Retranscription de Réhabiliter la psychanalyse.
Bonjour, nous sommes le samedi 4 septembre 2021 et si je suis de bonne humeur, c’est essentiellement parce qu’il fait beau et, en Bretagne, où il fait toujours beau d’habitude, il y a de très beaux étés mais là, cette année-ci, ça n’a pas été terrible et là, ça fait trois jours durant que je vais me baigner. Je ne vais pas jusqu’à l’océan, ce qui me prendrait 25 minutes, mais je vais me baigner à 10 minutes de chez moi dans le Golfe du Morbihan et ça fait plaisir, ça fait plaisir. La dernière fois que j’ai pu faire ça, ça devait être les derniers jours du mois de [juillet] donc j’étais en manque et ça fait plaisir. Et aujourd’hui, il va faire beau aussi apparemment et je vais continuer d’en profiter.
Alors, de quoi est-ce que j’ai envie de parler ? Eh bien, aujourd’hui, je vais appeler ça : « Réhabiliter la psychanalyse ». Le 20 août – ça nous fait à peu près il y a 15 jours, je n’ai pas vérifié – j’ai fait une vidéo qui s’appelait : « La psychanalyse, est-ce que ça marche ? ». Voilà, et je demande des retranscriptions pour beaucoup de mes vidéos sauf quand c’est des trucs vraiment très éphémères et là, ça l’a été, la retranscription a été publiée le 24 août, 4 jours plus tard. Et le 27 août, je reçois un courrier, un mail d’un collègue psychanalyste qui me dit ceci, j’ai recopié ça, je vous le lis : « Je vous trouve gonflé de faire de la retape genre Pierre Daco, Les triomphes de la psychanalyse, mais ça vous ramènera quelques consultants c’est certain ».
Je ne sais pas qui est Pierre Daco. Je suppose que c’est un auteur qui fait des livres de vulgarisation sur différents domaines. « Les triomphes de la psychanalyse » ! Et la personne continue en me parlant de son parcours, pour devenir psychanalyste.
Je lui ai répondu du tac au tac, ça devait être dans la minute où j’ai lu son message parce que je n’étais pas content. De la retape ! « Je vous trouve gonflé de faire de la retape ». J’ai répondu ceci : « De la retape ? J’ai un autre nom pour ça : tentative solitaire de restaurer la réputation de la psychanalyse réduite à néant par deux générations de psychanalystes médiocres » [rires]. La personne s’est amadouée parce qu’elle m’a répondu : « Seul contre tous ? Ça arrive mais c’est rare ». J’ai répondu aussi : « Seul contre tous m’a toujours très bien réussi », voilà. Et la personne termine l’échange : « Pas faux, c’est pour ça que je vous ai qualifié de franc-tireur ». Bon, donc, les choses se sont… Ma réponse du tac au tac a eu l’effet espéré, c’est-à-dire de désamorcer cette attaque assez vicieuse, de croire que je fais ça pour me faire un fonds de commerce parce qu’il n’y aurait rien dans la vie que je pourrais faire, ce qui est un petit peu, ne m’en voulez pas monsieur, mais c’est un peu ce qui transparaissait dans ce que vous avez raconté de votre propre carrière.
Mes rapports avec la psychanalyse sont d’un tout autre ordre. Je vais peut-être commencer par ça. Je voulais parler de ça en terminant mais on va peut-être le faire tout de suite. C’est vrai que je ne me suis pas dit : « Je vais devenir psychanalyste, avoir fait toutes les formalités, la psychanalyse didactique et puis m’être installé pour devenir psychanalyste ». Non, ça c’est fait tout à fait autrement. J’ai déjà raconté ça par bribes et morceaux mais enfin bon, toujours est-il que je m’intéresse beaucoup à ce que dit Freud. Je commence à lire ça et là, j’ai l’impression que j’ai affaire à un vrai savant contrairement à ce que je vois dans…(je vais encore vexer pas mal de gens !), je vois ça dans le domaine des sciences humaines, des gens autour de moi : il y a de vrais savants et de manière parfois peut-être un peu inattendue si je donnais des noms ce ne serait peut-être pas ceux qu’on attendrait. Il y a aussi les faux savants et là aussi, ce ne serait peut-être pas… Il vaut mieux que je ne donne pas les noms parce que là, c’est des gens reconnus, etc. et aussi – et ça, c’est un peu le… c’est comme ça que j’ai commencé à m’attaquer au théorème de Gödel : il y a aussi beaucoup de réputations surfaites dans le domaine de ce qui est considéré comme les sciences dures, il y a beaucoup de fantaisistes, et donc ça vous le savez, pour le moment, je suis en train de continuer à écrire là-dessus avec l’aide d’une mathématicienne-informaticienne. Bon, ce n’est pas de ça que je veux parler aujourd’hui.
Donc, je fais une première psychanalyse à Bruxelles. Ça doit faire de 1971 à 73. J’interromps ça pour aller faire du travail de terrain, pour devenir pêcheur pendant un an et demi à l’Ile de Houat qui se trouve ici, à une encablure, et là, j’en tire la conclusion que la psychanalyse, ça ne sert absolument à rien. J’ai parlé, j’ai bavardé pendant un an et demi et voilà. Bon, je continue à avoir une bonne opinion de Freud. Il s’est fait qu’en 1972, j’ai eu l’occasion de rencontrer Lacan et là, il y a quelque chose qui a un peu établi ma réputation dans le milieu de la psychanalyse pour une raison, j’allais dire « accidentelle », mais ce n’est pas accidentel du tout, je vais raconter de quoi il s’agit. Il s’agit donc que Lacan vient en Belgique. Il fait une petite tournée. C’est l’occasion où, à l’Université de Louvain, il fait sa fameuse conférence sur la mort. Si vous n’avez jamais vu ça, il faut le regarder.
[Lacan à Louvain, le 13 octobre 1972. La caméra qui balaie la salle s’arrête sur moi à la gauche de l’écran 4m27-4m33]
Ça m’a fort inspiré, ça me fait penser que quand je fais des réflexions ces jours-ci sur le rapport des êtres humains par rapport à la mort, c’est fort inspiré, enfin je ne recopie pas, c’est pas de la simulation de ce qu’a dit Lacan. C’est inspiré comme je le dis et c’est inspiré aussi fort par les réflexions de Rousseau bien entendu, Jean-Jacques Rousseau sur l’homme et la mort mais donc, il se fait qu’en 1972, Lacan vient faire cet exposé à Louvain et la veille ou le surlendemain, je ne sais pas, ou le lendemain [correct], il va s’adresser aux jeunes psychanalystes belges. Bon, je ne suis pas encore psychanalyste mais il y a les grandes vedettes de la psychanalyse en Belgique : [Jacques] Schotte (1928-2007), [Antoine] Vergote (1921-2013), [Alphonse] De Wahlens (1911-1981) protègent sous leurs ailes quelques poussins et j’ai été retenu parmi, si j’ai bon souvenir, une demi-douzaine de jeunes qui se préparent à la psychanalyse – on est en 1972 – à rencontrer Lacan et à bavarder avec lui et là (vilain coco !), je fais exactement ce que j’ai fait quand j’ai été au séminaire de Lévi-Strauss en 1969-1970, qui est probablement la raison pour laquelle il m’a pas réinvité l’année suivante [rires] : je dis ce que je pense, voilà. Je suis un jeune qui ne sait encore rien, qui a encore du lait derrière les oreilles comme diraient les ainés qui sont là et je pose des questions. Je dis : « Moi, il me semble que ceci ou cela » et là, et là, avec Lacan, se passe la même chose, si bien que, de fait, je monopolise la discussion avec Lacan.
C’est un texte qu’on trouve toujours. Séance extraordinaire de l’École belge de psychanalyse, le 14 octobre 1972. Paru dans Quarto (supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981, n° 5, pp. 4-22). Je crois qu’il y a à peu près un tiers ou la moitié qui sont simplement un échange entre Lacan et moi [plutôt les deux tiers]. On ne se connait pas à ce moment-là. J’aurai l’occasion de le rencontrer ensuite puisque je collaborais de manière très étroite avec sa fille [Judith Miller]. J’aurai l’occasion de le voir comme ça dans des cocktails et des machins par la suite mais là, je lui dis ce que je pense. En particulier, je manifeste mon peu d’enthousiasme pour la psychanalyse telle que je la connais à ce moment-là et là, il s’énerve un peu : il m’appelle : « Mon cher ami ». Il y a exactement une différence de 50 ans entre nous [non : 45], un demi-siècle, ça permet une bonne discussion et donc, voilà. Et donc, Lacan est venu en Belgique et il a essentiellement discuté avec Jorion [ce jour-là].
Du coup, je suis connu dans le milieu des Lacaniens. Je suis invité. Je deviens rédacteur pour l’anthropologie dans la revue « L’âne » qui est une très belle revue qui dure de nombreuses années et, comme je vous l’ai dit, je suis en très bon rapport avec la famille. Il se fait qu’au moment où les Nations-Unies me chassent ignominieusement de ma mission en Afrique, [j’ai raconté ça ]sur un mode autobiographique sur mon blog, à ce moment-là, Jacques-Alain Miller me dépanne sur le coup en me confiant un enseignement à Paris VIII, au département de psychanalyse. Il me demande de donner un cours sur « psychanalyse et anthropologie », ce que je fais évidemment bien volontiers. Et il m’invite aussi à son séminaire. J’ai rencontré encore récemment quelqu’un qui me dit : « Ah, j’étais là au séminaire que vous avez donné chez Jacques-Alain Miller ! » où j’ai fait une réflexion sur la parenté. Là, j’ai fait un bon boulot je crois, je dirais, de mettre ensemble ce qu’on peut tirer de l’anthropologie et la psychanalyse mises ensemble [« L’inscription dans la structure de parenté », Ornicar N°31, 1984].
Et puis voilà ce qui se passe : c’est qu’en 1987, à ce moment-là, j’ai une amie qui est devenue psychanalyste aux États-Unis et qui me dit : « Alors, toi et la psychanalyse ? » et je dis : « Bah, c’est intéressant, j’ai vu ça… mais voilà… ». Elle dit : « Non non non non, eh oh, c’est un truc sérieux, ça marche, c’est bien ! ». Je dis : « Ce n’est pas ce que j’en ai vu ». Elle me dit : « Si si si, il faut absolument… Voilà, il y a un type qui est passé ici à Boston, un Français, Philippe Julien. Va le voir : rencontre-le au moins une fois. Promets-moi ça ». Alors, je jure devant Dieu et compagnie que j’irai voir Philippe Julien. Je vais voir Philippe Julien et je retourne la fois suivante et je fais une analyse de 4 ans ou 5 ans. Je ne sais plus si ça se termine en 1991 ou en 1992. Je fais une analyse avec lui donc sur 4 ou 5 ans.
Je parle beaucoup maintenant de psychanalyse courte, je l’ai dit déjà l’autre fois, on pourrait me dire : « Oui, mais vous, vous ne faites pas ça! ». Oui, mais bon, moi, c’est différent, c’est différent d’abord parce que, au moment où j’ai le sentiment que l’analyse est en fait terminée – et elle est terminée pour la raison que j’ai dite, parce qu’il y a eu une remontée systématique et tout à fait, je dirais, exhaustive des souvenirs d’enfance qui remonte petit à petit : à 3 ans, 2 ans, 3 semaines et qui culmine dans cette expérience dont – je l’ai dit la fois dernière – je ne crois pas que Julien – ni moi – aurions dit : « La psychanalyse, ça permet de revivre sa naissance ». Mais a moment où ça se passe, je lui pose la question. Je dis : « Est-ce que c’est ma naissance que je suis en train de revivre ? » et là, après une toute petite hésitation, il dit : « Oui, c’est ça qui est en train de se passer » et donc, là, voilà, j’ai la confirmation d’un tiers qu’on est bien remonté au début.
Il y a quelqu’un qui m’a écrit : « Oui, mais moi j’ai un souvenir de quand ma mère était enceinte de 7 mois, je me souviens d’un truc ». C’est possible, pourquoi pas. Pourquoi pas ? Dès qu’il y a quelque chose comme un cerveau, avec des neurones, capable d’enregistrer de la mémoire, pourquoi pas ? Je crois qu’il ne s’est pas passé grand-chose dans les 9 mois où j’étais à l’intérieur [rires] et donc, il est possible que simplement, je n’aie rien retenu parce qu’il n’y a rien eu de marquant.
Quand je dis, je répète ça, « de la retape », moi, j’ai un autre nom pour ça : « Tentative solitaire de restaurer la réputation de la psychanalyse réduite à néant par deux générations de psychanalystes médiocres », pourquoi ? Pourquoi je dis ça ? Parce que je continue quand même à regarder un peu ce qui se passe du côté de la psychanalyse, en particulier en France, et je vois apparaître avec consternation que des vedettes de la psychanalyse en France disent, réfléchissent à « analyse terminable ou interminable » en disant : « Oui, on ne sait pas trop ». D’autres aussi, de grandes vedettes qui disent : « On ne sait pas trop ce qui se passe dans une psychanalyse », d’autres qui font aussi dans des textes comme ça des remarques qui me font comprendre que leur analyse à eux a été du niveau – alors qu’eux forment des psychanalystes – a été du niveau de ma première expérience à moi, c’est-à-dire qu’il ne s’est rien passé, qu’ils n’ont pas fait une vraie analyse, que leur analyse a été complètement ratée et ce sont ces gens-là qui ont formé ces deux générations de psychanalystes.
Bon, on a dû me pousser un peu, en me disant que je faisais de la retape quand je dis du bien de la psychanalyse, pour que j’éclate et que je dise : Non, j’essaye de réhabiliter un domaine. J’essaye de restaurer l’image qui n’aurait pas dû disparaître, de la psychanalyse. Cela dit, bon, le métier de psychanalyste, c’est comme n’importe lequel. J’ai travaillé dans des tas de métiers différents : j’ai travaillé dans la banque, dans l’Organisation des Nations-Unies, dans des universités, dans des boîtes privées. La règle qu’il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas ce qu’ils font, malheureusement, malgré le type de recrutement pour la psychanalyse par apprentissage, ça continue à fonctionner. Il y a beaucoup de gens qui font un métier qu’ils ne comprennent pas et qui ne le font pas bien. Je ne vous apprends rien. Si vous êtes plombier, vous savez que c’est vrai aussi dans votre domaine. Et si la transmission se fait par des gens qui ont raté leur psychanalyse, ça va véritablement faire du dégât, si bien que quand il y a des attaques qui arrivent de l’extérieur, d’une part, elles sont partiellement justifiées et, d’autre part, il n’y a personne qui se lève pour défendre avec des arguments convaincants. Bon, ce n’est pas ça que j’essayais de faire le 20 août avec ma vidéo mais il se fait que, voilà, j’irrite un psychanalyste qui me répond sur un ton courroucé et du coup, ça, ça me conduit à faire l’exposé d’aujourd’hui.
Il y a un autre élément… Je n’aurais pas fait l’exposé d’aujourd’hui s’il n’y avait pas eu hier la fin d’une analyse avec un analysant et quand je parle de ça, vous le savez, je respecte toujours un anonymat absolument total. Je ne dis rien qui puisse révéler d’une manière ou d’une autre qui est la personne mais j’ai noté un certain nombre de… Enfin, je prends énormément de notes. En fait, j’écris de manière quasi-permanente quand les gens parlent, sauf s’ils partent vraiment sur des voies de garage ou s’ils racontent des anecdotes dont je perçois au bout d’un moment qu’elles n’auront aucun rapport avec une psychanalyse mais sinon, je prends énormément de notes et là, dans la séance d’hier, la personne me dit assez rapidement, je ne sais pas, au bout de 20 minutes, me dit : « C’est terminé ». Bon, « c’est terminé ». Alors, je l’écoute, ça fait partie de mon rôle d’écouter, C’EST mon rôle d’écouter et un peu plus tard dans l’analyse, la personne dit : « Voilà, j’ai le sentiment d’avoir terminé avec cet épisode » donc l’atmosphère est là, qui va conduire à la question au moment, à la fin, au moment où je donne en principe un nouveau rendez-vous, où je vais dire (ça fait partie de l’interprétation) : « Vous avez dit : ‘C’est terminé’. Vous avez dit : ‘Voilà, j’ai le sentiment d’avoir terminé avec cet épisode’. Est-ce que vous voulez un nouveau rendez-vous ? Oui ou non ? ».
Il y a des moments où, par exemple, dans une séance où moi je ne suis pas très regardant sur le fait de déborder un peu de 5 minutes ou 10 minutes (je m’arrange toujours pour qu’il n’y ait pas un analysant ou une analysante juste après) mais enfin bon, on est souvent au milieu d’une exploration donc ce n’est pas terminé mais là, c’est terminé : la personne dit : « C’est terminé. J’ai le sentiment d’avoir terminé avec cet épisode » et je dis oui. Je dis oui et je confirme, je dis : « Il s’est passé ceci et cela. Vous étiez venu avec une question qui était la demande au départ. Une réponse a été donnée à cette question ». Je récapitule quelques étapes en disant : « Voilà, nous sommes arrivés à ce moment donné là et puis là, effectivement, pour ce qui est de la demande, de la chose qui vous a fait communiquer avec moi, me contacter, là, nous avons effectivement fait le boulot ». Je ne dis pas ça comme ça [rires] : je fais mon métier « avec une cravate ».
Bien, et donc, et à ce moment-là, pour être sûr qu’il n’y a pas eu précipitation, un nouveau rendez-vous a été pris dont il est là, à ce moment-là, suggéré qu’en toute probabilité, il sera le dernier ou, au moins pour l’épisode parce qu’il est dit : « D’avoir terminé avec cet épisode ». Cela, je le dis aussi aux personnes quand on termine une session, une suite de séances : « N’hésitez pas à me revenir s’il y a une autre question qui se pose. On verra à ce moment-là ». Bien, et du coup, il reste un peu de temps et du coup, la personne fait des commentaires : des commentaires sur l’analyse, sur laquelle nous sommes d’accord, en tout cas pour l’épisode qui avait justifié la demande : c’est terminé.
Et là, j’ai noté ça aussi. La personne dit : « J’avais fait une autre analyse et je suis content du travail qui avait été fait, l’analyse qui avait eu lieu avant, mais d’une certaine manière, j’avais quand même été déçu et l’expérience actuelle me réconcilie [avec la psychanalyse] ». Donc là, on est dans le même schéma que moi avec mon premier analyste et puis avec le second. J’aurais pu dire la même chose : que la première m’avait déçu – d’ailleurs, je vous l’ai dit tout à l’heure – et que l’expérience actuelle m’a réconcilié : celle que j’ai eue avec Philippe Julien.
Et là, la personne caractérise un petit peu ma manière de faire. Il avait eu affaire à un psychanalyste ou une psychanalyste qui essentiellement était silencieux, ne disait rien et là, il fait, mon analysant, il fait allusion à ce que j’appelle ma « méthode Sherlock Holmes ». Il dit : « Vous posez les questions. Vous demandez des dates. Vous demandez des informations sur des personnes » et il me rappelle un épisode et là, je ne vais pas dire de quoi il s’agit parce qu’il y a un élément qui me ferait peut-être sortir involontairement de l’anonymat donc je ne le dis pas mais voilà, donc, quelque chose que je fais qui l’a sidéré. D’ailleurs, quand je l’ai dit, je me souviens, il me l’a fait répéter. Il a dit : « Euh… vous avez sans doute voulu dire autre chose ? », c’est-à-dire qu’il me donnait une chance de me ramener dans un cadre d’une psychanalyse décevante du type habituel et j’ai dit : « Non ». Je lui ai dit : « J’ai véritablement dit ça ».
Il fait quelques remarques en disant : « Vous arrivez véritablement à soulager. Ce que vous faites a véritablement un effet thérapeutique ». Il dit : « Ce qui m’a sidéré, c’est la rapidité avec laquelle vous m’avez rétabli ». Alors, j’ai regardé ce matin la date. Effectivement, on a commencé le 10 août et on est aujourd’hui le 4 septembre, donc c’est moins d’un mois, c’est quelques semaines. Ce n’est pas qu’il ne s’est rien passé : il s’est passé énormément de choses. Enormément de choses ont été dites. Souvent, ça a été des séances où j’ai laissé carrément déborder parce qu’il y avait encore des choses à dire du côté de l’analysant et à écouter de mon côté donc ça a été, voilà, ça a été un peu au pas de charge, mais c’est vrai, c’est sur une période de moins d’un mois.
Et là, la personne fait allusion à ce que j’avais dit, je ne sais pas si c’était dans la vidéo ou bien dans un petit texte que j’avais fait à côté, il dit : « C’est vrai que vous gâchez le métier ». Je gâche le métier justement en faisant des analyses très très courtes et ce n’est pas parce que je veux qu’elles soient courtes, c’est parce que je veux qu’on ne perde pas de temps. Ça ne veut pas dire que je n’aurai pas un analysant qui restera des années. Ça, je n’en sais rien. Il y en a un autre en ce moment qui va aussi au pas de charge depuis plus longtemps mais où il reste encore énormément de matériau et là, je ne sais pas, on va peut-être arriver à atteindre une année mais même si on atteint une année, ça n’aura pas été avec de grands silences. Ça aura été vraiment au pas de charge, au pas de charge.
« La rapidité avec laquelle vous m’avez rétabli », et donc, effectivement, moins d’un mois. « C’est vrai que vous gâchez le métier, vous faites des tas de choses dont on dit dans la profession qu’il ne faut surtout pas les faire ». Et là, alors, je lui réponds sur cette question du contre-transfert. La question du contre-transfert, c’est ce que l’analyste, il ou elle, va mettre dans la relation et qui va peut-être le faire déborder, sortir de son rôle et ça, on connaît des histoires à l’infini de psychanalystes qui finissent par coucher – excusez-moi de l’expression – avec leur analysante, de choses qui débordent, de gens qui se marient, etc. et ça, bien entendu, on ne peut pas faire le métier comme ça. Si vous prenez quelqu’un en analyse, ce n’est pas quelqu’un que vous épouserez par la suite. Désolé, il faut en faire le deuil : ce n’est pas comme ça que ça marche. Ou alors, allez, j’offre une possibilité, alors 20 ans plus tard peut-être. Non, il ne faut pas, il ne faut pas sortir de ça et là, quand mon analysant me dit que, là, je n’ai pas respecté des règles de l’ordre du contre-transfert, là, je lui dis que c’est parce que je sais ce que je fais et je lui donne un exemple. Je lui parle de la séance précédente. Je dis : « Vous voyez qu’à ce moment où vous dites ceci, j’aurais pu dire du tac au tac cela, mais j’ai voulu attendre qu’une autre occasion se présente dans la séance. Il fallait qu’à propos de ce mot [très inattendu] que vous aviez dit, au lieu que je dise : ‘Qu’est-ce que ça veut dire ? etc.’. Au lieu de vous cuisiner, il fallait que j’attende qu’il revienne spontanément dans la séance, ce qui n’a pas manqué d’avoir lieu bien entendu ».
Et donc, voilà, je dis : « C’est parce que j’ai 75 ans. C’est parce que je sais que je peux me faire confiance sur ce plan-là ». Et ça, c’est l’avantage aussi d’une analyse réussie, c’est qu’il y a la part apprentissage mais il y a aussi tout ce qu’on sait sur soi-même qui fait que, si on avait des tendances à déraper dans tel ou tel type de tournants, on est prévenu. On ne le fait pas et du coup, on sait comment on peut peut-être sortir du cadre tel qu’il est défini je dirais. Mais quand je dis ça, c’est de manière tout à fait minime. On raconte que Freud mangeait des harengs un jour en faisant son analyse et a proposé à son analysante si elle ne voulait pas partager. Ce que je fais moi est très très loin encore d’être de cet ordre-là ! Non, c’est sur le mode d’éventuellement dire : « Je pense personnellement que… », de pouvoir le mettre en scène en sachant être quand même sur des rails, en sachant jusqu’où je peux aller trop loin en faisant ça, et en évitant soigneusement de le faire.
Qu’est-ce qu’il y a encore comme remarque ? Oui, la dernière remarque, quand il dit : « Cette analyse a été très rapide (effectivement : moins d’un mois), on se rend compte du coup de la perte de temps que des analyses comme elles sont faites d’habitude représente ». Il ajoute, à très juste titre : « Pour les deux, pour l’analysant et pour l’analyste ». Ce qu’il y a, c’est que l’analyste, souvent, n’a pas un autre métier, que c’est ça qui le fait vivre ou la fait vivre et qu’il y a une tendance, comme ça, je dirais « mercantile » à vouloir faire revenir la vache à lait qui va continuer à payer pour des séances. Alors, comme à la limite moi, je pourrais me dire : « Oui, mais pendant les séances, je ne peux pas continuer à écrire sur le fondement des mathématiques ou faire de la recherche en Intelligence Artificielle », je n’ai pas du tout cette tendance à dire : « Voilà : il y a le tiroir-caisse. Il ou elle dit n’importe quoi mais le tiroir-caisse fonctionne ». Non, mon temps est précieux. Le temps que je consacre à ça est rémunéré, c’est normal, mais je ne veux pas que ça dure, je ne veux pas tirer en longueur, je ne veux pas qu’un analysant ou une analysante soit une vache à lait d’une manière ou d’une autre. Je suis là, voilà, comme il le dit, pour soulager, pour un effet thérapeutique.
Et alors là, il termine en disant : « Votre manière de faire, elle est révolutionnaire ». Elle n’est pas révolutionnaire du tout parce que si vous comprenez comment Freud opérait – et certains des meilleurs autour de lui – vous comprenez que ce n’est pas révolutionnaire. Non, c’est revenir aux sources. Je dirais, c’est comme le christianisme : quand vous revenez à l’Evangile de Saint-Matthieu, il n’y a pas grand-chose à critiquer dans l’Église, soyons sérieux. Si vous prenez le discours sur la montagne, ça vaut quand même mieux, soyons honnêtes, ça vaut mieux que la plupart des plateformes des partis aujourd’hui. Ce qui est douteux, c’est tout ce qui s’est passé après, voilà, c’est tous les messages qui sont passés ensuite. Bon, allez, je fais exception pour Saint-Thomas d’Aquin et quelques personnes que j’aime bien dans l’Église et quelques papes qui ont poussé les choses dans le bon sens au XVII-XVIIIe siècle. Mais non, à part les harengs qu’il offrait à ses patients – et ça, je n’offre pas à manger ni à boire à quelqu’un dans une séance, on est quand même devenus plus sérieux sur ce point-là – mais non, j’ai l’impression qu’il n’y a rien de révolutionnaire. Je fais une analyse comme devait le faire Sigmund Freud, comme je fais de la logique comme le faisait Aristote. Quand il y a un bon exemple dans l’histoire, il ne faut pas se casser la tête et voilà, chercher des tas de personnages intermédiaires. Non, il faut aller à la bonne qualité là où elle se trouvait.
Et là, il termine en disant : « La manière dont vous le faites, il faut la transmettre et la conceptualiser ». Eh bien, je l’ai peut-être… « conceptualiser », voilà, je suis en train de le faire aujourd’hui, ce matin, et comme je l’avais peut-être fait dans ma première vidéo [La psychanalyse, est-ce que ça marche ? ], de dire, réfléchir tout haut, voilà, merci monsieur ! Conceptualiser ? Je vais continuer de le faire comme je le fais en ce moment-même. Transmettre ? Transmettre, ça peut se transmettre si cette personne qui a fait son analyse avec moi en quatre semaines, un peu moins d’un mois, si cette personne devient un jour un analyste, je suis sûr qu’il y aura quelque chose qui aura été transmis, voilà, ça c’est clair.
Le moment est venu de conclure. Merci au psychanalyste qui, en m’énervant, m’a obligé à dire : « Restaurer la réputation de la psychanalyse réduite à néant par deux générations de psychanalystes médiocres ». Il fallait le dire donc je l’ai dit aujourd’hui mais il ne faut pas s’arrêter là et réhabiliter, oui réhabiliter la psychanalyse, faire tomber ces moulins à vent de gens qui disent que Freud avait assassiné son père et sa mère, que d’ailleurs, ça n’a servi à rien, etc. Non, c’est un très grand savant. En ce moment, quand je travaille en Intelligence Artificielle – et comme depuis le début de mes travaux en Intelligence Artificielle – c’est la réflexion de Freud et sa réflexion de type scientiste carrément, dans son Esquisse d’une psychologie scientifique, un ouvrage [de 1895] qui n’a été publié qu’en 1950 parce que c’est un manuscrit qu’il n’avait pas voulu publier de son vivant et qui est une réflexion véritablement de neurophysiologue sur comment ça fonctionne dans le cerveau et qui m’avait fort inspiré pour mes recherches de 1987 à 1990 qui avaient conduit à ce livre, au projet ANELLA et au livre : Principes des systèmes intelligents (1989). C’est de la science, c’est peut-être de la science dépassée pour ce qu’on sait sur le système nerveux mais c’est de la science sérieuse, je dirais même un peu pointilleuse, un peu tatillonne. C’est du travail sérieux et ça peut servir, comme à l’équipe italienne avec laquelle je travaille sur ces questions-là maintenant, ça peut servir d’un très solide point de départ. Donc beaucoup de choses, beaucoup de bien à dire de la psychanalyse, pas nécessairement des psychanalystes mais de la psychanalyse et, si l’occasion se présente, j’y reviendrai.
Allez, à bientôt !
Laisser un commentaire