J’ai expliqué ce qu’on allait faire : #GovernmentResponseMeasurementTool, un outil fiable d’évaluation de la qualité de la réponse des gouvernements.
Pour déblayer un peu, je pose la question : Qu’est-ce qui a été mesuré, et qu’est-ce que ça mesurait vraiment ? Depuis le début de la crise, j’ai régulièrement envoyé paître les sceptiques professionnels qui venaient nous dire : « Rien n’est comparable, la lalala lalère ! ». L’un d’entre vous m’a rappelé que je faisais déjà la même chose en 2007 – ce que j’avais oublié :
* La mouche du coche, le 13 juin 2007
Mathieu est ma mouche du coche : il me dit cet argument n’est pas convaincant, ces statistiques ne sont pas complètes, ces faits ne sont pas strictement comparables, et il a raison.
Il a raison : ces statistiques ne sont pas complètes, ces faits ne sont pas strictement comparables. Quand on écrit des livres, on découvre avec désespoir que les faits ne sont jamais strictement comparables. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On compense : on construit ce qu’on appelle « un faisceau de preuves convergentes », on fait avec.
De quoi dispose-t-on pour évaluer la qualité de la réponse d’un gouvernement ? Des chiffres qu’il communique. Et il peut les avoir trafiqués comme il le voulait. Alors le « faisceau de preuves convergentes », qu’est-ce que ça peut être ? Les chiffres proposés par les autres pays, qui peuvent faire apparaître, par comparaison, des incohérences. Ses propres chiffres des années précédentes. Des impossibilités (plus de décès que de cas, etc.) La preuve de manipulations (des chiffres qui sont manifestement le produit d’une formule, et pas des observations, etc.).
Malgré des tentatives isolées (comme le Brésil ayant cessé de communiquer les chiffres pendant quelques jours), nous disposons pour tous les pays de trois chiffres Covid-19 : le nombre de cas déclarés, le nombre de décès, le nombre de tests effectués. Nous disposons aussi d’autres chiffres : le chiffre P de la population, la surface S du pays en km2, ce qui permet de calculer la densité (P/S) par km2. Nous avons aussi les morts des années précédentes.
En supposant que les décès ont été comptabilisés dans chaque pays de la même manière chaque année (y compris la même manière éventuellement de trafiquer les chiffres), on peut déjà voir s’il y a eu plus de morts cette année-ci. Il faut savoir du coup à quels chiffres du passé on veut comparer (l’année passée ? la moyenne des 5 dernières années ?). Si les chiffres sont mensuels, c’est encore mieux, parce qu’on va voir se dégager ce qu’on appelle la « grippe saisonnière » (et dont on sait maintenant que c’est un cocktail bizarre du genre « mort de vieillesse pour une raison pas très claire »).
Donc, même avec des chiffres trafiqués, et juste le nombre des morts sur un certain nombre d’années, on va pouvoir dire si un gouvernement s’en est bien ou mal tiré face au Covid-19 et on aura déjà un chiffre qui permettra de comparer les pays. Un indice comme Morts de 2020 / Morts de 2019 corrigé, si le chiffre est connu, par l’accroissement de la population.
On peut raffiner alors. On nous dit : « Comment voulez-vous qu’on compare le nombre de décès par nombre de cas déclarés, alors que le nombre de cas déclarés dépend du nombre de personnes dépistées ? » Eh bien, si le nombre de dépistages est connu, alors le nombre de dépistages par million de personnes l’est aussi, et l’on peut faire un tableau comparatif du nombre de cas dans les différents pays, corrigé du taux de dépistage. Et l’on a alors un nombre corrigé de cas déclarés que l’on va pouvoir rapprocher du nombre de décès.
On va pouvoir aussi tenir compte de choses connues : le maintenant célèbre R0, le nombre de personnes que contamine une personne infectée, qui dépend évidemment du nombre de personnes avec lequel elle est entrée en contact, et donc de la densité de la population. Et c’est donc à ce niveau là qu’on peut mesurer l’efficacité des politiques de « distanciation sociale » et de confinement, de la cohérence des politiques gouvernementales et de leur bon ou médiocre timing durant la crise.
Parmi les choses qu’on ne savait pas mais qu’on a découvertes : la sensibilité aux « conditions pré-existantes », le fait que le Covid-19 a surtout tué des personnes déjà en mauvaise santé : personnes âgées, et autres minorités. Et l’on va pouvoir corriger les chiffres en fonction de la démographie : non, ce n’est pas de la faute d’un gouvernement si le peuple est vieux, et de la concentration de la richesse (indice de Gini), oui, c’est la faute d’un gouvernement si la population est en haltère (surtout des très pauvres et des très riches).
Il faudra aussi bien entendu appliquer les principes statistiques élémentaires, qu’on n’a pas beaucoup vu respecter durant la crise jusqu’ici. Juste un exemple : Worldometer (excellent outil par ailleurs) vous donne le taux de décès par million d’habitants, ce qui classe en tête des pays ayant subi la mortalité la plus dévastatrice, Saint Marin (34.000 habitants) en N°1 et Andorre (77.000) en N°3. Non, on ne calcule pas un taux de morts par million d’habitants pour un pays comptant beaucoup moins qu’un million d’habitants ! Ça vous rappelle des choses ? « 33,33 % des patients immédiatement guéris dans le service du Dr. Trucmuche ! », à traduire en « 1 des 3 patients du Dr. Trucmuche s’est senti mieux ».
Bon, comme je l’ai dit : un premier débroussaillage pour pouvoir avancer.
À vos tableurs Excel (j’ai encore connu l’époque où on disait « À vos règles à calculer ! » – il est temps que je passe la main) !
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