et encore très mal élucidés et compris à ce jour.
Comme l’étude des machines à mouvement perpétuel, l’étude de cette démonstration est typiquement abordée selon deux approches différentes : (1) l’approche synthétique, paresseuse et intuitive qui, tout simplement, « ne parvient pas » à l’accepter, et (2) l’approche analytique, courageuse et rigoureuse, qui consiste à l’étudier en détail mais qui, le plus souvent au moins, n’y décèle aucune faille.
Dans le cas des mouvements perpétuels, l’approche synthétique et paresseuse consiste simplement à brandir le premier principe de la thermodynamique et à déclarer qu’il interdit l’existence de tels mouvements. L’approche analytique et courageuse consiste à étudier chacune des machines proposées et à identifier très précisément la faille conceptuelle qui interdit son fonctionnement. Mais certaines de ces machines sont si sophistiquées que l’approche analytique est un véritable casse-tête, au point qu’on serait presque parfois tenté de les réaliser concrètement pour vérifier plutôt l’absence de toute faille dans le premier principe de la thermodynamique ! Comme cependant ce dernier a été établi voici plusieurs siècles et mille fois vérifié, l’approche synthétique est aujourd’hui facilement acceptée par tous les scientifiques.
Dans le cas du théorème d’incomplétude, les mathématiciens privilégient l’approche analytique et rigoureuse, et les autres – dont je suis – l’approche synthétique et paresseuse.
Comme dans certains exemples de mouvement perpétuel, l’approche analytique de la démonstration du théorème d’incomplétude est très ardue, l’approche synthétique se bornant au contraire à invoquer un principe de haut niveau qui l’interdi(rai)t.
Mais ici, le problème est triple.
D’un côté, les mathématiciens sont très peu enclins à prendre en compte les (prétendus ?) problèmes linguistiques et sémantiques invoqués par les autres, considérant – très légitimement en l’état actuel des mathématiques – qu’ils ne sont pas de leur ressort, mais oubliant de ce fait que les mathématiques, en tant que langage, sont elles-mêmes soumises aux lois encore assez opaques de conservation du sens. De leur côté, les linguistes ne manifestent a priori aucune appétence pour l’étude des problèmes sémantiques que peut poser une assertion logique porteuse d’une autoréférence, étude dont tout semble d’ailleurs indiquer qu’elle s’annonce particulièrement complexe et délicate si l’on en croit les tentatives des logiciens, aussi nombreuses que divergentes, pour expliquer la genèse et l’essence du paradoxe du menteur. Enfin, les convictions personnelles des « paresseux » ne parviennent évidemment pas à contraindre intellectuellement qui que ce soit, hormis ceux qui les possèdent déjà bien sûr.
Par exemple, la conviction, qui est la mienne et selon laquelle le principe de causalité s’applique aussi au langage et notamment aux mathématiques (en interdisant au moins qu’une assertion auto-référente conserve systématiquement son sens et a fortiori sa valeur de vérité lors d’un transcodage) ne fait l’objet d’aucune démonstration ni d’aucune sorte de reconnaissance par la communauté scientifique.
Je peux toutefois donner, par analogie, un exemple du type de problème rencontré, le transcodage étant en l’occurrence illustré par une traduction irréprochable d’une langue dans une autre.
Si je dis « Dans la langue de cette phrase, le nom de l’astre du jour comprend six lettres », j’énonce une vérité. En effet, cette assertion est écrite en français, l’astre du jour est défini en français comme étant le soleil, et le mot « soleil » comprend bien six lettres. Par ailleurs, l’expression « Dans la langue de cette phrase » y joue bien le rôle d’une variable assurant une fonction d’autoréférence puisque, quelle que soit la langue X dans laquelle elle est écrite, cette expression désigne justement la langue X.
Or, cette assertion « transcodée » en anglais, à savoir « In the language of this sentence, the name of the day star is made of six letters », est fausse. En effet, le mot anglais auquel il est implicitement fait référence est le mot « sun », qui ne comporte que 3 lettres. Non seulement cette assertion « transcodée » en mandarin serait fausse, mais elle serait même surréaliste puisque le mot « soleil » se traduit dans cette langue sans le moindre recours à une quelconque lettre.
Je crains que nous ayons encore beaucoup de pain sur la planche !
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