Le Carnet et les Instants
Paul JORION, Mes vacances à Morro Bay, Fayard, 2019, 144 p., 16 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 9782213712659
« […] mes vacances n’ont pas encore réellement débuté qu’elles s’annoncent déjà passionnantes. Le lendemain, cela me donne une idée : je vais raconter mes vacances à Morro Bay, en direct, comme un reportage. » Cette décision du narrateur provient d’un étrange concours de circonstances. Quelque peu obligé de prendre des congés pas tout à fait programmés ni tout à fait désirés, ce financier jette son dévolu sur un ancien port de pêche en Californie, dont il a un vague souvenir, six jours en villégiature. La survenue d’un incident avant son voyage (un requin a cru bon de se délecter d’une plongeuse s’amusant avec des phoques) lui insuffle cette idée saugrenue, démarche avalisée par les paroles d’un proche :
Armel m’avait fait la remarque à propos des aventures de Stevenson, London, Steinbeck, Mac Orlan et Kerouac (la liste est la sienne) ; il m’avait écrit : “Ils ne les ont pas seulement vécues, ils les ont racontées. Cela veut dire qu’ils ne les ont pas vécues comme n’importe qui d’autre, ils savaient, consciemment ou non, qu’ils les raconteraient.”
Sans attente autre que scripturale, l’anthropologue de formation (et ex-professeur à Cambridge) part ainsi à l’aventure dans cette petite ville du littoral. Très vite, ses réflexions et ses rencontres tournent autour… des femmes. La grande histoire de sa vie, celle qui lui a d’ailleurs inspiré son précédent roman Dix-sept portraits de femmes et qui aurait pu le pousser à rédiger un Guide des Californiennes, c’est la gent féminine. Sur le sujet, l’homme a de nombreuses histoires et pensées à partager, ce dont il ne se prive pas. Il nous évoque avec une dose de dérision son pouvoir de séduction déclinant, certaines bribes de romance, des questionnements ainsi que l’image de sa dentiste, une troublante Roumaine dont il a fait la connaissance la veille de son départ et à qui il envoyé une carte postale à peine arrivé… Lui, tombeur de ces héritières plus que de ces serveuses, qui, selon un autre ami, « voudrait[t] être aimé de manière immédiate, sans que cet amour doive être introduit par de longs discours ; qu’une femme [l]e voie et se dise : “C’est celui-là que je veux”, avant qu[’ il] n’ai[t] pu ouvrir la bouche » aurait-il trouvé en cette spécialiste dentaire celle qui apaisera son cœur ? Affaire (et soins buccaux) à suivre…
Entre rétrospection et introspection, cet homme vieillissant qui aimerait devenir « le saint patron des “vieux qui ne savent pas vieillir” » se remémore des chansons marquantes, fréquente une crêperie picarde, ose son premier karaoké, se baigne frileusement dans l’océan, converse avec un éminent baudelairien, avale les kilomètres dans le comté de San Luis Obispo. Mes vacances à Morro Bay, premier roman auto-fictif de Paul Jorion (plus connu pour ses ouvrages traitant d’économie) est donc une lecture de plage, légère, courte et ensoleillée. Et si le sable n’est pas au programme de vos orteils, elle vous procurera certainement un bref dépaysement.
Samia Hammami
@Khanard Une métaphore pour bien mesurer la différence entre l’approche de PJ et celle de Thom. C’est Christopher Zeeman, un…