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Ce n’est plus un secret pour personne que les quantitative easing à répétition des banques centrales n’ont pas donné les résultats escomptés sur la vigueur des économies occidentales, qu’ils s’avèrent incapables de restaurer malgré les sommes considérables déversées sur les marchés. Les raisons de cet échec sont multiples, mais elles sont pour l’essentiel liées au courtermisme obstiné des décideurs, qui préfèrent spéculer sur les actifs existants et même les rachats d’actions, que de prendre le risque d’investir dans la création de richesses nouvelles ou la transition écologique.
Les banques centrales savent qu’elles doivent donc trouver autre chose pour combattre l’inévitable prochaine crise, qui sera sans doute au moins aussi redoutable que celle de 2008, car les marges de manœuvre des Etats comme des banques centrales ont beaucoup diminué depuis. Les délocalisations et l’irruption des logiciels et des robots ont certes maintenu ou augmenté les marges bénéficiaires, mais ils ont aussi comprimé le revenu disponible des consommateurs à un niveau tel que la croissance n’est plus guère possible qu’à crédit, que ce crédit soit privé quand les consommateurs s’endettent personnellement, ou qu’il soit public quand les Etats s’endettent pour financer leur système de protection sociale.
Ainsi, après l’avoir évoqué pendant longtemps sur le ton humoristique, les économistes officiels parlent de plus en plus sérieusement (cf. références ci-dessous) d’étendre le quantitative easing aux peuples, sous forme d’ « hélicopter money », cette pratique imaginée par Milton Friedman en 1969, qui consisterait à ce que la banque centrale verse directement chaque mois une somme fixe de monnaie, par exemple 200 euros, à toute personne physique titulaire d’un compte bancaire, résident ou non résident, durant toute la période nécessaire pour que les économies mal en point retrouvent leur vigueur. Le concept ressemble beaucoup au revenu universel cher à Benoît Hamon, mais avec deux différences majeures (i) l’application ne coûterait pas le moindre euro au Trésor Public des Etats, tandis que la proposition Hamon aurait représenté une charge annuelle de plus de 200 milliards d’euros pour l’Etat français, ce qui est beaucoup en période de disette budgétaire et (ii) les principes fondateurs du système néolibéral seraient respectés, puisque la solution ne viendrait pas de l’Etat honni mais de la banque centrale indépendante.
Sur le fond, l’idée générale semble économiquement bonne : il est a priori bien plus efficace de donner l’argent directement à ceux qui le dépensent, que d’en confier la distribution aux banques, qui prennent leurs commissions au passage, et ne sont pas forcément les distributeurs les plus efficaces, car, dans leur credo, « l’argent va à l’argent » plus qu’à ceux qui doivent le dépenser parce qu’ils en ont besoin pour survivre, et ne peuvent donc en principe pas l’investir dans les paradis fiscaux, le gonflage de bulles spéculatives ou le rachat de leurs actions.
Il semble cependant que ce ne soit pas la bonne solution, parce que ce serait en fait une privatisation partielle du système de protection sociale publique. En effet, comme on le voit bien à travers les réactions plutôt favorables des « marchés » au concept de revenu universel, ce serait en fait un prétexte supplémentaire pour privatiser et marchandiser toujours plus les services de base, alors que l’on devrait au contraire les rendre plus universels et totalement gratuits. A ce titre, cet helicopter money direct, – de la planche à billets au consommateur -, n’est donc pas aussi séduisant qu’on peut le croire a priori : il vaudrait beaucoup mieux financer directement, éventuellement sans passer par l’intermédiation des Etats, les régimes sociaux publics déficitaires (maladies, retraites…), l’enseignement public, ou les forces de maintien de l’ordre.
On peut même se prendre à rêver que les partisans d’une UE plus fédérale profitent de cette opportunité pour donner un vrai « budget » à la Commission via la planche à billets de la BCE, ce qui permettrait à la fois de faire avancer la cause du fédéralisme et de conforter l’euro en tant monnaie unique dans l’esprit des européens.
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