Ouvert aux commentaires.
Extinction Rebellion United Kingdom est ce mouvement activiste adepte de la désobéissance civile, qui a paralysé Londres et de nombreuses villes du Royaume-Uni pendant dix jours. On peut déjà le créditer d’avoir poussé le Labour à obtenir au Parlement britannique la première déclaration nationale d’état d’urgence environnemental et climatique au monde.
Et aussi d’avoir obtenu du Labour qu’il endosse l’idée d’un Green New Deal comme politique prioritaire pour hisser le Royaume-Uni à la hauteur du défi climatique, environnemental et social.
Eh bien Extinction Rebellion UK n’a pas terminé de nous étonner par son audace et son efficacité. Car il est en train de tourner son attention stratégique vers l’industrie publicitaire britannique et internationale, sur le ton de : « tremblez dirigeants de la publicité, car nous savons combien vous êtes responsables de la fabrication en chaîne d’hyperconsommateurs, dont les nuits et les jours ne sont faits que pour consommer trop et mal, ce qui détruit la Terre et pousse l’humanité à l’effondrement.
Il me semble ainsi qu’Extinction Rebellion a parfaitement étudié les années 1930, et en particulier les extraordinaires politiques du président américain Franklin Delano Roosevelt, seul président de l’histoire des Etats-Unis à avoir été réélu 4 fois d’affilée (il est vrai avant que le nombre maximum de mandats présidentiels ne soit limités à deux).
Extinction Rebellion a compris qu’il fallait 3 ingrédients principaux pour sortir de l’inertie une société face à une crise existentielle : 1) un constat explicite, écrit et verbalisé par les plus hautes autorités du pays, de la situation d’extrême urgence ; 2) un plan stratégique prioritaire passant outre toutes les lenteurs démocratiques habituelles, pour répondre à la menace existentielle ; 3) une gigantesque entreprise de persuasion politique dirigée vers la population et tous les décideurs du pays, afin de coaliser le consensus nécessaire pour reconnaître l’état d’urgence, et accepter -mieux exiger du gouvernement- le plan stratégique prioritaire de réponse à l’urgence.
En effet, Extinction Rebellion, outre cette déclaration d’état d’urgence environnemental et climatique par le Parlement britannique (= reconnaître officiellement la réalité de la menace et de son urgence, et au niveau des affects la tragédie en cours et sa probabilité d’aggravation = les différents appels à la radio et à la télévision de Franklin D. Roosevelt avant et après Pearl Harbor), outre la proposition d’un plan digne d’une économie de guerre, qui mobilise toutes les forces de la nation ( = le Green New Deal aujourd’hui = le New Deal en 1933 et l’économie de guerre des démocraties US et UK fin des années 30 jusqu’en 1945), a remarqué qu’il fallait maintenant compléter le dispositif en activant ce que j’appellerai ici la « propagande éclairée », c’est-à-dire la machine publicitaire privée et publique, pour modifier les perceptions et attitudes de la population et des décideurs de manière massive, afin d’obtenir leur consentement éclairé et leur contribution énergique aux politiques proposées.
« Propagande », le vilain mot est lâché. Un peu de théorie avant de vouer votre serviteur aux gémonies, en remarquant d’abord plusieurs préalables :
La « propagande » est devenu un mot péjoratif suite à grosso modo Goebbels et Hitler, et tous les totalitarismes, à raison ! Mais au sens strict et premier, la propagande est l’art de propager des idées, et vient du verbe « propager« , donc rien de moralement malsain au sens strict et premier.
Néanmoins l’histoire marque la sémantique des mots, à jamais et à raison, et il faut en tenir compte quand on parle aux gens. Le mot « propagande » est bel et bien devenu péjoratif dans l’usage courant.
Afin d’éviter la critique « nazie » (et le point Godwin qui va avec), il faut parler de « propagande éclairée« , c’est-à-dire parler de ce que font les ONG environnementales, sociales et d’aide au développement depuis des années : propager par tous les moyens de communication utiles des idées dans la noosphère (médiasphère) afin de modifier en masse les perceptions/attitudes/comportements des citoyens vis-à-vis des problématiques communiquées. La propagande éclairée, « éclaire » en fait la raison des citoyens (au sens des Lumières du XIXe siècle) en apportant les faits, les informations, et les affects les plus adéquats par rapport à la réalité.
Evidemment, les mots et les idées ne sont corrects qu’à partir du moment où ils reflètent adéquatement la réalité. Définir ce qu’est la réalité occupe les philosophes depuis des millénaires, sans conclusion définitive. Savoir qui est juge de « l’information correcte », de « l’adéquation d’une idée » et donc du « bien-fondé » d’une entreprise de « propagande éclairée » de masse, est et restera toujours une question d’appréciation philosophique et éthique. Il va sans dire que comme dans les « républiques populaires » ou les « fédérations démocratiques » dictatoriales, un tyran revendiquera toujours le fait qu’il fait usage de « propagande éclairée » pour « éclairer » son peuple…
Mais chacun pourra cerner aisément ce qu’il y a de pertinent, d’éthique, d’adéquat, de légitime et de démocratique dans l’idée de « propagande éclairée ». Techniquement, quand la Fondation contre le cancer avertit contre les dangers de la viande via un spot publicitaire, elle fait de la « propagande éclairée », elle cherche à influencer, légitimement, éthiquement et vertueusement les citoyens, pour qu’ils modifient leurs perceptions, leurs attitudes et leurs comportements.Techniquement, quand un rédacteur en chef rédige un éditorial dans un quotidien à grand tirage, il fait oeuvre de « propagande éclairée », il propage des idées afin d’éclairer le lecteur.
A nouveau, techniquement, qu’est-ce qui distingue la « propagande éclairée », la « bonne », de la « propagande malfaisante », la mauvaise ? Rien dans les outils employés a priori, si ce n’est que le fond et la forme seront adéquats par rapport à la réalité et les usages, et si ce n’est que l’intention sera de bénéficier à l’audience, de la rendre plus libre, plus réflexive, plus responsable, plus autonome et plus consciente de ses droits civiques.
Après ce petit détour théorique, rappelons ainsi que pour « vendre » son New Deal, puis l’entrée en guerre des Etats-Unis et la mobilisation générale, aux Américains, Franklin Delano Roosevelt bénéficia et activa les meilleurs techniques de « propagande éclairée » privée et publique de son époque.
Ainsi, parmi les plus célèbres photographies de l’histoire des Etats-Unis, figurent celles prises par les photographes de la Farm Security Administration, qui ont parcouru les États-Unis entre 1935 et 1943, et ont œuvré ainsi pour témoigner de la dramatique pauvreté du pays aux yeux des citoyens américains. Employant les techniques les plus modernes de l’époque, l’administration américaine contribua activement à « fabriquer le consentement éclairé » et la mobilisation des électeurs et citoyens américains envers le New Deal, et l’entrée en guerre des Etats-Unis.
Manipulation ? (encore un mot péjoratif qui reflète pourtant un sens strict tout à fait usuel) Oui, l’être humain « manipule » en permanence son prochain, d’une manière ou d’une autre : nous cherchons tous à influencer l’autre. Bienveillante ? Il me semble que oui. Mais toujours cela pourra se discuter. Diffuser une information exacte, est-ce de la manipulation ? Jusqu’à quel point faut-il « parfaire » le message pour convaincre ? Quel degré de rhétorique est « acceptable » ? Nous entrons là dans le champ délicat de la philosophie de l’information, et son domaine éthique. Dire ou ne pas dire, révéler ou ne pas révéler, à qui, comment, quand, pourquoi ?
Je pose donc deux ou trois questions à ceux qui voudraient jeter trop vite l’idée de « propagande éclairée » à la poubelle, par une sorte de pureté éthique pas très conséquentialiste… vu notre situation.
Devons-nous en vouloir aux ONG de nous alerter depuis 50 ans sur les catastrophes environnementales, sociales et politiques dans le monde par des tas de techniques de communication de masse originales ?
Devons-nous en vouloir à Roosevelt et ses conseillers d’avoir employé la « propagande éclairée » ? Par chaîne de causalité depuis l’opération de communication menée à l’époque avec l’assentiment de Roosevelt, la question équivaut peut-être à savoir si nous sommes heureux ou pas que l’armée américaine nous ait débarrassé du Nazisme, d’Hitler, des camps de concentration et d’extermination et de l’occupation des armées allemandes en 1944-1945. [Je revendique le droit à l’analogie « époque nazie » pour démontrer des arguments éthiques élémentaires].
Enfin, le coup de massue rhétorique : pouvons-nous d’un côté, tolérer dans notre société démocratique une véritable entreprise de propagande de masse poussant à la surconsommation, et fabriquant de toutes pièces des subjectivités aliénées, des valeurs suspectes, des attitudes malsaines et des comportements irrationnels, c’est-à-dire l’industrie publicitaire commerciale, tandis que lorsqu’il s’agirait de sauver notre Biosphère et notre espèce avec by the way, nous aurions tout à coup quelques réserves morales ?
Le deux poids deux mesures ne tient plus. Aujourd’hui, face à l’enjeu existentiel de l’environnement et du climat, en tant qu’intellectuel, j’estime qu’aucune technique démocratique et éthique d’information de masse ne doit pas être négligée par l’Etat pour convaincre les corps électoraux de la réalité de la menace climatique et environnementale et de la nécessité de mettre en oeuvre un plan d’urgence prioritaire au niveau de l’Etat, des pouvoirs publics, des entreprises, des syndicats et des associations, pour y répondre, avec et pour les citoyens.
Il n’est pas normal que l’immense majorité du « système d’information et de persuasion de masse » soit orienté vers le renforcement des valeurs, perceptions, attitudes et comportements délétères qui nous conduisent à l’abîme, que les meilleurs techniciens et cerveaux de ce système soient employés au renforcement de la consommation et du profit, tandis que les valeurs, perceptions, attitudes et comportements vertueux indispensables pour nous sauver, doivent compter sur la bonne volonté et l’amateurisme de milliers d’activistes bénévoles.
L’Etat dispose de canaux d’information massifs, il doit cesser de censurer la réalité de l’urgence environnementale et climatique, et oser influencer les citoyens pour qu’ils puissent réellement exercer leurs droits civiques, en connaissance de cause.
Dire la vérité au peuple droit dans les yeux sur les menaces qui le guettent, par tous les moyens raisonnables, est la noblesse de la femme et de l’homme d’Etat.
Laisser un commentaire