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On assisterait donc à une course entre, d’une part, le système agricole, même l’agro-écologique ou permaculteur décidé sincèrement à s’adapter et se montrer résilient face au climat, et d’autre part, le système climatique, qui se modifie tendanciellement et en même temps devient progressivement totalement imprévisible, incertain. Il s’agirait d’une incertitude radicale, comme expliqué par Clive Hamilton dans Defiant Earth, que l’on peut traduire par « Terre rebelle », c’est-à-dire une Terre qui « n’obéit plus sagement aux prévisions humaines ancestrales », une Terre qui n’est plus le jardin d’Eden qu’elle était (on comprendra mieux cette opinion plus tard dans le siècle), une Terre hostile à la vie humaine. L’économiste Frank Knight avait théorisé à sa manière cette différence entre contexte risqué, où l’on connaît les états futurs possibles et on peut leur attacher chacun une probabilité d’occurence (jouer aux dés), contexte incertain où les états futurs possibles sont connus mais pas leur probabilité respective d’occurence (qui sera le prochain président des Etats-Unis ?), et l’incertitude radicale, où les états futurs sont inconnus (voire inconnaissables) et leur probabilité d’occurence tout autant inconnue ou inconnaissable (l’histoire future de la vie sur Terre).
Ce ne serait donc pas seulement une question de « s’adapter une bonne fois pour toutes » à « un » changement climatique, ni même de mettre en oeuvre des stratégies de « gestion du risque » classiques mais en réalité, de « s’adapter et se relever en permanence, sans cesse » face à deux phénomènes : à la fois une tendance lourde (il fera de plus en plus chaud) et une tendance aléatoire complètement incertaine (sécheresse, pluie diluvienne, ruptures écosystémiques, etc.). Une tendance certaine à l’incertitude de plus en plus radicale donc.
Ainsi, un permacultueur qui aurait établi son « système agricole » et se croirait « prêt », ne le serait en fait pas du tout, il devrait réévaluer en fait son « système » chaque année, pour l’année suivante, et en temps réel. En témoignent plusieurs d’entre eux, dont certains cadres de Extinction Rebellion UK, qui doivent constater l’échec total de leur petite entreprise de permaculture (passée « au chalumeau » comme on dit dans les campagnes de nos jours), dont d’autres s’enfoncent dans le survivalisme pur et dur (chacun pour soi avec son M16), et d’autres encore se rendent peut-être progressivement compte qu’on ne peut « répartir et communaliser de telles incertitudes » qu’à des échelles d’organisation étatiques ou au minimum, biorégionales.
On entrerait donc là dans des stratégies de « résilience » (à l’incertitude radicale) et non d’adaptation (au risque probabilisable), où l’on doit rechercher des « heuristiques » robustes, face à l’incertitude, dont certaines fonctionnent déjà contre le risque, comme l’ancienne « diversification du risque » (c’est-à-dire grosso modo la biodiversité et la multiplication des variétés et des « paris sur l’avenir » dans les plantations annuelles) et d’autres sont davantage utiles face à l’incertitude, comme les stratégies « antifragiles » de Nicholas Nassim Taleb, si elle existent en agriculture, c’est-à-dire des cultures qui se montrent profiter un tant soi peu des aléas…
On pourrait ajouter à cela une vielle manière de vivre pour l’homo sapiens : la chasse, la cueillette, et le nomadisme, que certains aujourd’hui appelleraient de façon euphémiste « migration économique ». Notons également cette vieille coutume humaine qui consiste à éradiquer plus ou moins complètement la population locale en s’emparant de ses ressources et de son territoire (en général on préservait les femmes pour les besoins de reproduction du groupe envahisseur) : le pillage et la conquête. Il s’agit, en termes de risques et d’incertitude, de faire de la « diversification territoriale » (ce que nombre de milliardaires, notamment membres des GAFA -celles qui détruisent la planète- font déjà en s’établissant un petit pied à terre en Nouvelle-Zélande par exemple.
Dès lors ce serait la notion même du Cosmos qui sera bouleversée, la notion du Temps (temporalité) et la notion du temps (météo et climat), ainsi que la notion de Causalité et de Loi (puisqu’on ne pourra plus se fier à aucun historique de cause à effet pour prendre des décisions vis-à-vis du futur).
Voici donc venu le temps de l’incertitude radicale et de l’impermanence. Le temps où la seule certitude est l’incertitude, où la seule permanence est l’impermanence.
On va vraiment voir si l’espèce humaine est si formidablement adaptative, résiliente… ou pas. Certains la disent formidablement opportuniste. La sélection naturelle va en effet peut-être connaître une nouvelle accélération, où les individus et espèces les plus « opportunistes » vont pouvoir démontrer leur avantage concurrentiel sur les espèces « spécialisées » face aux aléas climatiques et écologiques en tous genres. Dans ce grand chambardement, ce ne sont peut-être pas les survivalistes et les transitionneurs de petites communautés -trop sédentaires et vulnérables-, mais peut-être de nouveaux nomades voyageant en groupe, avec leurs troupaux, et disposant de réseaux inter-territoriaux importants, et de compétences « à revendre » aux « locaux » qu’ils rencontrent, qui tireront leur épingle du jeu ? Il en existe en version pacifiste, ou en version violente évidemment. Les profils hybrides, les interfaces, les intermédiaires, les contrebandiers et intermittants de la survie seront-ils les héros du futur ?
Quelle serait la nouvelle éthique de ce temps de l’incertitude radicale ? On peut prédire en tout cas un grand succès au Bouddhisme et au Stoïcisme, ainsi qu’au Tao, pour accompagner ces « collapsonautes ».
Quelle ironie ce serait pour l’humanité, de retourner à son mode de vie ancestral semi-nomade ! Pour paraphraser Albert Einstein, on ne sait pas avec quelles armes on fera la troisième guerre mondiale, mais la quatrième se fera à pied et à cheval.
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