COP26 : Comment Aristote nous joue des tours
Dans l’une de ses chroniques du Guardian, George Monbiot résumait ainsi la récente COP26 :
« De puissants gouvernements tentèrent de définir un compromis entre nos perspectives de survie et les intérêts du secteur de l’énergie d’origine fossile ».
Réaliser un compromis entre les positions de deux parties est l’approche consensuelle dans un « jeu à somme nulle » : où les intérêts des deux joueurs sont opposés, ce que je gagne tu perds, ce que je perds, tu gagnes. Le compromis s’obtient en réunissant les parties adverses autour d’une table et en atteignant par la négociation une position qui soit acceptable par les deux, même s’il ne s’agit pour aucune d’elles de la solution idéale.
Un ancien ayant encore connu la pêche à la sardine à la voile dans les années 1920 m’expliquait comment se fixait le prix à la conserverie : « On voyait le prix affiché pour un ‘mille’ (1.000 sardines) et on se mettait à gueuler. Le conserveur faisait entrer une délégation, et on disait : ‘À ce prix-là, c’est bien simple : on ne peut pas faire bouffer notre famille. On ne sort pas !’. Le conserveur disait : ‘Combien vous voulez ?’ On disait le prix et il criait : ‘À ce prix là, c’est bien simple, je peux pas : je ferme l’usine !’. Tout le monde se calmait et on finissait par tomber d’accord sur un prix ».
Chacun ayant lâché un peu de lest, le prix de la sardine se fixait sur une position « moyenne » entre les deux points de vue. Un « juste milieu » comme dit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, modulé par le rapport de force qui s’établit entre acheteur et vendeur parce qu’il y a, soit moins de sardines que ce que l’« usine » peut absorber, soit au contraire qu’il y en ait trop.
Et c’est donc ce qui s’est passé à la récente COP26 à Glasgow : un « juste milieu » entre les positions des environnementalistes et des milieux d’affaire.
Tout le monde devrait être content, n’est-ce pas ?
Sauf que l’enjeu de la COP26 n’était pas un « jeu à somme nulle », où il s’agissait seulement que les environnementalistes et les firmes mettent chacun « un peu d’eau dans leur vin ».
Pourquoi le « juste milieu » d’Aristote fait-il ici faillite ?
En raison de ce que les biologistes appellent la « capacité de charge pour une espèce » : ce que notre planète peut tolérer en termes de dommages qu’elle lui fait subir, avant qu’ayant épuisé son environnement, elle ne s’éteigne.
Des chiffres comme la quantité de C02 dans l’atmosphère, signifiant une augmentation de la température de tant de degrés, et une montée du niveau des océans de tant de centimètres, et se matérialisant en autant de centaines de millions de migrants à relocaliser, déterminent des seuils qui constituent un donné de nature physique et ne sont donc pas négociables. Ils sont indépendants de la bonne volonté que manifeste X ou Y : au-delà d’un certain chiffre, ils impliquent l’extinction de l’espèce, un point c’est tout.
On nous dit : « Un nombre impressionnant de nations se sont engagées à ce que leur niveau d’émission de gaz de serre se fixe à tel niveau en 2050, permettant que l’augmentation de la température du globe sur un siècle ne dépasse pas 1,5° ».
Pourquoi 1,5° ? Parce que, je cite le rapport : « le dépassement des 1,5°C aurait des conséquences irréversibles pour la planète ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Que si toutes les nations ne s’engagent pas ou, qu’une fois engagées, elles ne respectent pas véritablement leur engagement, l’augmentation de la température dépassera 1,5°, dès 2050. Or 1,5°, c’est déjà l’intolérable. Et « un nombre impressionnant de nations », c’est loin d’être toutes. Restera-t-il quelqu’un en 2100 pour encore être impressionné par le « nombre impressionnant » atteint à la COP26 ? Je ne suis pas prêt à le parier.
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