Le 27 juillet, je publiais ici un billet intitulé « Présidentielle de novembre : le spectre du pat de 1876 » qui décrit parfaitement la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Je ne suçais pas cela de mon pouce : je me contentais en fait de vous communiquer l’analyse faite par Lawrence Douglas, professeur de Droit à Amherst College dans le Massachusetts.
Petite valeur ajoutée tout de même de ma part, la dernière phrase de ce billet : « Tout ça est trop machiavélique pour un crétin comme Trump me direz-vous ? Pour un crétin comme Trump, oui, mais pas pour un conseiller de Trump aussi avisé que Steve Bannon. » J’ai donc été conforté tout à l’heure de lire dans The Washington Post : « De plus en plus, Trump n’entend que des aides qui soutiennent que l’élection n’est pas terminée. Il garde espoir pour le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, en grande partie grâce aux conseils de Giuliani, qui est proche de Bannon, et Trump a exhorté Giuliani à poursuivre le combat, ont déclaré plusieurs responsables. Giuliani « est fou et croit réellement Bannon », a déclaré un conseiller républicain de haut niveau. »
On entend beaucoup parler de 1876 ces jours-ci aux États-Unis. La raison en est la suivante : cette élection présidentielle déboucha, non pas sur un match nul entre les deux candidats mais sur l’équivalent d’un pat aux échecs : un blocage obligeant à annuler la partie… ce qui n’est pas une option dans une élection présidentielle, aussi, le président sortant : le général Grant, envisagea de confier le pouvoir aux militaires. On s’en sortit de justesse par un marchandage entre les deux candidats.
Or, cette fois-ci, l’un des candidats n’est pas disposé à marchander. Il a même d’ores et déjà laissé entendre (« on verra bien… ») qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat de l’élection s’il devait la perdre. Le directeur de son équipe de campagne est encore plus clair : « Si le président perd, c’est que l’élection aura été truquée ! ».
Que s’était-il passé en 1876 ? Les états dont le résultat de l’élection dépendait transmirent deux décisions en sens opposé : celle du gouverneur et celle de la majorité « parlementaire » dans l’état.
Or, en raison, primo de la polarisation inédite de l’opinion aujourd’hui, et secundo de la pandémie, les conditions sont réunies pour que le scénario de 1876 se répète dans trois états cruciaux : la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan. Dans ces trois états le gouverneur est Démocrate et la majorité, Républicaine. Dans ces trois états, la possibilité existe, avec une haute probabilité, que les électeurs qui se rendront dans les bureaux de vote accorderont une majorité à Trump et que cette majorité basculera en minorité lorsqu’auront été décomptés les suffrages des électeurs votant par correspondance.
Pourquoi ? Dois-je vraiment vous faire un dessin ? Les gens qui se rendront aux isoloirs – de préférence sans masque – voteront Républicain, alors que ceux qui exprimeront prudemment leur suffrage par correspondance, voteront Démocrate. Or dans ces trois états, Pennsylvanie, Wisconsin et Michigan, le décompte des votes ne peut débuter que le jour de l’élection, et prendra plusieurs jours. Et, dans un contexte de pandémie, pourrait prendre … davantage que plusieurs jours.
Ce qui signifie qu’il pourrait exister une période de durée indéterminée durant laquelle Trump l’aurait emporté sur la foi des votes décomptés. Période durant laquelle la campagne menée depuis plusieurs semaines déjà par le président de twitter à tour de bras qu’un vote par correspondance n’est pas fiable, et plus que probablement frauduleux, porterait ses fruits : il proclamerait de manière anticipée sa victoire, affirmant que « les seuls votes qui comptent » l’ont réélu.
Et c’est là que 1876 serait ressuscité. Le professeur de Droit, Lawrence Douglas, dans une tribune libre aujourd’hui dans The Guardian, explique comment : en Pennsylvanie, dans le Wisconsin et le Michigan le gouverneur accorderait le vote de l’état (sur la base du décompte partiel) à Joe Biden, et le parlement de l’état, à Trump. Le Congrès, à majorité Démocrate aujourd’hui, prendrait le parti des gouverneurs, le Sénat, à majorité Républicaine, celui des parlements locaux. Pat !
L’avis de la Cour suprême serait sollicité mais, comme le souligne Douglas, elle n’a pas compétence dans un cas comme celui-là. Trump déclarerait l’état d’urgence prétextant de la situation insurrectionnelle … qu’il est patiemment en train de fomenter en envoyant des troupes fédérales mettre de l’huile sur le feu à Portland ou ailleurs pour raison de black blocks locaux dans les manifestations Black Lives Matter.
Tout ça est trop machiavélique pour un crétin comme Trump me direz-vous ? Pour un crétin comme Trump, oui, mais pas pour un conseiller de Trump aussi avisé que Steve Bannon.
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