Retranscription de Université Catholique de Lille, Déclarer l’état d’urgence pour le genre humain ? Les conséquences d’une mécanisation bientôt totale, le 2 avril 2019. Merci à Eric Muller !
Je vous demande un peu de générosité, parce que vous entendez sans doute que je suis affecté par un gros rhume et dans ce cas-là, il y a toujours un double handicap parce qu’on essaie de prendre des médicaments qui, en fait, vous abrutissent bien davantage. Mais j’ai ma petite liste, et comme je le disais il y a un instant, c’est un sujet que j’ai l’occasion souvent de traiter et que je traiterai dans seize jours à France Culture, dans l’émission Entendez-vous l’éco, dans un débat avec Paul Aries.
La question, c’est celle de savoir dans quel monde sommes-nous maintenant, dans ce monde où la mécanisation a fait des progrès tout à fait considérables, voire un bond a eu lieu avec l’invention de l’ordinateur, d’abord le mainframe, le gros ordinateur, et ensuite par l’intervention, l’irruption de l’ordinateur individuel dans les entreprises, dans le travail. Le nombre de personnes qui travaillent devant un ordinateur évidemment s’est démultiplié très rapidement dans les premières années de la décennie 1980.
C’est intéressant pour nous parce que c’est un aspect dont nous discutons aussi ici, dans le Département d’éthique, c’est la question de « Que représente cette mécanisation dans le destin de l’humanité, du genre humain », et vous savez que les philosophes se sont posé des questions – et continuent de se poser -, que la réflexion sur le post-humain, en particulier, est une réflexion sur « Que représente cette technologie par rapport à nous, espèce humaine ? Nous a-t-elle fait changer à tel point qu’il ne faille plus parler d’ « humain » – au sens où l’humain serait cette représentation que l’humanisme a produit de nous ? » Est centrale dans cette représentation de l’humanisme, bien entendu, cette idée qu’il y aurait une ressemblance entre l’animal humain et le dieu qui l’aurait créé ?
Ces débats, dont on trouve les débuts dans la réflexion, par exemple, de Jacques Derrida à propos de l’écriture, de l’écriture qui serait un supplément par rapport à la parole en tant que telle. La parole, elle serait elle-même un supplément par rapport à la pensée spontanée non communiquée. Et la question se pose par rapport à d’autres animaux : Est ce qu’il y a quelque chose là, dans la mécanisation, dans la technologie, dans l’outil, qui nous constitue comme étant entièrement différent de ce point de vue-là ? J’en ai parlé la fois dernière. On voit déjà des embryons d’utilisation de techniques par les animaux – L’oiseau qui prend une aiguille de pin pour déloger une chenille qu’il aperçoit dans un interstice, recourt à un outil. Nous savons même que dans les groupes, par exemple de chimpanzés ou de gorilles, nous savons qu’il y a des utilisations différentes de l’outil ; des outils complètement élémentaires – comme la pierre pour casser quelque chose. Nous avons observé – les anthropologues et des éthologues ont observé – des différences dans le comportement de différents groupes de chimpanzés : il y a chez eux aussi – chez les gorilles aussi – une culture, c’est à dire qu’il y a des comportements qu’on enseigne aux enfants et que ces enfants vont utiliser et reproduire, et que d’autres groupes ignoreront. Par exemple, le fait de saler la nourriture en la trempant dans l’eau de mer. Certains groupes d’animaux, de grands mammifères évolués, l e font et d’autres non. Il faut pour ça qu’on leur ait montré de le faire – donc saler les aliments. Eh bien oui : cela existe là aussi !
Qu’est-ce qui nous distingue de ces animaux qui utilisent déjà, je dirais, des trucs, des astuces – le goéland qui fait tomber un coquillage de haut sur un rocher pour le briser, et ainsi de suite – ce sont des comportements qui sont déjà là, qui sont les embryons de quelque chose.
Je réfléchissais tout à l’heure à cette question – parce que, voilà, nous préparons un colloque sur le post-humanisme. Qu’est ce qui nous a conduit, en fait, à créer ces outils ? On parle de marteau, on parle de ceci, on parle de cela. Il y a quelque chose de l’ordre de la projection en avant. Il y a quelque chose chez nous qui est lié à ce comportement que dans le dessin animé – L’âge de Glace, je crois – où il y a un écureuil extrêmement comique qui essaie de constituer des réserves de noisettes, et où il y a donc, chez l’écureuil, une anticipation : il y a une représentation implicite du fait qu’il y a une époque où il y aura disette, où il y aura moins de choses tout autour, et on peut constituer l’équivalent d’un grenier.
J’ai le sentiment que, chez nous aussi, l’outil de départ … Même dans les populations que nous avons connues, que nous avons rencontrées, nous Européens dans nos voyages – et ce sont probablement des sociétés qu’on trouvait à un stage primitif, qui étaient probablement des sociétés qui avaient régressé culturellement – mais il y avait en tout cas toujours ce souci d’accumuler pour les périodes où il n’y a pas quelque chose, de la constitution de grenier dans lequel mettre des choses.
La question que posent les philosophes, c’est « Est-ce que nous sortons d’une définition possible de la nature humaine au départ – quand nous commençons à utiliser les outils ? » Mais si cette constitution d’outils est liée simplement au désir de constituer des réserves pour les époques où il y aura disette, il est peu convaincant de dire que nous sortons à ce moment-là de la condition humaine et que nous passons immédiatement dans autre chose.
Je crois qu’il est plus intéressant… pas plus intéressant, qu’il est plus productif, à mon avis, d’avoir une représentation dynamique de l’ensemble des espèces. Par exemple, voilà, qu’il y aurait des chimpanzés avant qu’ils aient découvert la technique pour saler leur nourriture, et des chimpanzés ensuite. On pourrait dire que, voilà, il y a peut-être eu une petite révolution dans l’évolution de l’espèce en tant que telle, par l’acquisition d’une culture. Et comme notre culture, bien entendu, ces choses peuvent être battues en brèche par des ruptures dans la transmission, par le fait que, voilà, que les gens disparaissent qui connaissent quelque chose – et on observe ça dans les sociétés humaines. On retrouve sous forme de… Comment dire ? Il y a une expression pour cela… Ce n’est pas réminiscence… pour montrer que la société connaît quelque chose, mais en a oublié véritablement soit l’usage, soit la manière de le reproduire et ainsi de suite, comme quand l’anthropologue W.H.R. Rivers découvre dans une population des îles du détroit de Torres, des maquettes de bateaux qui servent d’offrandes aux dieux, dans une société où on ne sait plus construire un bateau. Alors que ces gens savent comment construire l’objet lui-même – puisqu’ils le construisent en réduction – ils ont perdu la connaissance qu’il s’agit d’une maquette, qu’il s’agit de quelque chose en réduction, d’un objet qui leur permettrait d’aller d’une île à l’autre. Et dans les sociétés les plus démunies, je dirais, du point de vue culturel, que nous rencontrons, il y a quand même des greniers, il y a quand même cette attitude de l’écureuil, de faire des réserves. Mais, bien entendu, ce qui s’est passé dans notre espèce, ce sont des sauts qualitatifs dus au changement dans la quantité.
D’un point de vue technique, nos sociétés avancent très lentement jusqu’à la période de la Renaissance. À la Renaissance, il y a une cross-fecundation, comme on dit [une fertilisation mutuelle], il y a un échange de connaissances – qui commence avec les voyages de Marco Polo d’ailleurs – de connaissances accumulées d’un côté, dans la civilisation extrême orientale, et chez nous. Il y a un échange de technologies parce que beaucoup de choses ont été découvertes indépendamment dans ces deux cultures. Vous le savez, les Chinois ont inventé la poudre à canon, et nous connaissions le papyrus, nous connaissions le parchemin, mais nous ne connaissions pas le papier à proprement parler. La boussole nous vient d’Orient, des choses de cet ordre-là. Il y a fécondation des deux types de cultures avec le savoir qui était accumulé entre deux civilisations qui, jusque-là, avaient très peu de contacts, vous le savez, essentiellement parce que la Chine est entourée de frontières naturelles sur l’ensemble de son pourtour et, du côté des océans, d’un océan qui se prête mal à la navigation, parce qu’il est soumis à des typhons extrêmement dangereux et qui se produisent souvent. Donc, évolution de notre côté, et puis intervention de la Chine.
Nous nous libérons d’une part de travail, bien entendu. Quand un premier moulin peut être actionné par des animaux de trait plutôt que par des êtres humains, bien entendu, on pourrait dire qu’on perd un certain nombre d’emplois à ce moment-là en utilisant un boeuf qui tourne plutôt qu’un être humain – de même pour un moulin à vent et ainsi de suite. Il y a remplacement de l’homme – et de la femme, bien entendu – par la machine, de manière tout à fait progressive mais pas de manière qui nous obligerait à poser la question de la disparition de l’emploi, ou des choses de cet ordre-là. Mais les choses changent de manière radicale avec l’invention de l’ordinateur. À ce moment-là, les choses changent absolument considérablement : il y a une première révolution, ce sont les ordinateurs mainframe, les grosses machines qui commencent à traiter de l’information de manière systématique et relativement rapidement – encore que les choses évoluent lentement – Il y a cette photo sur le blog que j’ai mise un jour sur mon blog d’une mémoire de 16 ko, seize kilooctets, qui pèse plus d’une tonne – et on voit sur l’image qu’on la soulève pour la faire entrer dans un avion.
Seize kilooctets, ce n’est absolument rien vous le savez; ça ne représente pas grand chose par rapport aux trois mégaoctets qu’il nous faut pour stocker une photo sur notre smartphone.
Mais les choses avancent quand même, et on commence à organiser les choses, à administrer les choses à partir de ce gros ordinateur. Ensuite, on a des ordinateurs de taille moyenne, mais la grande modification, bien entendu, c’est quand l’ordinateur apparait sur le bureau de certaines personnes, sur la table de travail d’un employé. Quand le robot apparaît sur la chaîne de montage, dans l’usine – cela date des années 1980 - là aussi, un changement absolument radical : la machine va extrêmement vite, elle va un million de fois plus vite que les impulsions nerveuses de nature électrique à l’intérieur de notre système. Chez nous, ça va de l’ordre de six mètres à la seconde, ce qui n’est déjà pas mal – ça nous permet d’avoir une communication quasi immédiate du cerveau avec ce que je sens là, en touchant la table – mais ça ne représente rien par rapport à une vitesse qui s’approche de celle de la lumière dans l’utilisation de l’informatique. Et donc là, un changement absolument radical. Dans les lignes d’assemblage, on remplace des personnes par des robots, des robots élémentaires qui font des tâches répétitives comme prendre des objets qui apparaissent sur un tapis transporteur, des choses extrêmement simples que la machine fait rapidement, ou des opérations de précision, comme de visser, changer l’orientation d’un objet et des choses cet ordre-là que le robot fait rapidement. Mais c’est un robot de type élémentaire, celui des années quatre-vingt. Les choses changent en ce moment. Le robot des années quatre-vingt, c’est une grosse machine qui ne bouge pas. Le robot actuel, vous le savez, vous voyez ces choses, des simulations d’êtres humains, d’animaux – le guépard artificiel, le chien artificiel de Boston Dynamics, le robot à l’apparence humaine qui ne tombe pas quand on le pousse, qui sait faire une pirouette arrière, qui peut surmonter l’ensemble des obstacles etc. Nous en sommes là du point de vue de la robotique, avec, bien entendu, des dérives extrêmement dangereuses – les robots qu’on appelle des « munitions autonomes », c’est-à-dire des robots tueurs.
Mais la plus grande révolution, ce ne sont ni les gros ordinateurs ni l’apparition du robot : C’est l’apparition du logiciel qui, en quelques mois parfois, change la donne de manière tout à fait considérable. Vous vous souvenez peut-être de l’apparition du traitement de texte, et vous savez que l’organisation d’un bureau, l’organisation de tout ce qui était d’ordre administratif a changé de manière tout à fait radicale. Les tâches répétitives de taper un document six fois, de chaque fois regarder les corrections qu’il faut introduire, avec papier carbone, papier pelure, etc. tout ça disparaît rapidement quand on a un écran et que, à partir d’opérations extrêmement simples, on peut ajouter des signes, en enlever et imprimer par le simple geste d’appuyer sur un bouton.
La disparition d’emplois est tout à fait considérable. Vous le savez, M. Trump n’a pas une représentation du tout de ce processus. Il est convaincu que pour tout emploi industriel, ou même administratif, qui disparaît aux États-Unis, il est convaincu qu’un emploi du même type se reconstitue dans un autre pays comme la Chine, l’Indonésie, le Bangladesh et ainsi de suite. Les chiffres nous donnent, sur les vingt dernières années, que pour la disparition des emplois aux États-Unis, 13% sont dus à la délocalisation – 13% correspondent à ce processus qu’imagine M. Trump – et 87% des autres disparitions d’emplois sont liées purement et simplement à l’évolution de l’emploi lui-même. Comme vous le savez, les sténodactylos remplacées par du logiciel l’ont été simplement par l ’introduction de cette technique et pas du tout par la création de postes de sténodactylos en Chine, en Indonésie ou au Bangladesh.
La question qui se pose maintenant, c’est « Est-ce que l’emploi risque de disparaître entièrement ? », ou d’une manière, je dirais, moins dramatique, « Est-ce que la situation de l’emploi et du salariat change totalement de nature ? » O n parle aussi, maintenant, déjà, d’intelligence artificielle, bien qu’elle n’ait pas encore un impact sensible dans l’activité des entreprises. L’intelligence artificielle, par les choses les plus spectaculaires, existe encore de manière embryonnaire – encore qu’il existe maintenant, déjà, par exemple, des systèmes autonomes d’armes. D’après un exposé qu’on nous a fait ici, il y a un pays au monde où se trouvent véritablement des armes autonomes dirigées par une intelligence artificielle – c’est en Israël. Pour le reste, on a affaire à des processus où il y a encore une supervision humaine des processus qui ont lieu, comme dans le cas des drones – où la machine prend énormément d’initiatives mais où il y a encore un ou plusieurs opérateurs humains qui vérifient ce qui est en train de se passer.
Nous nous trouvons dans des situations extrêmement dramatiques – vous avez dû voir ça avec les accidents récemment dans l’aviation – où nous n’arrivons pas… Une manière de présenter les problèmes qui se posent, c’est que nous ne savons plus exactement où il faut mettre la limite du comportement humain et celle du remplacement par la machine. Et dans le cas des deux accidents spectaculaires qui ont eu lieu, il y a interférence avec l’être humain qui essaie de corriger un comportement qui est celui de type automatique de la machine – qui dans le meilleur des cas, même, apprend à partir de ses propres comportements – et l’ingérence de l’être humain.
L e processus est fait de manière progressive, comme le pilote automatique en altitude, quand, en principe, il ne se passe pas grand chose et qu’on a des prévisions météo qui vous disent à l’avance si on va rencontrer des turbulences. Petit à petit, l’initiative donnée à la machine augmente de plus en plus, et nous avons de plus en plus de ces cas que l’on rencontre où c’est l’interférence mal maîtrisée, l’interface entre la machine à qui l’on dit de plus en plus de prendre des décisions elle-même, et l’être humain qui est encore là. Et dans le cas qu’on a vu récemment [le Boeing 737 MAX], où – pour des raisons apparemment d’économie – on n’informe pas ou pas suffisamment les équipages d’un changement d ans l’attitude de l’avion lui-même prenant ses décisions de manière tout à fait indépendante, tout à fait autonome.
Pour le public, une représentation de ces problèmes-là est apparue pour la première fois, de manière spectaculaire, dans ce film, 2001 : L’Odyssée de l’espace où ce qui constitue la grande surprise – du roman de Arthur C. Clark et du film qui en a été fait par Stanley Kubrick – c’est quand nous découvrons – au moment où un conflit apparaît entre l’équipage et la fusée elle-même et ce Hal en anglais et Carl en français – nous découvrons à notre grande stupeur – et, je dirais, avec un questionnement de type métaphysique – que les concepteurs de la fusée ont confié la mission à la fusée elle-même, à la machine, plutôt qu’à l’être humain. Et nous le comprenons, c’est parce qu’on n’a pas fait confiance à l’être humain, et qu’il pourrait prendre des décisions qui parasiteraient ce qui a été fait par la machine. En fait, ces incidents récents d’aviation sont une sorte de reproduction dans la réalité, maintenant, de conflits de ce type-là. Il apparaît que la machine est de plus en plus fiable et on va cesser de faire confiance à l’être humain, avec des conséquences qui vont nous épater, et nous inquiéter, bien entendu.
Quand, maintenant, on met en compétition les plus grands spécialistes de l’oncologie et l’intelligence artificielle de DeepMind pour faire des diagnostics médicaux, on aperçoit que, comme dans les jeux vidéo, quand on oppose l’homme à la machine, maintenant, l’être humain n’est pas à la hauteur – il fait plus d’erreurs que la machine – alors qu’il s’agit, bien entendu, de personnes qui ont fait non seulement de très longues études, qui se sont spécialisées, mais qui sont devenues les grands experts dans leur domaine, en matière de diagnostic, et ne sont pas à la hauteur de ce que peut faire la machine. Ce n’est pas une question, dans ce cas-là, que la machine aille beaucoup plus vite – encore que, bien sûr, ça aide – mais c’est qu’elle a la capacité de mettre en relation l’ensemble des paramètres qui sont là, même ceux auxquels nous ne pensons peut-être pas, que nous n’avons jamais vu – quelque chose qui nous conduirait à observer le comportement de la rate dans un exemple d’arythmie cardiaque. La machine va le faire – parce que ça ne lui coûte rien – et va peut-être découvrir quelque chose auquel nous, êtres humains, n’avions jamais pensé.
Alors, dès que la machine, dans un cas comme celui-là, fait moins d’erreurs que l’être humain, on va tout de suite poser la question des coûts : ça coûte moins cher d’avoir moins de faux diagnostics. Il y a aussi, bien entendu, le coût humain en termes d’erreurs faites, qui diminue dans les mêmes proportions – et la souffrance humaine accumulée, c’est quelque chose, effectivement, de l’ordre du qualitatif mais qu’on ne peut pas, bien entendu, ignorer. Donc nous allons vers une situation où l’on voit de moins en moins de type de chose faite par la machine qu’elle ne ferait pas mieux que l’être humain. Alors, les cas les plus, je dirais, les plus difficiles, de remplacement par la machine, c’est que l’être humain, bien entendu, est versatile, comme disent les Américains. Nous sommes des machines extrêmement peu spécialisées. Nous pouvons nous spécialiser dans quelque chose mais nous pourrons faire plein de choses extrêmement différentes. C’est l’exemple que donne Ganascia de la machine qui joue aux échecs et qui ne vous sert pas du café en même temps. Et là, vous le savez, ça existe maintenant : la machine qui joue aux échecs, et vous bat aux échecs sans difficulté, et qui vous sert un très bon café. Elle est là ; on peut la voir sur l’internet. Juste, le problème, évidemment, c’est de mettre les deux ensemble s’il y a un intérêt commercial à le faire. Mais dès qu’un intérêt commercial apparaîtra à combiner deux types d’intelligence de machines, bien entendu, on le fera. Nous sommes très peu préparés à envisager les choses de cette manière-là.
Nous voyons que le remplacement de l’homme et de la femme au travail par la machine est quelque chose qui a lieu, mais nous ne sommes pas prêts à imaginer la proportion dans laquelle ça peut se faire, et surtout que ça pourrait conduire à un remplacement entier, total, de l’homme dans les opérations de type économique et le travail, par la machine. Or, il n’y a pas d’obstacle que nous puissions imaginer qui seraient des obstacles dont nous ne comprendrions pas la nature. Tout ça peut se faire très facilement. Le robot créera un autre robot à partir d’autres processus qui auront été entièrement mécanisés : c’est une chose qui est possible.
J’étais à côté d’une dame – dans le train, hier matin – qui faisait des opérations. Je suis sûr qu’elle est payée pour faire ce type de travail – ça consistait, d’après ce que j’ai compris, essentiellement à réorganiser des données sur une feuille excel. Je l’ai vu pendant 2h30 faire des choses qu’un ordinateur ferait en moins d’une seconde – en moins d’un dixième de seconde d’après ce que j’ai pu voir moi, personnellement, sur le terrain. Et un jour ou l’autre, il est évident que l’on trouvera une raison pour que ce soit la machine qui le fasse – avec un taux d’erreur moindre aussi. Donc, l’exemple là est un peu caricatural – c’était quelque chose d’extrêmement simple.
On voit encore des statistiques qui vous sont données – sur le remplacement ou non par la machine – en interrogeant les personnes elles-mêmes, en leur demandant « Est ce que vous pensez que vous pourriez être remplacé par la machine ? » et là, les gens vous répondent à partir de choses comme « Oui, parce que parfois, je dois changer de stratégie » – ça existe déjà dans la machine; ça s’appelle un algorithme génétique, à ma connaissance, ça date des années 1980 – « Parfois, il faut que je change de cadre de réflexion et que je voie les choses sous une autre perspective » – c’est ce qu’on appelle la logique floue – là aussi, ça date des années 1980. Les gens imaginent ce qui seraient des obstacles à leur remplacement par la machine qui sont décalés par rapport à la réalité telle qu’elle est. Dans la plupart des cas, ce sont des choses que la machine fait déjà.
L’objection la plus forte qui est faite, c’est celle de la machine qui n’a pas d’émotions et qui donc ne peut pas réagir selon le sentiment. Dans ce cas-là, ma réponse à moi est extrêmement simple. Quand, à l’époque où j’étais chercheur en intelligence artificielle à la fin des années 1980, les années 1987 à 1990, l’originalité du logiciel que j’ai mis au point [ANELLA] – pour les British Telecom qui était mon employeur – c’était une machine qui fonctionnait à partir de la simulation d’émotions, et qui considérait comme pertinent à l’intérieur d’un contexte, des informations, en fonction des réponses qu’elle avait reçues auparavant, de l’intérêt de la personne pour la réponse qu’elle avait fournie, et lui faisait mettre cette information en haut de la pile, et elle la présenterait en premier la prochaine fois, puisque ça avait été apprécié les fois précédentes. Donc, là aussi, on dit « Oui, on ne pourra jamais faire ça ! » Si ! Ça a été fait dans les années 1980. On n’en a pas encore trouvé l’usage; ça c’est autre chose, mais on y reviendra certainement un jour.
Alors, qu’est-ce que ça pose comme question ? Ça pose bien sûr la disparition totale du travail. Ça pose la question de « Que va-t-il se passer pour l’ensemble des personnes qui, en ce moment, vivent d’avoir un travail et de mettre au service d’un employeur leur force de travail pendant un certain temps dans la journée ? ». Qu’est-ce que ça va changer ? Ça va changer, bien entendu, les choses du tout au tout, puisqu’on peut imaginer que l’ensemble des personnes qui travaillent en ce moment pourrait à l’avenir ne plus le faire, parce que le travail serait fait entièrement de manière mécanique.
Ce n’est pas quelque chose qui nous est étranger, dans la représentation. Moi, j’étais gosse dans les années cinquante, et quand on nous parlait de l’an deux mille, c’était une représentation de ce type-là : on pourrait tous aller se promener dans la journée, peindre, s’adonner à différents types de loisirs – comme ils sont définis maintenant – parce que les machines feraient tout. Les robots – on connaissait déjà le mot – feraient tout.
Donc, c’est quelque chose qui fait partie de notre imaginaire. Notre surprise, peut-être, c’est que ça ne s’est pas passé de cette manière-là. Qu’est ce qu’on voit ? Ce qu’on n’a pas observé, surtout, c’est ce qui était en arrière-plan, c’était l’image sous-jacente à cette représentation de l’an deux mille; c’est que les gains en argent et en temps seraient partagés, que tout le monde en bénéficierait. Or en faisant ça, on avait mis entre parenthèses l’organisation économique dans notre société, qui est que le propriétaire de la machine va obtenir le gain de la machine même en l’absence d’un être humain, mais qu’il ne sera pas disposé – ou l’organisation tout autour ne sera pas disposée – à partager ces gains avec la personne qui travaillait autrefois.
Et c’est cette réflexion-là qui m’avait conduit en ce sens – c’était en 2012 – dans une des chroniques que je faisais pour le journal Le Monde, à proposer ce que j’ai appelé, à ce moment-là, la taxe Sismondi, qui a été reprise peu de temps après par M. Hamon dans un programme, sous le nom, je dirais, plus vendeur, de taxe robot. Qu’est ce que c’était ? C’était une réflexion du fait que, de la même manière qu’était soumise à l’impôt sur le revenu la personne qui travaillait, la machine qui ferait ce travail à la place d’un être humain pourrait également être imposée. Et, dans la logique de ce qu’avait dit Sismondi – c’était dans les années 1810 – Sismondi avait dit la chose suivante : « Il faudrait que la personne qui soit remplacée par une machine bénéficie à vie d’une rente qui serait perçue sur la richesse créée par sa machine » – par la machine qui le remplace – que ce ne soit pas une perte, purement et simplement, pour les êtres humains.
Pourquoi cette réflexion de Sismondi à l’époque ? C’était l’époque où on parlait du luddisme, où, dans les années précédentes, il y avait eu quelques cas isolés – on en a fait sans doute plus que ce qu’il s’était passé : les luddites étaient allés casser des machines qui les remplaçaient. C’est une affaire plus compliquée que ce qu’on nous dit d’habitude : d’abord, ce Ned Ludd est peut-être un personnage de légende qui n’a jamais existé, et il y avait une situation tout à fait particulière qui était le blocus par Napoléon de la Grande-Bretagne, qui a conduit à ce qu’on baisse – de manière tout à fait considérable – les salaires dans l’industrie du textile, en raison de l’impossibilité pour la Grande-Bretagne d’écouler ses produits à l’étranger. Que s’est il passé ? D’après ce que nous avons compris maintenant, d’après des documents que nous avons, certains employeurs ont dit aux ouvriers mécontents « Nous serions personnellement bien disposés, bien entendu, à maintenir vos salaires, mais nous avons quelques collègues qui ne seraient pas prêts à suivre. Ne pourriez-vous pas les encourager ? » et qu’il y aurait eu là quelques bris de machines. Mais, vous le savez, ça s’est très très mal passé : ça a conduit à pas mal de gens envoyés au bagne, et si j’ai bon souvenir, je crois que c’est dix-sept ou dix-huit pendaisons de personnes qui avaient été prises à détruire des machines [« En mars 1812, à Nottingham, 7 hommes furent condamnés à la déportation (en Australie). En avril et mai, les assises de Lancaster et Chester condamnèrent 13 individus à des peines de prison, 25 à la déportation et 22 à mort ; de ces derniers, 12 furent graciés et 10 pendus. Enfin, en janvier 1813, les assises d’York jugèrent 34 hommes ; 8 furent acquittés, 7 condamnés à 7 ans de déportation, 18 à mort, dont 17 furent exécutés […] ; le dix-huitième fut gracié et déporté à vie » (François Crouzet, « Le Luddisme : Essai de mise au point », in Travail et emploi (2001) : 147-148].
Donc, le luddisme avait conduit à une tragédie humaine, et Sismondi… Sismondi était, en fait, un philosophe suisse qui a produit une réflexion très importante – D’ailleurs, il est considéré comme un des premiers socialistes au niveau de la réflexion. Il est à la fois loué et critiqué assez vertement par Marx et Engels dans le Manifeste Communiste, ou bien Manifeste du parti communiste de 1848. Dans la partie finale de ce petit livre, ce manifeste, il est appelé « le principal représentant du socialisme petit bourgeois ». Pourquoi petit bourgeois ? Parce que Sismondi était convaincu qu’on pouvait réformer nos sociétés, qu’il n’était pas nécessaire de passer par la révolution comme étant le moyen de changer radicalement des choses, d’où le fait qu’il était mal considéré par Marx et Engels.
La question de la dissociation, une fois pour toutes, des revenus des personnes – qui sont actuellement des salariés – du travail effectué, a été posée pour la première fois – historiquement, dans les temps modernes – dans un rapport de 1962. Je ne parle pas, évidemment, des discussions qui ont pu avoir lieu au début du dix-neuvième siècle, non seulement par des « socialistes petit-bourgeois » comme Sismondi, mais par des socialistes utopiques, comme les appelaient aussi Marx et Engels, en particulier les Fourier, les Cabet, etc.
C’est un rapport par la Students for Democratic Society, une association d’étudiants de gauche en 1962, dont le représentant le plus connu est Tom Hayden. M. Tom Hayden est quelqu’un qui est devenu un homme politique important en Californie. Il est aussi connu pour une autre chose, c’est d’avoir été le second mari de Mme Jane Fonda, que tout le monde connaît. Il a, avec quelques camarades, essayé d’imposer cette idée de dissociation, une fois pour toutes, des revenus du travail effectué, et il a été entendu. Le rapport est de 1964, et en 1966, le président Johnson leur demande de plancher véritablement sur le sujet.
Depuis, qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est passé la situation suivante, c’est que, non, on n’a pas mis entre parenthèses le fait que le problème se posait, mais au niveau des gouvernements et au niveau des entreprises, on a joué sur le fait de ne pas poser la question, pour des raisons stratégiques. Parce qu’on a bien vu que pour ceux qu’on appelle les demandeurs d’emploi et ceux qui offrent du travail, en principe, que le rapport allait se détériorer, que les syndicats seraient dans une position de plus en plus difficile parce qu’il y aurait de plus en plus concurrence pour les postes existants encore, et que l’on pourrait se faciliter les choses, du côté des entreprises et du gouvernement, en ne mettant pas la question entièrement sur le tapis et en n’essayant pas de la traiter telle quelle.
Mais le fait est que, quand on regarde maintenant, et ça ne date pas de maintenant … D’une certaine manière, ce que nous appelons la révolution ultralibérale des années soixante-dix, que nous attribuons essentiellement à Mme Thatcher et à M. Reagan, et dont, quand on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il y a d’autres choses en arrière-plan, qu’il y a par exemple la prise de pouvoir des entreprises, le fait qu’à partir de ce moment-là, des entreprises deviennent aussi puissantes que les états, et imposent aux états de traiter les problèmes dans leur logique à elles, qui est une logique de finalité économique plutôt que de finalité d’ordre social. Les choses se modifient à partir de ces années-là : quand il y a investissement dans une entreprise, c’est un investissement pour ajouter des machines, pour ajouter des logiciels, pour ajouter des robots, plutôt que de créer des postes qui seraient occupés par des êtres humains.
Donc on peut parler, je dirais, de prise de pouvoir idéologique, et on a tendance à le faire. On nous dit aussi – encore que là, on calcule assez mal « Oui, ce qu’il y a eu à ce moment-là, c’est la disparition du bloc soviétique. C’est le fait qu’il n’y a plus d’opposition. C’est ça qui change radicalement les choses. » – Mais il faut bien le dire, quand même, que c’est vingt ans plus tard, et qu’il y a d’autres choses en arrière-plan : le fait que l’argent investi dans l’entreprise est essentiellement pour créer des machines supplémentaires – pour introduire des logiciels ; le fait que des entreprises deviennent aussi puissantes que les états – et imposent leur manière de voir les choses ; ça, c’est à mon sens, l’arrière-plan, plus qu’une simple révolution idéologique – dont je ne pense pas qu’elle aurait pu avoir lieu en tant que telle. Pourquoi les gens se seraient-ils convertis à quelque chose simplement parce que Mme Thatcher ou M. Reagan impose cela comme discours ? Non : il y a eu des événements de type matériel qui ont changé les choses. Donc, de plus en plus d’argent investi pour des machines plutôt que de créer de nouveaux postes. Mais, encore maintenant – je parle des années des années 1980, début des années 1990 – nous continuons à parler des entreprises créatrices d’emplois. C’est un discours qui ne tient pas.
Je ne sais pas si vous vous souvenez, à l’époque où on a donné, ici en France – si j’ai bon souvenir, c’était dix milliards – aux entreprises pour créer des emplois, et dans la chronique que j’ai faite dans les jours qui ont suivi au Monde, j’ai posé la question « Quel est le mécanisme qui ferait que donner des milliards aux entreprises déboucherait sur la création d’emplois ? » Il n’y a pas de mécanisme connu, disais-je, qui pourrait transformer l’un dans l’autre. Cet argent peut être distribué en dividendes aux actionnaires, il peut être réinvesti dans l’entreprise, il peut servir à du rachat d’actions, mais il n’y a pas, il n’y a plus de mécanisme qui conduirait directement des avantages pécuniaires donnés à une entreprise à déboucher, de manière quasi automatique, sur de nouveaux emplois.
Dans la perspective – qui était une perspective ancienne – dans un cadre de récession, dans un cadre de difficultés, quand il n’y a plus assez de pouvoir d’achat, que fait-on ? On augmente les salaires. C’était la perspective ancienne. Dans une situation comme au début 2008 – quand les grosses entreprises n’arrivent pas à mettre tout l’argent dont elles disposent dans l’économie – parce qu’il n’y a pas une demande suffisante dans la population – et qu’elles sont obligées de spéculer à ce moment-là, si l’on réagissait comme il faudrait le faire – en haussant les salaires pour reconstituer un pouvoir d’achat, pour qu’il y ait de nouveau une demande dans les entreprises – dans la situation où nous sommes, ce serait un encouragement encore supplémentaire à acheter d’autres machines puisque la main d’œuvre devient plus chère, il est d’autant plus avantageux de créer davantage de postes de robots, de logiciels qui remplacent entièrement des êtres humains, et des choses de cet ordre-là.
On nous a beaucoup vendu – dans les années 1980-90 – l’idée que l’automation, ce ne serait pas le remplacement de l’humain par la machine, que ce serait complémentaire. On nous dit ça encore maintenant : quand on parle de l’intelligence artificielle qui remplacera des tas d’emploi, on dit « Non, elle viendra compléter ce que font des êtres humains à la place ». A propos de cela, j’aimerais que vous regardiez un petit peu – j’ai attiré l’attention sur ça, qui s’est passé il y a deux ou trois ans – le robot qui s’appelait Baxter.
Le robot Baxter, on nous le présentait comme étant un robot qui allait travailler avec des êtres humains et qui allait être véritablement le complément de l’être humain, pour l’aider. La petite vidéo initiale vous montrait ce robot Baxter – qui avait une apparence humaine (parce qu’on la lui avait donnée) il avait deux bras, de gros yeux – et on voyait Baxter, effectivement, mettre des objets dans des boîtes en compagnie d’un être humain qu’il aidait – enfin, que lui aidait – à mettre des objets dans la boîte, et c’était formidable.
Mais deux ans plus tard, il y a eu une autre petite vidéo de la même firme. Et quand je l’ai regardé, j’ai été surpris, parce qu’on avait oublié que le message de la première vidéo, c’était le robot complétant l’être humain. Parce que, qu’est-ce qu’on voyait ? La petite vidéo disait ceci « Le robot Baxter a doublé sa productivité. » Et quand vous regardiez, vous compreniez, de manière tout à fait intuitive – très rapidement – pourquoi ? C’est parce que le robot Baxter faisait désormais des choses indépendantes avec les deux bras. Il faisait ceci avec un des bras et, avec l’autre, il faisait une opération tout à fait différente.
Alors ça, c’est une chose que nous, l’être humain, nous ne savons pas faire. Nous pouvons regarder la télé en même temps que nous lisons un livre parce que nous le faisons de manière alternée, ou nous pouvons twitter en faisant des tas d’activités – comme de traverser la rue au rouge – mais faire des opérations entièrement distinctes avec nos deux bras, ça nous ne savons pas faire : nous coordonnons l’action des deux bras et des deux mains. Ce qui manquait aussi, dans cette petite vidéo, c’était un être humain à côté de Baxter. Il n’y avait plus personne à côté de lui, et on comprenait tout de suite pourquoi on ne pouvait plus mettre un être humain à côté de lui : parce que ses deux bras agissant de manière indépendante faisaient que son comportement était tout à fait imprévisible, et aurait certainement conduit à des accidents. Tant qu’il faisait une seule chose avec ses deux bras, nous pouvions nous identifier à ce que faisait le robot Baxter ; ensuite c’était devenu absolument impossible.
Donc, augmenter les salaires pour relancer l’économie, pour qu’il y ait une demande de nouveau, pour qu’il y ait à nouveau un pouvoir d’achat dans les populations. Et vous savez les chiffres – je vous en ai parlé la fois dernière : la partie la moins riche de la population – c’est le cas de manière tout à fait flagrante aux Etats-Unis, mais c’est un peu le cas chez nous aussi – perd du pouvoir d’achat, perd de la richesse. Je vous l’avais dit, les 40 % les plus pauvres des Américains avaient encore 2,2 % de la richesse nationale en l’an 2000, et ils n’ont plus rien en ce moment, parce que le peu de gains de certains est annulé, neutralisé par les dettes des autres. Augmenter les salaires, oui, mais ça va simplement accélérer ce processus qui fera qu’une entreprise aura intérêt à investir plutôt l’argent dont elle dispose à acheter de nouvelles machines, acheter de nouveaux logiciels, investir dans l’intelligence artificielle, plutôt que de créer de nouveaux postes.
La remarque vraiment très intéressante faite dans ce rapport des étudiants Students for Democratic Society – 1964, on est à l’époque de la guerre du Vietnam – et ils font la remarque suivante : « C’est l’industrie de guerre qui fait fonctionner l’État, et s’il n’y avait pas ça, nous serions dans une période de récession. » D’une certaine manière, vous le savez, les dépenses liées à l’armement sont tout à fait considérables – regardez la manière dont les gouvernements se conduisent de manière servile dès qu’il y a un contrat d’armement, vis à vis d’autres nations. Que propose-t-on à l’époque, en1966, dans le rapport de Johnson ? Pour la première fois dans une période récente, on parle de revenu universel de base. On parle aussi de l’impôt négatif, qui est une variante si vous voulez. C’est une invention d’un ultralibéral, de M. Milton Friedman, qui consiste à dire que, en dessous d’un certain revenu, on ne fera pas comme on fait maintenant – c’est à dire simplement exonérer d’impôt des personnes dont les revenus sont insuffisants – on leur donnera de l’argent pour compenser le fait qu’ils ne soient pas imposables. C’est une manière dont on pourrait envisager les choses : ce serait une forme de revenu universel de base, si vous voulez, mais un peu comme le RSA, c’est à dire qu’il ne s’adresserait qu’aux personnes qui en auraient un véritable besoin.
Quels sont les dangers de laisser se développer une situation où il y a de moins en moins de personnes qui travaillent ? Quand on calcule les taux de chômage, on met souvent entre parenthèses la proportion même de la population qui a un emploi ou qui cherche un emploi. Mais si on regarde de manière séculaire, en fait, la proportion – depuis la Deuxième guerre mondiale – le nombre de personnes qui travaillent dans nos sociétés occidentales diminue. Il diminue en soi, mais c’est à partir de ce nombre en diminution que l’on calcule les taux de chômage.
Un auteur américain, un politologue, Peter Frase pose la question de ce qu’il va se passer quand on aura face à face des populations qui seront véritablement sans emploi et une population extrêmement riche de l’autre côté – qui sont des gens qui ne travaillent pas, qui, de manière traditionnelle depuis que le capitalisme existe, vivent du gain du capital : les « classes oisives » dans la description du Portrait de la France [Tableau économique] de Quesnay en 1758. Un monde à la Elysium, un film dont j’ai parlé dans le premier exposé : deux mondes séparés, une humanité à la dérive sur une Terre de plus en plus dégradée – des gens qui font des petits boulots, et un monde idyllique dans une station orbitale de gens extrêmement riches – et qui ont accès, dans une perspective très transhumaniste, à l’immortalité. Le danger, dit Frase, c’est qu’on va se trouver dans la situation déjà connue où une part de la population en position dominante est excédée à ce point par le comportement d’une autre partie de la population qu’elle va se tourner vers le génocide, vers « l’exterminisme » dit-il pour avoir un terme général, c’est-à-dire qu’elle voudra se débarrasser d’une population qui apparaît extrêmement hostile, qui est considérée uniquement comme des gêneurs.
Vous avez peut-être vu ce petit film : c’est une petite vidéo qui a été produite par l’ensemble des scientifiques qui s’opposent à l’utilisation militaire de l’intelligence artificielle, et en particulier au développement de « munitions autonomes », c’est-à-dire d’armes de guerre prenant leurs propres décisions.
C’est une petite vidéo où on vous présente un petit groupe de lycéens, et ce petit groupe de lycéens découvrent des choses sur l’internet. On ne nous dit de manière très claire de quoi il s’agit exactement, mais on voit simplement les parents s’inquiéter un petit peu de l’intérêt de leurs gosses pour ceci ou cela [« parce que c’est un truc politique »]. Mais la scène suivante, c’est que ces enfants se trouvent dans un grand amphithéâtre et arrive une petite armée de mini-drones et qui tuent de manière instantanée : par une charge placée sur le crâne, ils tuent les enfants par une petite explosion – ceux que nous avons vus, les lycéens remuants qui se sont intéressés à [une affaire de corruption] sur l’internet. Cette petite vidéo, je vous la recommande. D’abord elle est très bien faite, et elle est très saisissante parce que on voit l’attitude des parents et tout ça, et on voit qu’on n’est pas dans un monde de science-fiction. On voit que c’est aujourd’hui que ça se passe, et que ce genre de choses n’est pas impossible.
Le revenu universel de base est une approche possible pour déconnecter entièrement la question des revenus de celle du travail effectué. J’ai fait partie – il y a très longtemps et c’est familier pour certains d’entre vous – d’un petit groupe de réflexion qui existe toujours, qui s’appelle le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales, créé par des gens comme comme Alain Caillé, Philippe Van Parijs – qui a été un des premiers à parler de revenu universel de base, et qui en parle encore . A la fin des années 1970, je faisais partie des gens dans cette mouvance qui étaient très acquis à cette idée de revenu universel de base. C’est dans la période intermédiaire – entre ce moment et maintenant – d’avoir travaillé dix-huit ans dans les banques qui m’a conduit à revoir mon opinion à ce sujet : j’ai vu le monde bancaire toujours très disposé, dès qu’une injection supplémentaire d’argent arrive du côté des salariés, à constituer de manière immédiate des groupes de réflexion – essentiellement avec des juristes – sur « Comment pourrions-nous capter une partie de cet argent supplémentaire disponible dans la population ? »
J’en ai parlé ici même il y a quelques jours – nous avons discuté d’une réflexion de l’église sur ces sujets-là. C’est comme ça que ça se passe, et je ne pense pas qu’on puisse modifier l’attitude des milieux financiers vis-à-vis des questions de ce type-là. Mais même si on arrivait à le faire, l’économie elle-même est extrêmement prédatrice sur ce genre d’initiatives. On a connu l’époque, ici, où dès qu’il y avait une grande augmentation des salaires – grâce à un grand accord inter-industries, etc. obtenu par les syndicats – que le prix des loyers augmentait en proportion des gains de la population salariée. J’ai vu, moi, aux États-Unis en 2009, au moment où on veut relancer le secteur immobilier après la grande catastrophe qui a eu lieu, que l’état fédéral décide que quatre mille dollars seront alloués à l’ensemble des jeunes ménages qui veulent accéder à la propriété de leur logement pour la première fois, et le lendemain matin, ces quatre mille dollars sont absorbés par le marché – qui a augmenté le prix de toutes les maisons de manière simultanée de quatre mille dollars – qui a trouvé le moyen de capter cet argent-là.
Il n’y a pas que cela. Il y a aussi, et ça c’était le grand argument du XIXe siècle et même peut-être encore maintenant : « Des augmentations de salaires? des avantages supplémentaires ? Ils vont aller boire leur paie, ou ils vont utiliser tout cet argent-là pour acheter des billets de loto ou que sais-je encore.», ce qui pourrait d’ailleurs, d’un point de vue clairement économique, être peut-être là, effectivement, la meilleure stratégie, puisque c’est la seule possibilité pour des gens dans des situations de ce type-là de changer véritablement de condition. Je suis sûr qu’en termes de théorie des jeux, mettre tout l’argent du revenu universel dans l’achat de billets de loterie serait considéré comme probablement la stratégie optimale. Donc il faut en tenir compte : il faut protéger, à mon sens, les nouvelles propositions contre la prédation éventuelle du monde extérieur.
Vous savez que, d’un point de vue séculaire – depuis l’invention des coopératives d’achat et de vente de détail, au début du XIXe siècle, à l’incitation de Owen, ces choses ont disparu petit à petit, non pas par leur inefficacité en tant que telle, mais par le fait que les parties qui fonctionnaient ont été absorbées par le monde environnant.
Une anecdote – que vous avez peut-être déjà entendu parce que je la raconte souvent, parce qu’elle est très significative : l’organisation par M. Hamon, en 2013, d’un gros colloque – à l’occasion du lancement de sa mesure qui permet aux entreprises en difficulté de se retransformer assez facilement en coopérative – et nous sommes invités à faire un exposé, et la question m’est posée : « Nous aimerions vous rémunérer pour votre intervention. Combien demandez vous ? », alors je dis « Qu’on me donne exactement la même chose qu’on donne aux autres » et on me répond en disant « Non, c’est pas possible parce que 60 % de la somme allouée pour cela a déjà été attribuée à un professeur américain que nous avons invitée » – une dame d’une des grandes universités, je ne sais plus si c’était Harvard ou Yale. Au moment où cette dame commence à parler – et donc, M. Hamon est au premier rang avec un certain nombre de personnes – cette dame s’adresse à nous de manière très américaine – dans un style de com : « Vous faites partie d’une coopérative ? Ne vous inquiétez pas, je vais résoudre ça: Je vais vous montrer le moyen de sortir de cette situation et d’arriver rapidement à devenir une vraie entreprise comme toutes les autres, etc. ». Alors catastrophe évidemment, et regards entre personnes qui se disent « On a refusé à nos intervenants d’être payé convenablement pour permettre à cette dame de venir spécialement des États-Unis pour nous dire ça ! » Mais c’est comme ça que le monde est effectivement autour de nous.
Alors, qu’est-ce qu’on peut faire à la place ? Eh bien, on peut faire autre chose; on peut revenir à une autre idée de la même époque, les années 1810-1840, qu’on appelle la révolution sociale à l’époque : la gratuité.
On est parfois étonné quand on regarde l’histoire de la gratuité : Ernest Solvay, un grand chimiste belge qui a inventé [un processus industriel de fabrication de] la soude caustique ou quelque chose comme ça [correct] – les vrais ingénieurs me corrigeront – l’entreprise Solvay est encore une des grandes entreprises chimiques mais M. Solvay, on ne le sait plus maintenant, à ses heures perdues, est un penseur anarchiste et qui, en particulier, a introduit la gratuité dans l’ensemble de ses entreprises extrêmement florissantes. Comment ça fonctionne ? Eh bien, à l’intérieur de l’entreprise, il n’y a pas d’argent qui circule en aucune manière, mais chacun a un petit carnet et dans ce petit carnet on note simplement les services qu’on rend à d’autres et les services que d’autres vous ont rendu, avec l’attente – qui vient simplement de la pression sociale tout autour – qu’il y ait une certaine équivalence entre les deux. Cela fonctionne de cette manière-là.
Alors, dans les années cinquante – ça commence à venir avec les grands flux des années trente – il y a le point culminant des Trente Glorieuses où on peut parler de véritable gratuité pour l’accès à la santé, on peut parler de gratuité à proprement parler pour l’accès à l’éducation, à l’instruction, et puis petit à petit cela se délite, on nous dit qu’on n’a plus l’argent pour le faire. Pourquoi ? Parce qu’on a fait dépendre l’« état providence » – qu’il vaudrait mieux appeler « état de bien-être » comme le font les Anglo-saxons – on l’a fait dépendre de la croissance, c’est à dire qu’on l’a fait dépendre de calculs. Qu’est-ce que c’est la croissance ? Ce sont des sommes de valeurs ajoutées, donc ce sont des sommes de profits faits par les entreprises. Et on nous dit que l’« état providence » ne peut que dépendre de la croissance. C’est le discours qu’on nous tient maintenant. On n’a pas inscrit véritablement l’état de bien-être dans nos institutions.
On pourrait le faire : on pourrait revenir à la gratuité pour l’enseignement et à la gratuité totale pour l’accès à la santé. La disparition de l’accès gratuit à l’éducation – on le voit quand on regarde les études qui sont faites – cela conduit à ce que l’accès à l’Ecole Normale Supérieure s’apparente depuis quelques années, de nouveau, à une sorte de système dynastique – où ça se fait de père en fils et de mère en fille – où la question de la qualité même des étudiants ne joue plus. On pourrait réintroduire cet accès à la connaissance d’autant que la connaissance va devenir de plus en plus indispensable dans la mesure où il faudra que chacun revoie en permanence – de manière véritablement continue et permanente – les connaissances dont il dispose dans un monde qui évolue rapidement – même si c’est, hélas, dans une mauvaise direction.
L’extension de la gratuité aux transports de proximité… On nous impose maintenant, pour des raisons administratives, que chacun doive faire certaines opérations par ordinateur Il faudrait que cet accès à l’ordinateur soit gratuit, les abonnements, etc. Vous le savez, dans le domaine de l’accès du wifi, il y a une gabegie absolument extraordinaire : vous vous mettez n’importe où, et vous avez la possibilité d’avoir accès à un million de points de connexion ! On ne le dit pas assez, mais c’est un gaspillage absolu. Il n’y a pas de raison que ça fonctionne de cette manière-là. On nous dit que c’est une des conséquences de la concurrence pure et parfaite, mais vous le savez bien, c’est en réalité l’une des manières de gaspiller les ressources dont nous avons besoin.
On peut imaginer aussi l’accès à l’alimentation de manière élémentaire – sur le principe des chèques-repas ; ça existe déjà. On nous dit « Oui mais, la gratuité, ça conduit à des abus. » Non : on ne mange pas dix fois plus qu’on peut. On peut se gaver un jour, si on imagine que c’est une bonne idée, mais on ne le fera pas tous les jours. Il faudrait penser, bien entendu, s’il y a la gratuité dans un pays pour l’accès à l’alimentation, qu’il n’y ait pas un trafic qui s’organise aux frontières, des choses de cet ordre-là… Aux États-Unis existe un système qui s’appelle les food stamps et qui est un système qui fonctionne extrêmement bien pour les familles défavorisées, qui vous permet d’acheter un certain type d’alimentation – ça ne vous permet pas d’acheter des bouteilles de whisky mais des fruits, des légumes, des nouilles et des patates, et ainsi de suite – et je l’ai vu fonctionner aux États-Unis pendant les douze ans que j’étais-là. Par ailleurs, il n’y a pas de trafic, il n’y a pas de tricherie. A ma connaissance, il n’y a pas de personnes en prison parce qu’elles auraient été des faux monnayeurs de chèque-repas ou des choses cet ordre-là.
C’est possible. Un collègue belge – qui m’a fait l’amabilité de me citer parmi les gens qui l’ont inspiré, il y a quelques jours, dans le journal qui s’appelle L’Écho – propose des chèques, des coupons qui permettraient de payer une partie du loyer, mais sans l’inconvénient que je disais, puisqu’il s’agirait de choses non véritablement monnayées qui seraient à l’abri d’une politique, voilà, de simplement augmenter les loyers. Mais bien entendu, on peut aussi, par la régulation des loyers, empêcher bien entendu qu’il y ait un impact de l’introduction de choses de cet ordre-là.
Alors la question qui se pose, c’est la question des coûts respectifs. Il y a une équipe de University College, à Londres – il se fait que, accidentellement, c’est des gens que j’ai bien connus à une époque où moi j’enseignais à Cambridge, qui ont fait ça. En octobre 2017, ils font un rapport où ils proposent – sous le nom de Universal Services : Services Universels, par opposition, bien sûr, à Revenu Universel, et c’est la gratuité pour l’indispensable. C’est exactement ce que je propose depuis un certain temps, mais avec l’avantage que ce soit chiffré.
Ils ont calculé un niveau qui serait considéré raisonnable pour des distributions de revenu universel de base. Ils ont fait le calcul pour l’ensemble du Royaume-Uni et pour l’accès à la gratuité dans les domaines que je viens de vous signaler, donc logement, alimentation, éducation, santé, accès à l’internet, transport de proximité et ainsi de suite : le revenu universel coûte 13% de PIB à la Grande Bretagne et le service universel – c’est-à-dire la gratuité pour l’indispensable – 2,2 %, c’est-à-dire six fois moins, six fois moins à l’échelle de la Grande-Bretagne. Pourquoi ? Eh bien, c’est assez évident : c’est parce que, dans le revenu universel, il y a, par nécessité, une dimension consumériste qui n’apparaît pas immédiatement, qui est le fait que donner des chèques à des gens qui n’ont pas besoin de cela, ce sont des sommes qui disparaîtront nécessairement dans l’économie – mais peut-être pas, justement, du côté de l’indispensable – qui simplement inciteront aussi des entreprises à créer peut-être des besoins artificiels. Donc la gratuité six fois moins chère que le revenu universel de base, et protégée, sous bien des aspects, contre la prédation du monde extérieur, contre le mauvais usage, parce que, comme je vous le disais, les food stamps, on ne peut pas les utiliser pour acheter de l’alcool – tout simplement, ça ne fait pas partie des produits que l’on peut acquérir de cette manière-là.
Voilà. Je crois que j’ai fait un peu le tour de la question: l’emploi qui disparaît, le fait, malheureusement, que nos dirigeants refusent de parler de cette question qui était déjà soulevée dans les années 1960 – proposée par un mouvement de gauche, inspirée par des étudiants mais prise au sérieux par le gouvernement de M. Lyndon Johnson – alors que, à l’époque actuelle, on nous dit : « Un emploi ? eh bien, traversez la rue et vous allez le trouver » ce qui est la pire manière, à mon sens, de poser cette question de la disparition du travail.
Alors, quand des calculs sont faits de combien d’emplois vont disparaître dans les dix années à venir, etc. il y a des calculs qui sont faits de manières différentes et qui donne d’autres des chiffres différents. Dans certains cas, on vous parle de 50%, 60%, 70% des emplois qui disparaissent. L’évaluation de l’OCDE – qui est sans doute la plus basse – est de 9% d’emplois à l’échelle 2020 ou 2025, mais aucune des études ne dit que rien ne va se passer. L’originalité de l’étude de l’OCDE, c’était de ne pas parler d’emplois en tant que tel mais de tâches, et c’est de distinguer les tâches. Mais il y a un article qu’on m’a signalé ce matin, une publication qui a eu lieu hier, une étude par des grands spécialistes de ces questions aux États-Unis qui attire l’attention sur la difficulté à pouvoir évaluer, avec les méthodes dont on dispose maintenant, le remplacement d’une tâche faite par un être humain par une tâche faite par une machine. Nous ne disposons pas, disent ces grands spécialistes, des bons outils pour le faire. D’abord, nous n’avons pas de données historiques, comme on dit, sur de longues périodes, et ensuite, personne n’a construit des outils qui nous permettent d’envisager un emploi particulier sous forme de décomposition de l’ensemble des tâches qui sont faites, et de la difficulté ou non, pour une machine quelle qu’elle soit – un robot complété d’un logiciel, etc – de remplacer l’être humain. Donc, nous sommes mal outillés pour faire des projections. Nous savons simplement que ça se fait parce qu’on le voit. Le test, peut-être, bien entendu et je vais terminer par là, c’est quand la compagnie Apple nous dit « Je vais délocaliser une entreprise américaine » – je crois que c’était l’Indonésie dans ce cas là – et quelques années plus tard, Apple nous dit « Nous allons rapatrier ces emplois d’Indonésie, nous allons reconstituer l’usine chez nous ». Mais qu’est-ce qui se passe quand on regarde les chiffres ? Je vais vous donner des chiffres arrondis mais il y a trois mille emplois qui disparaissent chez Apple quand ils créent l’usine en Indonésie, mais ils ne créent que mille emplois en Indonésie. Pourquoi ? Parce qu’on tire parti, bien entendu, de la délocalisation pour mécaniser au maximum. Et quand l’entreprise qui emploie mille personnes en Indonésie est rapatriée, cette fois-ci relocalisée aux États-Unis, il n’y a plus que un dixième, il n’y a que trois cents personnes dans la nouvelle usine. C’est là que l’on voit comment le processus se passe et les déperditions qui ont lieu. Une autre chose qui rend les choses difficiles à évaluer, c’est la dame à côté de moi dans le train qui fait quelque chose que l’ordinateur fait mieux qu’elle depuis la fin des années 1980 – j’ai quand même pas mal travaillé dans les domaines innovants, dans ce domaine-là : je peux situer ça – et qui un jour ou l’autre sera remplacée par la machine. Il se trouvera un employeur quelque part pour se dire que ça coûte beaucoup moins qu’un logiciel fasse ce genre de chose. Il y a un chiffre qui traînait par là d’une personne qui dirigeait, dans une grande entreprise, une équipe de sept comptables, et qui déclarait « Maintenant, nous sommes un et demi : moi plus un demi-poste. Parfois, je me demande ce que je dois lui demander de faire. »
Voilà : C’est là que nous en sommes.
[Applaudissements]
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Il reste un peu de temps pour des questions sur cet exposé, ou pour ceux qui auraient été là six fois…
Question du public
Les deux dernières conférences auxquelles j’ai pu assister m’ont beaucoup intéressé. Je vais vous restituer un petit peu, peut-être pas dans l’ordre, peut-être pas de façon méthodologique, ce j’ai ressenti de ce savoir dont vous nous avez gratifiés, mais je vais m’arrêter sur deux ou trois points, et vous dire en quoi je pense que, finalement, en dépit de nous avoir présenté de façon globale, votre vision, votre lecture des faits, je pense finalement que les choses ne changeront pas. Les choses ne changeront pas et iront en empirant, pour la simple raison que… J’observe que vous faites une lecture des faits très circonscrite par rapport à notre vécu ici. Je vais prendre un exemple tout simple – j’ai extrêmement apprécié l’exemple que vous avez fait du film Elysium, où il y aurait des personnes nécessiteuses qui voudraient accéder à cet espace – je n’ai pu m’empêcher de voir une certaine analogie avec ce monde africain et le monde occidental … Ce qui se passe avec les Africains, là, qui se noient en mer, qui veulent venir…
Les problèmes que vous avez évoqués dans ces exposés sont très autocentrés. Autant ce problème-là qu’on ne regarde pas, et qu’on pourrait juste se référer aux réalités filmiques pour pouvoir faire des illustrations, comme si finalement, on avait besoin de voir d’autres le faire, alors que nous sommes en plein dedans. Le problème, c’est que vous les énoncez bien ces réalités, c’est à dire que généralement, il y a une prédation. Vous l’avez bien dit : on prend chez ceux qui en ont, et parfois même chez ceux qui n’en ont pas. Je dis ça parce que j’ai une vision très panoramique : je vois par exemple qu’ici nous sommes en plein jour, et il y a les lumières allumées : on se nourrit à l’électricité avec le nucléaire, etc. qui est pris au Niger, et au Niger, ils n’ont pas l’électricité. Ils n’ont même pas d’ampoules. On crée des panneaux solaires ici, nos toitures en sont couvertes. On n’a pas de soleil, mais de l’autre côté, ils n’en ont pas.
Il y a un manque de redistribution et c’est exactement ce que vous avez dit : le fait de ne pas penser global, que le progrès technique devrait bénéficier à l’humain dans ce qu’il a d’humain. C’est à dire que c’est un homme : on ne cherche pas à savoir si il est ici ou là. Et vous avez vu, quand vous avez posé la question de la gratuité, l’extension de ce qui s’appelle « universel » – et qui pour moi n’est pas universel puisque c’est circonscrit donc pas universel – on voit bien que pour que ce principe-là fonctionne, il faut bien avoir à l’esprit ceux qui pensent qu’il faut bien qu’il y ait des barrières. Mais dès lors qu’on met une barrière, on ne va créer qu’une sorte de satisfaction séquentielle : dans un lieu, il y aura appauvrissement, dans l’autre, il y aurait effectivement… et cette idée de ne voir le problème que sous notre propre prisme caractérise exactement le système dans lequel nous sommes. Je trouve que les solutions, vous les avez également avancées, c’est à dire qu’on ne peut pas parler de gratuité si au bout, on ne considère pas que les autres sont identiques à nous. Sinon, la gratuité n’existe pas.
Sur plusieurs points, vous avez dit des exemples très parlants, vous avez permis de voir beaucoup de choses et de constater en même temps qu’on ne fait pas assez attention à l’application de ce qui pourrait être des solutions. Le mieux c’est le mien, ce qui m’appartient. C’est d’abord le mien et puis, eh bien, crèvent ceux qui n’en ont pas. Je crois qu’on est là-dedans.
Maintenant que le bateau coule en mer, on ne se soucie pas de savoir si la vague va ramener des déchets dans d’autres lieux où ils n’ont même pas les techniques que nous avons pour essayer de repêcher les hydrocarbures qui polluent. On ne se pose pas ces questions-là et j’entends des choses magnifiques sur nos plateaux télé, aux grands spécialistes qui viennent nous dire « Oui ce sont des bateaux qui ne pourraient plus battre pavillon ici. Il faudrait faire attention que c’es choses n’arrivent pas ». Bon.
On parle protection de l’environnement mais on pense qu’on peut ouvrir la fenêtre et jeter une peau de banane là sur la route, mais par répercussion, ici dans notre salle – bien qu’on soit au cinquième étage – c’est fou, parce que notre enfant peut être en train de nous attendre là-devant, il glisse, il se casse une jambe, et c’est nous qui l’avons jeté cette histoire.
PJ : Il y a une chose qui m’était venue à l’esprit mais que je n’ai pas dite au moment où j’ai parlé de « l’exterminisme » de ce politologue américain, Frase : j’ai pensé aux gens qui se noient en essayant de traverser la Méditerranée, mais il se fait que je ne l’ai pas dit, je suis passé sur autre chose. Une autre chose à laquelle j’ai pensé aussi à ce moment-là, c’est que quand on nous parle de, voila, de « problème des banlieues » : le « problème des banlieues » ça se situe déjà dans un certain type de discours où, effectivement, une partie de la population considère comme des gêneurs une autre partie de la population. Je ne sais pas si vous avez noté ça – moi ça m’a frappé. Ça date d’il y a quelques semaines – cet article dans le journal Le Monde où la rédaction est indignée par le courrier des lecteurs qui lui est adressé au Monde. Que dit l’article ? C’est à propos des Gilets Jaunes : on avait interrogé une famille, un ménage qui se disait Gilet Jaune, sur leur vie quotidienne, et la rédaction du Monde a été effarée par la hargne, et même la haine, exprimée par les lecteurs du Monde dans le courrier à l’égard de cette famille. Manifestement, il y avait quelque chose de ce que Frase évoquait, c’est-à-dire que la partie du riche de la population, la partie nantie, manifeste sa haine vis-à-vis des autres.
Une petite remarque – vous allez comprendre pourquoi – dans le prolongement de ce que vous avez dit. Je vous ai parlé des raisons de type économique et financier qui m’ont conduit à passer de la proposition de revenu universel de base à celle de gratuité, mais ce qui m’a le plus convaincu, c’est la lecture que je faisais pour d’autres raisons, je suis tombé sur le fameux Discours sur les subsistances de Robespierre en 1792. De quoi s’agit-il ? Il faut d’abord comprendre un tout petit peu bien entendu le contexte : c’est une France à ce moment-là, qui est entièrement, non seulement dans la guerre civile – il y a la campagne de Vendée, il y a des révoltes à Nantes, à Lyon contre la révolution – mais l’ensemble des frontières extérieures sont attaqués par des ennemis, de la Belgique au nord à l’Espagne au sud. Que se passe-t-il ? Il y a des marchands qui font de l’accaparement, c’est à dire qu’ils prétendent ne pas avoir les ressources pour ne pas les mettre sur le marché, pour faire monter les prix. Ce discours de Robespierre n’est pas extrêmement il n’est pas situable sur l’échiquier politique : on ne peut pas dire c’est un discours de tel ou tel type dans la réflexion contemporaine.
Que dit il ? Voilà : on vient d’introduire cette notion de « sacré » – on est dans un climat très anticlérical, et lui tombera un peu plus tard parce qu’il veut reconstituer le culte de « l’Être suprême » – mais le mot sacré a été utilisé pour la propriété privée dans la Déclaration de l’Homme et du Citoyen, et Robespierre dit « Il y a autre chose de bien plus sacré que la propriété privée, c’est la vie humaine. Notre premier devoir, c’est d’assurer la survie d’un jour au lendemain de nos contemporains. » Il faut faire passer cela, dit-il, avant la propriété privée. Il dit « Je ne suis pas contre le fait qu’elle survive et que les commerçants exercent leur commerce, mais il faut séparer, dans la vie de tous les jours, la sphère de l’indispensable », et dans celle-là ne devrait pas fonctionner, nous dirions, l’économie de marché, le système capitaliste. Il ne fait pas la liste des besoins alimentaires, mais on les comprend bien : ce sont ceux dont on fait la liste spontanément. Il tient ce discours : « La chose assurée que nous pouvons faire – d’ailleurs, nous sommes toujours assez riches ici pour le faire – c’est la survie de chacun d’un jour vers le lendemain. »
Question du public
On serait tenté de penser que la disparition du travail ne doive pas concerner toutes les fonctions, toutes les qualifications, et que seraient d’abord touché les plus bas niveaux de qualification – première chose. Deuxième chose, Bernard Stiegler parle de « prolétarisation » du travail, vous dites qu’il va disparaître et, effectivement, il va être un peu vider de sa substance, et troisième chose donc, l’enjeu pour le travail, c’est évidemment la question des revenus, mais aussi celle de l’utilité sociale. Il faut bien distinguer cette utilité et la différencier des revenus.
PJ : Il y a une question qu’on évoque, c’est la possibilité, dans un monde où le travail disparaît, de baisser de manière constante le nombre d’heures de chacun – c’est une proposition de Pierre Larrouturou depuis des années, que l’on passe d’une semaine de 40 heures à 36, 32, 20h, etc , mais c’est une représentation qui, dans la réalité, suppose un calcul fondé sur une utilité comparable de n’importe quelle heure de travail faite n’importe où. Or nous savons, dans la réalité, que si l’on va proposer aux ingénieurs qui écrivent, qui rédigent le code qui sera celui des robots, si on leur dit : » On vous propose de passer de la semaine de 36 heures à celle de 30 heures », l’économie d’abord ne voudra pas, et la plupart de ces gens qui font ce type de boulot ne le voudront pas non plus. J’en ai côtoyé suffisamment dans ma vie pour le savoir. Ce sont des boulots fascinants, c’est très intéressant, c’est très bien payé, la société en a un besoin immédiat, que ce soit pour de la maintenance ou créer de nouveaux logiciels. On ne passera pas de la semaine de 40 heures à la semaine de 20 heures pour des emplois de ce type-là. On le fera à certains endroits, mais on le fera uniquement pour des emplois qui sont, en fait, des emplois en voie de disparition, parce que ça ne fait pas beaucoup de différence pour ces emplois-là que les gens travaillent 32 heures ou 20 heures, etc. On arrive dans des situations, que d’ailleurs M. Bernard Friot recommande, c’est à dire qu’on propose d’être fonctionnaire à un grand nombre de personnes dont l’économie, en réalité, n’a pas besoin. La question qu’on pose à ce moment-là, c’est « D’où viendront les ressources pour le faire ? » On pourrait simplement étendre, comme il le propose, le système du fonctionnariat à l’ensemble de la population, mais il resterait la part de la population qui vit bien des revenus du capital, sans devoir opérer un travail par ailleurs.
Oui, il y a des tas d’aspects. Pour chaque truc, j’ai le double à peu près de ce que je veux dire, et pour les choses les plus importantes, j’essaie de les placer dans des réponses aux questions, comme je peux le faire, malheureusement de façon trop rapide, pour vous.
Le nom de Stiegler a été également mentionné pour la perte, en termes de savoir et de déqualification, qui accompagne l’évolution de la machine. Moi, j’ai connu dans les banques les gens qui faisaient le calcul à la main et même encore, au tout début, avec une règle à calculer le prix d’une obligation au jour le jour, en fonction de l’évolution des marchés, une opération qui prenait une vingtaine de minutes. J’ai fait partie des gens qui ont écrit des logiciels qui ont permis que ça se fasse automatiquement, mais la personne qui poussait ensuite sur un bouton pour calculer le prix d’une obligation n’avait plus la moindre idée de comment ça fonctionne, ni comment on pourrait faire le calcul, de la même manière que les jeunes qui ne savent plus la table de multiplication maintenant dépendent de la présence de piles et d’électricité pour pouvoir faire un calcul élémentaire.
Pourquoi je parle de Stiegler ? C’est parce qu’il a une autre proposition que celle de Friot, c’est la proposition d’étendre à la population dans son ensemble le statut d’intermittent du spectacle. C’est à dire que nous serions tous en situation de gagner de l’argent, quand, voilà, quand on nous offre des choses, mais qu’il y aurait un système tout autour qui nous permettrait de tenir le coup sans que ce soit de la charité ou de l’assistanat à proprement parler le reste du temps.
Dans une étude qui est très intéressante qui s’appelle Fuck Work en français. Pourquoi ? Parce que c’est un livre fait par un certain James Livingstone, un Américain qui a dit – en bas de page dans son ouvrage – qu’il aurait bien voulu appeler son livre comme ça mais qu’évidemment, aux États-Unis, on peut pas le faire. Mais, du coup, quand on a fait la traduction en France, on a appelé son livre comme ça. C’est un petit livre – la préface qu’on m’a demandée représente presque un tiers du volume tout entier – mais il attire l’attention : Aux États-Unis, dit-il, depuis cette époque de Lyndon Johnson où l’état met à plat cette question de la séparation des revenus et du travail, la quantité en dollar constant de sommes qui vont de l’état vers le salariat augmente de manière tout à fait constante, et en particulier dans les années récentes. Il dit » Est ce que le salariat dans son ensemble ne relève pas déjà de l’assistanat ? » et je pense à cette dame à côté de moi : est-ce que son employeur est convaincu que son travail est très utile, ou bien c’est parce que, voilà, comme il y a des pressions de partout pour créer des emplois – pas en supprimer, etc. – est ce que nous ne sommes pas un peu en situation de surfusion ? Pour ceux qui connaissent pas la notion de surfusion, c’est, par exemple, que vous pouvez baisser la température d’un liquide bien au delà du point où il va geler dans des situations particulières. Vous pouvez mettre dans un récipient que vous avez bien protégé – contre les chocs et des choses comme ça – de l’eau, et vous allez pouvoir baisser la température bien en dessous de zéro, et l’eau ne va pas geler parce qu’il faut des petites modifications, par exemple un choc ou une poussière, pour que le liquide gèle à l’intérieur.
On pourrait imaginer que notre situation présente soit dans un état de surfusion de ce point de vue-là, que le jour où on décidera de se débarrasser de l’ensemble des emplois qui ne sont pas utiles, qu’il y aurait tout à coup, je dirais, une disparition massive des emplois qui, en réalité, sont assistés. Et comme je disais tout à l’heure, les personnes les plus menacées ne sont absolument pas conscientes de cela. Le médecin oncologue qui peut être remplacé par l’intelligence artificielle, il le sait. Mais la personne qui dit « Oui mais, je dois parfois changer de tactique ou travailler un petit peu en dehors du cadre » ne sait pas qu’il y a de la logique floue et qu’il y a des algorithmes génétiques, que les méthodes sont là pour remplacer même ce qui lui paraît extrêmement humain dans sa tâche.
Je sais qu’on ne peut pas dépasser de trop, mais Monsieur, vous posez la dernière question.
Question du public
Au supermarché, il y a de plus en plus de caisses, sans caissières. Est ce que ce n’est pas justement un déplacement des personnes vers le XXX ?
PJ : Oui, oui, c’est une excellente question, et c’est vrai que si on voulait prendre au sérieux… Quand je fais un exposé comme celui-ci, on dit « L’emploi va entièrement disparaître » je dis « Oui », mais uniquement dans le cadre tel qu’il est maintenant. Vous le savez, nous épuisons 1,6 fois la planète en termes de chose de l’ordre du renouvelable, du durable, chaque année : on regarde le jour – c’est autour du mois d’août maintenant – où nous dépassons la capacité de la planète, où notre espèce dépasse sa capacité de charge par rapport à l’environnement. Si l’on voulait revenir à une planète où, effectivement, nous ne dépenserions pas plus que ce que la planète peut offrir, nous créerions un très grand nombre d’emplois, effectivement.
Moi, j’ai un fils qui a abandonné ce qu’il faisait. Il a des diplômes universitaires, et il est devenu paludier, il y a une dizaine d’année. Donc, il fait du sel de manière artisanale, et c’est un métier qui est très peu mécanisé. Il y a des brouettes, bien entendu, mais sinon, l’opération de racler le sel, ou de récolter la fleur de sel à la surface des bassins – qu’on appelle des œillets – c’est très peu mécanisé. Mais, il y a un an, il me dit « Tu ne sais pas ce qu’on a acheté ? Personne ne le voit parce que c’est bien caché, mais on a acheté un robot, à la coopérative, pour la manutention à l’intérieur des réserves de sel, dans les salorges ». Ça va venir, bien entendu, même là, à cet endroit qui parait absolument protégé. Même la permaculture, on peut éventuellement la faire mieux avec une machine qu’avec un être humain. C’est ça la difficulté.
La robotisation est en train d’avoir lieu dans le domaine agricole. Elle est en train d’avoir lieu dans le domaine de l’élevage : On m’a demandé récemment de participer à un colloque en tant qu’expert extérieur sur l’élevage et l’intelligence artificielle – les éleveurs y pensent. Grâce au big data, à l’intelligence artificielle, on va dans un processus où le cheptel français entier – les vaches surtout, c’est moins avancé pour les porcs – pourrait être géré par une machine de manière permanente. On vous donne tout de suite les avantages : En matière de maltraitance des animaux, on serait prévenu de manière immédiate. Un exemple qui est donné : un petit porcelet qui se met à gémir parce qu’il est brutalisé par ceci ou cela, aujourd’hui, il meurt. Là, avec le système dont on dispose, en dix-sept secondes on viendra le sauver. Ce sera l’avantage de l’intelligence artificielle, et le public, en général, dira que c’est un véritable progrès. Mais le danger que moi, je vois parce que c’est un danger tout à fait évident : une fois que nous ferons cela pour les vaches où les cochons – la surveillance totale pour leur bien-être, etc. – il n’y aura aucune difficulté – comme on l’a fait dans le cas des techniques [de reproduction] qui ont été faites dans la domestication – de le transposer ensuite à l’humain pour faire exactement la même chose.
Voila. Merci.
Ce photon a une tronche de citron !