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On m’a appris hier soir qu’un ami est décédé chez lui des suites du Coronavirus. Il est parti bien trop tôt, et nous n’aurions jamais suspecté que la maladie soit si proche de nous. Son épouse est également malade, elle qui avait tant besoin de lui.
Toute la soirée, ma femme et moi sommes restés abasourdis par cette nouvelle, entre larmes, incrédulité et colère. Il n’est plus question d’un événement lointain, mais d’une catastrophe qui prend un tour personnel. Un ami, ce n’est plus une statistique…
Mais avant d’apprendre cette triste nouvelle, j’étais déjà en colère. Malgré toutes les mesures de confinement, les mesures d’encouragement au télétravail, des facilités pour mettre au chômage économique les employés, certains patrons s’entêtent à maintenir leurs entreprises en fonctionnement par la présence obligatoire sur le lieu de travail. Et d’autant plus qu’il s’agit d’entreprises non-indispensables. Que l’on accepte le maintien de production de denrées alimentaires ou de médicaments, soit. Mais quand il s’agit de biens accessoires, cela tourne au ridicule.
Voici pour l’exemple deux cas auquel j’ai fait face le jour même où j’ai appris la disparition de cet ami cher.
Premier cas : il y a quelques années, j’ai travaillé dans un groupe industriel imprégné d’une culture particulière, mélangeant l’esprit japonais (sans la notion d’hygiène et de respect pour l’autre) et l’entreprenariat flamand. Hier, j’ai contacté un ancien collègue par mail, afin de prendre des nouvelles. J’étais curieux de savoir s’ils avaient (enfin) accordé le télétravail au personnel administratif en cette période de crise. Lors de mon passage dans l’entreprise, je m’étais toujours battu afin que ce service de base pour tout employé soit possible. Je l’avais expérimenté avec succès les quinze premières années de ma carrière. Mais pas question ! Le management voulait garder le contrôle sur son personnel : ils craignaient les abus, la perte de productivité, l’absence de moyens de contrôles. Alors que l’effet est plutôt inverse. D’autant plus que j’étais d’avis que le télétravail serait favorable à l’environnement par la diminution des émissions liées aux déplacement. No, Nee, Nièt, kan’gaétéokimass’ (Ce qui veut dire « je vais y réfléchir » – en japonais on ne dit que rarement non). Deux ans après mon départ, mon collègue m’apprend que par suite des mesures gouvernementales la société avait concédé, mais avec des conditions strictes. J’appellerais même cela des mesures vexatoires, par exemple, la combinaison avec la présence des enfants n’est pas tolérée. Malheureusement pour mon collègue, la crèche est fermée depuis ce week-end. Le voilà forcé de prendre des jours de congé parental. Il ne sait pas combien de temps il pourra le faire. Pire encore, la production doit continuer et les ouvriers n’ont pas la possibilité de respecter la distanciation nécessaire. Une équipe a refusé de se mettre au travail, la direction souhaite continuer la production en prenant des mesures de sécurité supplémentaires. Du coup, l’équipe suivante accepte de reprendre le travail. Il faut savoir que deux ouvriers ont été testés positifs, avec des symptômes légers. Ils ont été écartés, ainsi que leurs collègues directs. Leur département a été désinfecté…
Deuxième cas, plus proche : le patron d’un PME familiale où mon épouse est la comptable ne voit pas le danger. A ses yeux, tout doit continuer normalement. Les clients doivent être livrés et pouvoir se rendre sur place pour commander leur matériel. Pourtant les visites se font plus rares et les commandes diminuent. Aucune mesure de distanciation sociale n’est prise, juste un passage de désinfectant quelques fois par jour. Certains font même le pitre en portant un masque. Ma femme voit et sent le danger s’approcher et se sent mal. Son sixième sens la trompe rarement : elle me manifeste son malaise, ainsi qu’à l’épouse du patron. « Non, les affaires doivent continuer : tout le monde devra avoir la maladie et cela va passer. Et d’ailleurs on ne sait pas si le personnel prend toutes les précautions nécessaires en dehors du travail pour se prémunir de cette saloperie de maladie. Si le virus arrive ici, ce sera leur faute ! » Même la mère nonagénaire du patron pense la même chose (la pauvre !). L’obstination du patron à ne pas vouloir changer la dégoute, elle décide de se mettre en maladie pour ne pas devoir se rendre à son bureau. C’est le choc pour eux, qui se rendent compte qu’il faut faire quelque chose pour… les clients. Des séparations plus grandes sont placées au comptoir, un lignage de 1.50 m est placé au sol pour la file d’attente et un désinfectant pour les mains est mis à disposition. Le jour suivant, quelques mesures de distanciation pour les clients se rajoutent. Mais le personnel continue à s’entasser dans le bureau à l’arrière. Et pas question de revenir au bureau pour ma femme ! Le tout avec un bon argumentaire sur les risques de complications et une explication sur les risques et les conséquences du COVID-19 fournis par le ministère de la santé. Et encore une petite leçon sur les fake-news dans le groupe de discussion Messenger de ses collègues.
Forcés par son refus, les patrons sont obligés d’accepter le télétravail. Mais pas d’ordinateurs portables à disposition. Heureusement que nous avions récemment acheté un nouvel appareil pour nos enfants. Après une construction abracadabrante mise au point par le responsable informatique de l’entreprise, elle peut enfin se connecter et se mettre au travail. Mais pas question de faire des heures supplémentaires, on coupe l’application à distance… Pendant ce temps, ses collègues restent mal à l’aise, dans une sorte de promiscuité. L’une d’entre eux avoue par message qu’elle a pleuré avant de retourner après la pause du midi. Une autre se sent coincée, c’est elle qui est la seule source de revenu du ménage, son mari étant malade.
Dans ces deux exemples, on voit tout l’esprit qui continue à imprégner le monde de l’entreprise. Nier les dommages collatéraux tels que mettre ses employés en danger afin de maintenir la rentabilité.
Est-ce de la cupidité, de la peur de perdre ou déplaire des clients ? Ou s’agit-il d’un manque de maturité de patrons qui les rend totalement inconscient aux risques ? Je n’en sais rien…. Heureusement, certaines entreprises encouragent le travail à distance, ou autorisent le chômage économique, bien à temps…
Mon ami qui a disparu ce matin était déjà retraité. Mais il avait terminé sa carrière de directeur d’un site de production. Il avait le sens de l’éthique. Il m’a un jour confié qu’il a tout fait pour épargner son personnel de la perte de leur emploi par une consolidation des capacités de production à l’étranger. Pourtant, par cet acte, il aurait pu avoir une belle carrière dans le groupe. L’humain comptait plus que les chiffres. Le monde politique local lui avait d’ailleurs été reconnaissant.
Est-ce que ces résultats économiques restent plus importants que la sécurité et la santé de leurs employés ? Pour une fois que le monde politique nous encourage à ne pas prendre de risques inconsidérés.
A mes yeux, il n’est pas normal les entreprises n’acceptent pas de diminuer leurs profits et reporteront les coûts sur notre système de santé lorsque leurs employés seront malades. Dans ce cas, la facture devrait leur être rendue.
Les priorités restent à revoir.
Quoi qu’il en coûte…
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