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Quel modèle économique pour une société écologique ?
L’avènement d’une société écologique est impossible sans un changement radical de modèle économique. La politique actuelle du gouvernement en est l’exemple a contrario : concilier, sur le plan politique, libéralisme économique et préservation de l’environnement débouche nécessairement sur l’inaction écologique. L’environnement est sacrifié sur l’autel de la sacro-sainte équation « business + croissance = emploi + élection ».
Ce qui nous conduit à notre perte : le modèle économique capitaliste et néolibéral
Le capitalisme : un rapport de force en faveur du détenteur de capital
Le capitalisme, c’est le système économique qui donne l’avantage sur le plan politique au capitaliste, le détenteur de capital. Or qu’est-ce que le capital ? Ce sont les ressources qui, manquant à la place où elles seraient nécessaires pour permettre la production, la distribution ou la consommation des biens et des services, doivent être empruntées. Si les ressources manquent à la place où elles sont nécessaires, c’est que la propriété privée y fait artificiellement obstacle. Parce qu’il y a eu emprunt des ressources faisant défaut, il y a rémunération par une rente que l’on appelle « les intérêts » quand il s’agit d’un prêt de particulier à particulier ou bien a été accordé par une banque, mais aussi « le coupon » quand c’est l’État qui emprunte sous la forme de l’émission d’une obligation, et « les dividendes » quand les entreprises empruntent en émettant des actions de sociétés.
Le système témoigne de son efficacité si la situation permet qu’une véritable richesse soit créée en tirant parti de l’opportunité qu’autorisent ce que Proudhon appelait « les aubaines » : la générosité que la nature autour de nous manifeste à notre égard et qui nous permet d’y jouer le rôle de modestes « catalyseurs » grâce à l’apport de notre travail. Quand une véritable richesse n’est pas créée à partir de l’emprunt – dont le crédit à la consommation offre le meilleur exemple – le versement des rentes s’assimile à une pompe siphonnant l’escarcelle des pauvres en direction des coffres des riches. C’est là que nous en sommes dans notre société contemporaine.
Le néolibéralisme : les moyens justifient la fin
Le « néolibéralisme » désigne une version dérivée du libéralisme, que certains assimilent au paroxysme de la logique libérale. Le néolibéralisme abolit les règles macro-prudentielles édictées dans les années trente et conduit à démanteler, en Europe, les grands monopoles d’État.
La fin ne définit plus les moyens, c’est la minimisation des coûts et la maximisation des profits qui deviennent des fins en soi. Les résultats ont cessé d’être un objectif visé initialement, pour devenir « pragmatiquement » quoi que ce soit que l’on constate à l’arrivée.
La logique néolibérale gangrène l’économie mais aussi le comportement des États. Les entreprises doivent maximiser le volume des dividendes pour les actionnaires. Les États doivent minimiser leurs dépenses dans le seul objectif d’essayer de réduire la dette publique. Ni les entreprises, ni les États ne sont aujourd’hui guidés par une fin, un horizon idéal.
- L’objectif de la préservation de la planète n’a pas sa place dans le système économique actuel.
Pour une société écologique : vers un socialisme authentique
Pour pouvoir intégrer l’urgence écologique au sein d’un modèle économique, voici les huit ingrédients d’un programme authentiquement socialiste.
1° Faire de l’État-Providence une institution irréversible et intangible, en mettant fin à la dépendance qui le lie aujourd’hui à la croissance et subordonne son existence aux caprices de celle-ci, et en inscrivant la nécessité de leur consubstantialité dans la Constitution.
2° Casser la machine à concentrer la richesse qui conduit aujourd’hui 62 personnes à disposer d’un patrimoine équivalent à celui de la moitié la moins riche de l’humanité : 62 d’un côté, alors que 3,5 milliards, cela représente 3,5 x 1.000 x 1.000 x 1.000 êtres humains, ce qui – on en conviendra – dépasse l’imagination !
3° Promouvoir la gratuité pour tout ce qui fait partie de l’indispensable (alimentation, santé, éducation, vêtement, logement, transport). Distinguons le nécessaire du superflu et faisons-les relever de deux régimes économiques distincts. D’un côté, le régime économique de l’indispensable serait fondé sur la mise en commun des biens, et leur gestion par la collectivité. De l’autre côté, en parallèle, le régime économique du « superflu » restera fondé sur les mécanismes de prix.
Dans le premier, n’ayant plus le prix comme source d’information économique à la gestion de l’offre, ce serait ainsi une gouvernance délibérative en charge de la gestion de l’offre (comme l’État déjà aujourd’hui en ce qui concerne une partie de l’éducation et de la santé). En fonction des évolutions de nos sociétés, la distinction entre indispensable et superflu pourra être modifiée pour correspondre aux besoins d’une époque particulière. Ainsi, aujourd’hui, la connectivité (l’abonnement téléphonique, l’accès à internet…) pour tous semble devenir un besoin fondamental car, entre autres, l’accès internet est maintenant indispensable pour un certain nombre de démarches administratives.
Si la gratuité répond à des exigences sociales, elle peut également répondre à des exigences écologiques : la gratuité peut être un puissant outil de redirection des habitudes de consommation des individus vers des comportements plus écologiques. Ainsi, pour l’alimentation, les « restaurants municipaux » servant de la nourriture gratuite à tous, pourraient choisir des aliments biologiques et locaux ; pour le transport, l’accent serait mis sur les transports en commun les plus efficaces au niveau énergétique (bus hybride, train, vélo, trottinette…) ; pour le logement, les nouveaux logements sociaux seraient construits selon les meilleurs standards énergétiques, etc.
4° Mettre l’homme et l’environnement au passif de la comptabilité des entreprises. Au premier abord, nous aurions tendance à dire qu’il s’agit avec nos règles comptables de catégorisations purement « techniques ». Mais une telle représentation est erronée. Les codes admis, les formulations admises ne sont pas neutres : elles portent en elles des valeurs, des jugements, reflétant rien de plus que les rapports de force existants entre les différentes catégories sociales composant nos sociétés.
Le principe fondamental des règles comptables devrait être la préservation non seulement du capital financier mais aussi la préservation de l’homme et de la nature qui l’environne et à laquelle il appartient. D’un point de vue comptable, n’est pris en compte seulement, que le capital financier en dissimulant la détérioration des conditions de vie et de l’environnement naturel. Une Constitution pour l’économie devrait ainsi stipuler qu’existent sur un plan comptable trois éléments à mettre au passif : le capital financier, l’homme en tant que tel et la nature dans son ensemble, en tant qu’elle est l’environnement de l’homme, car il n’y a pas d’économie florissante sans intégration harmonieuse de ces trois éléments.
5° Imposer le travail des machines, robots ou logiciels, en lui appliquant le même barème que celui qui vaut pour les êtres humains qu’ils remplacent. Le gain de productivité apporté par la machine est visible aussi longtemps qu’elle travaille au côté d’un être humain, mais aussitôt qu’elle le remplace purement et simplement elle cesse d’être visible : l’être humain qu’elle complétait autrefois a disparu, tandis qu’elle travaille désormais dans l’ombre, sa valeur ajoutée étant absorbée dans des chiffres statistiques globaux, sans être comptabilisée en tant que gain de productivité. Les sommes récoltées par l’imposition de la machine refléteront les gains pour l’humanité dans son ensemble dus à la mécanisation ; ils pourront être mis au service du financement pour tous de la gratuité sur l’indispensable. Il s’agira là pour ces sommes d’un bien meilleur usage que le financement d’une allocation universelle, dont le montant quel qu’il soit serait aisément capturé par le système financier ambiant. Ainsi, pour rappeler une actualité récente, lorsque les États-Unis s’efforcèrent en 2009 de relancer le secteur du bâtiment en allouant une somme de 4.000 $ aux ménages accédant pour la première fois à la propriété de leur logement, le prix de l’immobilier résidentiel américain bondit immédiatement de ce même montant.
6° Restaurer l’interdiction de la spéculation au sens purement technique du terme de « paris sur les mouvements à la baisse ou à la hausse des titres financiers », telle qu’elle était en vigueur en Suisse jusqu’en 1860, en Belgique jusqu’en 1867 et en France jusqu’en 1885. Les gigantesques flux financiers qui sont aujourd’hui divertis de l’économie réelle par le biais de la spéculation retrouveraient ainsi leur véritable destination (entre autres, financer la transition écologique !). Par l’interdiction de la spéculation, les investisseurs de long terme seraient valorisés et se tourneraient donc naturellement vers les investissements d’avenir comme ceux en faveur de la transition écologique.
7° Faire de l’euro l’embryon d’un nouveau système monétaire international, en remplacement de celui né à Bretton Woods dans le New Hampshire en 1944 et mort en 1971 dans les soubresauts d’une guerre du Vietnam excédant les capacités budgétaires des États-Unis. Depuis 1971, le monde vit dans un dés-ordre monétaire international, que l’invention des produits financiers dérivés (sous la forme initiale du swap de change) n’est pas parvenue à corriger. Ce nouveau SMI permettrait de stabiliser les monnaies entre elles et notamment mettre un coup d’arrêt aux spéculations sur les taux de change. Le climat économique serait alors plus serein pour permettre les investissements en faveur de la transition écologique.
8° Mettre les États au centre des investissements vers la transition écologique. Par manque de volontarisme politique, cela fait bien longtemps que la planification étatique n’est plus de mise. Mais remettre sur pied un État stratège est indispensable pour construire une société écologique. Jamais le nucléaire n’aurait pu se développer autant en France s’il avait dû satisfaire les mêmes conditions que les énergies renouvelables aujourd’hui. Le temps presse, les incitations financières à la marge que l’État libéral propose aujourd’hui ne sont pas suffisantes : si nous voulons développer les énergies renouvelables, il faut le faire exactement comme nous l’avons fait dans les années 1960 pour le nucléaire. À savoir se fixer des objectifs ambitieux (à l’époque, plus d’une cinquantaine de réacteurs ont été ouverts en dix ans !), développer l’énergie à l’abri de la concurrence (avec une société en monopole et publique) et engager très fortement l’État.
Mais au vu des montants colossaux pour la transition écologique, l’investissement public ne peut pas être la seule solution. Or, l’État peut également être au centre de la réorientation des capitaux privés vers la transition écologique. Inspirons-nous pour cela du plan Juncker à l’initiative du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) qui, avec une dotation initiale de 21 milliards d’euros, a permis de garantir pour plus de 335 milliards d’euros sur trois ans d’investissements privés dans toute l’Union européenne grâce à “l’effet de levier”. Un même mécanisme pourrait être envisageable à une échelle toute aussi importante voire plus grande, au niveau européen pour garantir les investissements spécifiquement verts, en particulier des PME.
Tout comme le plan Juncker, en mobilisant uniquement le budget européen, créons le Fonds européen pour l’environnement (le FEE), doté de 30 milliards d’euros qui pourront garantir sur 3 ans plus de 500 milliards d’investissements verts. Cette garantie permettrait aux PME de se financer à des coûts comparables aux grosses entreprises déjà présentes sur les marchés de transition écologique. Pour ce faire, la Banque européenne d’investissement (BEI) pourrait jouer le rôle de garant en émettant des obligations garanties par ce fonds spécifique.
Mais au-delà d’un modèle économique, c’est bien un renversement philosophique vis-à-vis de la nature qu’il faut mener. L’individu doit réapprendre à être à l’écoute de la nature, ce que la société de consommation lui a fait oublier. Passer de l’homo oeconomicus à l’homo oecologicus sera la principale difficulté !
Lectures complémentaires :
- Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin : « Éviter l’effondrement : mettre la finance au service de la transition écologique », décembre 2018
- Thomas Porcher, Traité d’économie hérétique : en finir avec le discours dominant, Pluriel, 2019 [Dans ce livre, Thomas Porcher démonte à un certain nombre d’idées reçues de la doxa économique dans un langage accessible à tous.]
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